Traité de Lisbonne - Michel Delebarre : nous allons "sortir d'une approche quasi virtuelle du principe de subsidiarité"
Localtis : Le traité de Lisbonne reconnaît explicitement le principe de l'autonomie locale. Quelle incidence cela peut-il avoir pour les collectivités ?
Michel Delebarre :L'introduction du principe du respect de l'autonomie locale à l'article 4 du Traité de l'Union, c'est-à-dire dans sa première partie, lui confère le statut d'objectif horizontal pour la conduite des politiques de l'Union européenne. Il primera donc sur les approches sectorielles.
Pour prendre un exemple concret, j'espère bien que le principe de l'autonomie locale permettra de faire reconnaître à un niveau européen le modèle français des structures intercommunales actuellement menacé par une interprétation de la Commission. Dans un avis motivé adressé à la France en juin 2007, celle-ci prône la mise en concurrence de certaines relations internes entre les structures intercommunales et les communes qui les composent.
Vous avez justement participé, la semaine dernière, à l'inauguration d'un observatoire des autonomies locales. Quel va être son rôle ?
Ce réseau a vocation à aller au-delà de la seule démarche académique et devrait associer des responsables d'administrations d'Etat et de collectivités locales des vingt-sept Etats membres de l'Union européenne. Il aura pour mission d'apporter un éclairage sur les différentes facettes de l'autonomie locale dans les Etats membres. Cela se fera à partir de la collecte des données actualisées sur les systèmes locaux, site web et conférences à l'appui. En effet, l'autonomie locale est un principe évolutif et ce n'est pas parce que la France a ratifié la Charte sur l'autonomie locale le 17 janvier dernier - plus de vingt ans après l'élaboration du projet de Charte - et que le principe de l'autonomie locale fait son entrée dans le traité de Lisbonne que l'on peut considérer que c'est un chapitre clos.
On assiste en France à des discussions très vives autour du rôle des régions. Est-ce une tendance que l'on retrouve dans les autres pays européens ?
Je pense surtout que la France est le pays où l'on parle le plus de décentralisation et où on en fait le moins ! Le rôle des régions est débattu dans un grand nombre d'autres pays européens mais dans ces pays, les discussions sont suivies d'effets. En Espagne, en Italie, en Allemagne, la décentralisation est un débat permanent. D'ailleurs, la décentralisation est déjà tellement consolidée dans ces pays, que la réattribution au niveau central de compétences n'est pas un tabou. Ainsi, dans la dernière réforme dite du "fédéralisme" en Allemagne, les Länder ont rétrocédé des compétences en matière de politique européenne en échange de plus de marges de manoeuvre en matière d'éducation et de formation.
Par ailleurs, partout dans l'Union européenne, force est de constater que la qualité de la mise en oeuvre des fonds structurels est fonction du degré de décentralisation dans l'Etat membre respectif. C'est pourquoi, même un pays relativement petit comme la Slovénie fait de la régionalisation une priorité.
Le traité prévoit que le Comité des régions puisse saisir la Cour de justice en cas d'atteinte au principe de subsidiarité. Lui sera-t-il possible de mieux défendre les intérêts des collectivités ?
Le Comité des régions pourra désormais saisir la Cour de justice de l'Union européenne en cas de violation de ses prérogatives ou s'il estime que les dispositions relatives au principe de subsidiarité n'ont pas été respectées.
Ces recours ne seront pas un instrument politique que nous utiliserons fréquemment mais plutôt une sorte d'épée de Damoclès, des recours en dernier recours en somme.
Nous pensons que le futur traité permettra de sortir d'une approche jusqu'ici très académique et quasi virtuelle du principe de subsidiarité, qui vise à assurer une prise de décision la plus proche du citoyen en déterminant du niveau le plus pertinent d'intervention. Dorénavant, l'Union européenne ne pourra agir là où l'action des autorités locales est plus appropriée. En effet, le nouvel article 5 du traité précise que l'Union intervient "seulement si, et dans la mesure où, les objectifs de l'action envisagée ne peuvent pas être atteints de manière suffisante par les Etats membres, tant au niveau central qu'au niveau régional et local". La Commission devra en outre procéder, avant de proposer un acte législatif, à des consultations, qui "doivent tenir compte, le cas échéant, de la dimension régionale et locale des actions envisagées". Par ailleurs, les projets d'actes législatifs devront faire en sorte que les charges financières et administratives soient proportionnées et les moins élevées possible, entre autres pour les autorités régionales et locales.
Cependant, dans la pratique, la mise en oeuvre du principe de subsidiarité ne doit pas aboutir à l'empêchement de l'Europe mais à une meilleure gouvernance européenne dans le sens de l'efficacité et de la légitimité.
Quelles sont les autres avancées obtenues par l'institution que vous présidez ?
Outre la consécration des principes de l'autonomie locale et régionale et l'attribution d'un double droit de recours devant la Cour de justice, le Comité des régions a obtenu la reconnaissance de la diversité culturelle et linguistique au niveau européen. Et surtout, l'insertion de la cohésion territoriale fait désormais partie des objectifs de l'Union européenne, aux côtés de la cohésion économique et sociale. Cela signifie concrètement que l'objectif de cohésion territoriale deviendra un réel critère dans les propositions législatives de la Commission et confirme que la politique de cohésion remplit une mission d'intérêt européen. Le CdR a donc toutes les raisons de se féliciter des avancées obtenues par et pour le Comité des régions et les collectivités territoriales dans leur ensemble dans le traité de Lisbonne.
Propos recueillis par Michel Tendil