Gestion locale - Mariage d'amour, mariage d'argent : les sociétés publiques locales six mois après
La société publique locale (SPL), c'est un peu comme le mariage. Que la promise soit jolie, que tous vos amis en parlent ou que vous l'espériez depuis l'enfance n'interdit pas de réfléchir avant de s'engager. De se faire conseiller pour le contrat. D'envisager d'autres solutions. De parler de l'avenir des enfants. Et puisque Localtis fait aujourd'hui dans le conseil matrimonial, précisons qu'il n'est jamais sage de se marier uniquement pour les impôts, en l'occurrence, pour déroger aux règles de la commande publique. Voilà pour les préalables. Plus sérieusement, près de six mois après la promulgation de la loi du 28 mai 2010 sur le développement des sociétés publiques locales qui a permis à des collectivités de s'associer pour créer des sociétés anonymes au capital 100% public, où en est-on?
Bonne nouvelle pour les Sem : les SPL ne devraient pas les tuer
Pour la fédération des entreprises publiques locales (EPL, ancienne fédération des Sem), qui tient son congrès annuel les 20 et 21 octobre à Marseille, l'événement de l'année 2010 est clairement la naissance des sociétés publiques locales (sur la loi et le statut, voir nos articles ci-contre et l'encadré ci-dessous). Certes, on connaissait déjà les sociétés publiques locales d'aménagement (SPLA), qui avaient initié le mouvement vers des sociétés anonymes au capital 100% public. Mais les SPL peuvent être utilisées sur un champ beaucoup plus large que les SPLA, en fait pour "toute activité d'intérêt général" (art. L.1531-1 du Code général des collectivités locales). Les acteurs locaux ne s'y sont pas trompés, montrant souvent un vif intérêt pour cette nouvelle structure qui permet à des collectivités de s'unir pour monter leur petite entreprise.
Ainsi, à la fédération EPL, sur 166 projets recensés depuis le début de l'année, les SPL représentent environ 40% du total, les sociétés d'économie mixte 50% et les SPLA 10%. Sur les derniers mois, les SPL se taillent la part du lion. Mais attention : elles ne font pas disparaître l'intérêt des autres structures, souligne Hugo Richard, responsable du département collectivités territoriales à la fédération des EPL : "Si beaucoup de collectivités viennent nous voir avec l'intention de monter une SPL pour leur projet, nous réorientons une part non négligeable d'entre elles vers d'autres formules." Tout dépend en effet de la nature du projet : la Sem peut mieux répondre aux besoins lorsque, par exemple, le projet nécessite une importante capitalisation, pour laquelle il est plus sage de faire entrer des partenaires privés dès l'origine. "Chaque cas est unique. Il faut étudier le portage politique, financier, opérationnel du dossier. Ce n'est qu'après cette étude, et en faisant preuve d'un certain réalisme économique, qu'on peut orienter les collectivités vers la formule la plus adaptée à leur situation : Sem, SPL, SPLA, délégation de service public, partenariat public-privé, régie, voire convention avec des associations." La question temporelle est souvent essentielle : est-il plus intéressant d'avoir les partenaires privés au capital, ou de passer ensuite avec eux des marchés ? Là encore pas de réponse univoque.
Ce qui est certain, c'est que le temps de montage de la société est secondaire : certes la création de la SPL peut parfois être plus rapide que celle de la Sem dans la mesure où il n'y a pas de pacte d'actionnaires à monter, mais l'essentiel n'est pas là. Mieux vaut un projet bien pensé plutôt qu'une société montée dans l'urgence qui pourrait poser problème ensuite.
Que fera ma petite entreprise ? Bien rédiger l'objet social
Les premiers retours d'expérience montrent que les SPL sont bien adaptées à trois types de projets. Premièrement, les projets d'intérêt local (piscine, salle polyvalente...) pour lesquels des collectivités s'associent. Deuxièmement, les projets de grande ampleur qui nécessitent des interventions sur des champs variés. En effet, la nouvelle structure aura les mêmes atouts que la SPLA. Il est trop tôt pour avoir des retours sur des projets équivalents en SPL, mais l'idée est que la collectivité veut avoir la maîtrise complète sur l'orientation du projet. La fédération des EPL considère qu'il n'y a aucune raison pour que les SPL ne servent pas également d'ensemblier pour de vastes projets sur l'eau ou les déchets. Mais tout cela n'est que de la prospective, il n'existe pas encore de projets concrets. Troisièmement, des projets de SPL sont également en cours pour permettre des mutualisations qui n'arrivaient pas à émerger sous la forme d'un syndicat mixte ou d'un groupement d'intérêt économique (GIE). La SPL n'oblige pas à avoir une collectivité majoritaire dans le capital : ainsi trois communes ou trois EPCI peuvent avoir chacune un tiers du capital. Mais au fait, peut-on trouver une commune et son EPCI dans une même SPL ? Comment serait-ce possible alors que, théoriquement, soit la compétence est conservée par la commune, soit elle est transférée à l'EPCI ? Selon Hugo Richard, ce cas ne pose pas de problèmes : il suffit de définir avec attention l'objet social de la société. Par exemple, une SPL pourra faire de la gestion de la voirie et des transports si la commune a la compétence voirie et l'EPCI la compétence transports. Mais prudence : il n'est pas question de faire des SPL "universelles" ou fourre-tout : il faut absolument spécialiser la société, non seulement pour qu'elle soit stable à long terme mais aussi pour ne pas prendre de risque juridique. Bref, l'essentiel est d'avoir un véritable projet commun, bien défini.
Pour l'instant, sur les 66 projets en cours, la fédération des EPL en compte 12 sur le développement économique (pépinières d'entreprises, abattoirs...), 17 sur le tourisme (gestion de parcs à thème, offices de tourisme...), 9 sur l'environnement (eau, assainissement, énergies renouvelables). Les autres dossiers se répartissent entre les secteurs des transports (à l'exemple de Saumur pour un réseau de bus), du funéraire (gestion de crématorium), de la culture (gestion de salles de spectacles) et de l'habitat (résorption de l'habitat insalubre à Dreux).
Surveiller les enfants et décider de leur avenir : le contrôle analogue
Autre point sur lequel il faut être attentif : le célèbre "contrôle analogue". En effet, pour pouvoir déroger aux règles de passation des marchés publics entre la collectivité et la SPL, il faut que la collectivité exerce sur la SPL un "contrôle analogue" à celui qu'elle exerce sur ses propres services. Il s'agit d'un contrôle "politique" et non d'un contrôle administratif au quotidien, souligne la fédération des EPL : les élus de chacune des collectivités au capital de la SPL doivent siéger au conseil d'administration, pouvoir bloquer les décisions stratégiques portant sur l'avenir de la société et être bien informés sur sa situation, notamment financière. Il faut aussi faire en sorte que la SPL rende à chacune de ses collectivités actionnaires un service, si ce n'est identique du moins équitable. Même si une collectivité ne détient que 5% du capital. Tout cela se prévoit dans les statuts de la société. On comprend donc aisément qu'il n'est probablement pas sage de multiplier sans précautions le nombre de collectivités actionnaires.
Au delà des statuts, la fédération des EPL encourage les collectivités qui la saisissent à signer des contrats entre la SPL et chacune des collectivités actionnaires. L'occasion de bien préciser le rôle de chacun. Une règle simple, mais pas si bête pour une relation de long terme...
Hélène Lemesle
Référence : loi n° 2010-559 du 28 mai 2010 pour le développement des sociétés publiques locales.
Qu'est-ce qu'une société publique locale ?
L'article L.1531-1 du Code général des collectivités territoriales énonce : "Les collectivités territoriales et leurs groupements peuvent créer, dans le cadre des compétences qui leur sont attribuées par la loi, des sociétés publiques locales dont ils détiennent la totalité du capital.
"Ces sociétés sont compétentes pour réaliser des opérations d'aménagement au sens de l'article L.300-1 du Code de l'urbanisme, des opérations de construction ou pour exploiter des services publics à caractère industriel ou commercial ou toutes autres activités d'intérêt général.
"Ces sociétés exercent leurs activités exclusivement pour le compte de leurs actionnaires et sur le territoire des collectivités territoriales et des groupements de collectivités territoriales qui en sont membres.
"Ces sociétés revêtent la forme de société anonyme régie par le livre II du Code de commerce et sont composées, par dérogation à l'article L.225-1 du même code, d'au moins deux actionnaires."