Innovation - L'Europe, une Belle au bois dormant
Réunis à Lisbonne en mars 2000, les chefs d'Etat et de gouvernement européens se donnaient dix ans pour faire de l'Union européenne "l'économie de la connaissance la plus compétitive et la plus dynamique du monde"... Elle en est bien loin si l'on en juge par la dernière livraison de l'Office parlementaire des choix scientifiques et technologique (Opecst). "L’innovation patine en Europe, alors qu’elle progresse à une vitesse vertigineuse dans les pays émergents et reste un élément important de la culture américaine, nordique ou suisse", constatent les députés Claude Birraux (UMP) et Jean-Yves Le Déaut (PS), auteurs d'un volumineux rapport intitulé "L'Innovation à l'épreuve des peurs et des risques", publié jeudi 19 janvier. Et de citer la Chine et l'Inde, pays dans lesquels les rapporteurs se sont rendus, où la poussée innovatrice est "irrésistible". L'Empire du milieu compte déjà un million de chercheurs et ambitionne d'en avoir quatre millions, et l'Inde trois millions...
Si "la vieille Europe" ne considère pas l'innovation comme sa priorité, elle "court à son déclin", avertissent les députés, prenant l'exemple de la France où pas un des 25 produits de haute technologie les plus vendus ne sont ni conçus ni fabriqués.
Freins à l'innovation
Les deux parlementaires ont identifié une kyrielle de freins à l'innovation hexagonale. Le premier est d'ordre culturel : notre société a perdu le goût du risque. Ils dénoncent même cetaines formes "d'obscurantisme". "Les recherches qui sont de moins en moins possibles en France, comme celles relatives aux OGM, sont faites ailleurs, éventuellement par des laboratoires français ou des entreprises françaises", déplorent-ils. Même dans des secteurs où la France paraît en pointe, comme les nanotechnologies, il est difficile de passer de la recherche fondamentale à la phase de production : "Il suffit de dire que 5,6% des publications mondiales dans ce domaine sont d’origine française, tandis que moins de 2% des brevets déposés dans le monde dans ce domaine sont déposés en France."
L'une des priorités est de développer la valorisation de la recherche dans les universités, avec de véritables équipes dédiées de 10 à 30 personnes, comme cela se fait à Louvain-la-Neuve (Belgique), Twente (Pays-Bas) ou Heidelberg (Allemagne), citées en exemples... Mais il faut aussi modifier le "millefeuille institutionnel" et donner plus de poids à la région. Les deux élus appellent à un "acte III de la décentralisation" passant "par la régionalisation des outils administratifs et fiscaux de l’innovation". Parmi leurs propositions, certaines sont déjà sur les rails, comme le déploiement du "FSI régions" succédant à Avenir entreprises. Doté au total de 800 millions d'euros (dont 350 millions d'euros supplémentaires en provenance du FSI), il est implanté dans cinq nouvelles régions (Alsace, Aquitaine, Bretagne, Centre et Haute-Normandie) qui s'ajoutent aux huit existantes. Le rapport propose aussi d'unifier les outils publics de financement au sein d’une banque publique de soutien à l’innovation dans chaque région, associant la Caisse des Dépôts, Oséo et les outils régionaux pour financer "la preuve de concept, l’amorçage et le capital risque".
Investissements d'avenir
Les élus semblent aussi placer leurs espoirs dans le programme d'investissements d'avenir (PIA). Un dispositif qui explique en partie l'augmentation de 18% de l'investissement public dans la recherche et développement (R & D) entre 2010 et 2011, d'après les chiffres de la direction générale de la Compétitivité, de l'Industrie et des Services. L'effort public de recherche serait ainsi passé de 23,8 à 28 milliards d'euros en un an. Auditionné par l'Opecst, mardi 17 janvier, René Ricol, le commissaire général à l'Investissement, a insisté sur le tournant que le "grand emprunt" avait marqué à ses yeux et appelé à sa pérennisation après 2012, alors que la quasi-totalité des lauréats des deux appels à projet sont à présent désignés : "Je serais extrêmement déçu s'il n'y avait qu'une seule vague. Il n'y a pas de raison que dans toutes les régions de France il n'y ait pas de pépite qui se développe dans tous les domaines." Mi-janvier 2012, 17 milliards d'euros sur les 35 mobilisés pour le programme ont été engagés, a indiqué René Ricol, et 1,7 milliard avaient été effectivement dépensés au 31 décembre 2011. Compte tenu de l'effet de levier attendu, 70 milliards d'euros devraient être levés.
Mais à côté du PIA, le financement privé et celui des collectivités restent limités et les crédits de l'Agence nationale de la recherche (ANR) sont en diminution, constatent les députés de l'Opecst. Les financements d'Oséo doivent être assurés dans l’avenir, quant au crédit impôt-recherche (CIR), il va devoir être "réévalué et réorienté" en privilégiant les PME-PMI sur les grands groupes.
Un nouveau statut pour les entreprises
Autre préconisation du rapport : passer du statut de la jeune entreprise innovante, créé en 2004, à celui de l’entreprise d’innovation et de croissance (EIC) englobant les start-up, les PME et les ETI (entreprises de taille intermédiaire). Ces EIC bénéficieraient d’une réduction de l’impôt sur les bénéfices et des taxes locales. Elles seraient en outre exonérées de charges sociales. En contrepartie, elles devraient s’engager à investir en Europe et développer leur R & D...
La bataille doit se jouer au niveau européen. Le rapport invite à ne pas s'enfermer dans son "pré carré" et à développer des coopérations internationales à travers des appels d'offres. La stratégie 2020, qui a succédé à la défunte stratégie de Lisbonne, s'est à nouveau fixé d'ambitieux objectifs, notamment celui d'investir 3% du PIB dans la recherche et l'innovation, contre 2% actuellement (et 2,6% aux Etats-Unis et 3,4% au Japon). Mais les députés émettent des doutes sur la capacité de l'Union européenne à réussir sans définir une "vraie politique d'innovation", en développant la mobilité des chercheurs... Les rapporteurs recommandent de lancer une véritable politique européenne de capital risque. Ce qui impliquerait de doter le fonds européen d’investissement de moyens suffisants.
Si l'Europe considère que "les mines du XXIe siècle seront de matière grise", elle retrouvera le souffle de "créativité de la Renaissance", conclut le rapport. "Alors elle se sera réveillée."