Enseignement supérieur - Le mariage de raison des villes et des universités
L'université à l'américaine, que l'on bâtissait loin à l'écart des centres-villes dans les années 60 ? "Ce modèle défendu par Valérie Pécresse est totalement dépassé", estime Didier Guillot, adjoint au maire de Paris chargé de la vie étudiante. "Le campus doit au contraire être ouvert sur la ville." Au-delà de la controverse politique, ces propos illustrent bien le rapprochement en cours entre les municipalités et leurs universités. Car leurs intérêts communs sont nombreux, comme l'a confirmé le colloque européen organisé par l'Association des villes universitaires de France, les 1er et 2 décembre à Montpellier.
Fondamental
Certes, "cela fait longtemps que les plus petites villes favorisent leurs liens avec leurs universités", remarque Béatrice Barruel, conseillère municipale d'Orléans. "Mais dans les villes les plus importantes, cela devient fondamental depuis une dizaine d'années." De son côté, Christian Louit, vice-président de la communauté d'agglomération du Pays d'Aix, observe que "les villes universitaires les plus récentes ont eu les premières une politique agressive" en la matière. Mais les cités étudiantes les plus anciennes, à l'instar d'Aix-en-Provence, ont fini par s'y investir également. Paris offre une illustration sonnante et trébuchante de ce rapprochement : "Lors du premier mandat de Bertrand Delanoë, la ville avait apporté 600 millions d'euros, essentiellement en investissement, en faveur de l'enseignement supérieur, la vie étudiante et l'innovation", relate Didier Guillot. "Pour le second mandat nous avons prévu un milliard d'euros." Quant à Montpellier, où les étudiants représentent un quart de la population, l'objectif est aujourd'hui de "mettre le campus dans la ville, et la ville dans le campus", comme l'énonce Jacques Touchon, adjoint au maire délégué aux universités.
Entreprises
A vrai dire, plusieurs politiques nationales ont déjà encouragé ce rapprochement, dès les années 90 – notamment à travers les plans Université 2000, ou Université du troisième millénaire. Mais villes et campus ont eux-mêmes pris conscience de ce qu'ils pouvaient offrir l'un à l'autre. En intervenant sur le logement, les transports, ou le cadre de vie, les communes peuvent naturellement favoriser le rayonnement de leurs universités. Et elles peuvent par là même encourager la mobilité internationale des étudiants et œuvrer à la construction de l'Europe universitaire, l'un des thèmes du colloque de Montpellier. Leurs jumelages peuvent d'ailleurs y aider, à l'exemple de celui noué entre cette ville et les cités étudiantes de Heidelberg (Allemagne), Barcelone ou Saint-Louis (Etats-Unis). La municipalité peut enfin élever le niveau de ses universités "en attirant les entreprises, notamment en leur offrant des terrains", ajoute Danièle Hérin, présidente de l'université de Montpellier 2.
En retour, poursuit-elle, "une recherche fondamentale du plus haut niveau donne l'assurance de retombées économiques locales", notamment par le développement des start-up. De fait, les communes se sont bien "rendu compte qu'on ne pouvait plus se développer économiquement sans soutenir l'innovation et le transfert de technologies", rappelle l'Orléanaise Béatrice Barruel. "Et où se développe la connaissance ? D'abord dans les universités !" Enfin, de conférences en cafés philo, les universités permettent aussi à "la ville de devenir intellectuelle", et d'y diffuser la culture scientifique, comme le souligne Danièle Hérin. Elles permettent un rajeunissement de la population parfois bienvenu...
Si les deux parties ont pris conscience de leurs intérêts communs, leurs efforts respectifs ne paraissent cependant pas toujours équilibrés. "Il faut que les universités conçoivent les collectivités territoriales comme des partenaires, et pas seulement comme des tiroirs-caisses", tranche l'Aixois Christian Louit. Béatrice Barruel a elle-même pu témoigner des efforts passés d'Orléans pour faire venir l'université en centre-ville : "On s'est magistralement planté !", avoue-t-elle. La municipalité l'a au moins convaincue de lui mettre à disposition un ancien évêché de l'hypercentre...
Autonomie
La loi relative aux libertés et responsabilités des universités (LRU), certes, ne facilite pas nécessairement ces relations. "L'autonomie fait parfois perdre le sens du réel aux présidents d'université", estime ainsi Christian Louit. "Certains ont l'impression qu'ils peuvent tout faire... " Pour autant, cette autonomie est encore bien relative par rapport au reste de l'Europe. "Les universités françaises ont aujourd'hui des compétences, mais n'ont souvent pas les moyens ; leur autonomie est partielle", résume Lesley Wilson, secrétaire générale de la European University Association. Et pour pallier ces lacunes, l'appui des collectivités territoriales n'en devient que plus crucial.