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Décentralisation - Les régions ont perdu la bataille du fonds social européen

La décentralisation de ce fonds dédié à l'emploi et la formation aboutit à une construction très complexe où l'Etat a toute sa place.

Les sept mois de pourparlers entre les régions et l'Etat ont abouti à ce que certains craignaient : un morcellement de la gestion du fonds social européen (FSE) consacré à l'emploi et la formation. Sur la période 2007-2013, la manne s'élève environ à 5,4 milliards d'euros et son budget reste à trancher pour la période suivante allant de 2014 à 2020.
La décentralisation du FSE est prévue dans le deuxième des trois textes sur la décentralisation présentés en Conseil des ministres, le 10 avril, le "projet de loi de mobilisation des régions pour la croissance et l'emploi et de promotion de l'égalité des territoires". Mais les modalités de cette décentralisation ont fait l'objet d'une négociation parallèle au niveau interministériel. La décision sur le FSE est le produit d'un compromis qui n'exclut personne, mais n'atteint pas forcément l'objectif de simplification. "Cette situation va conduire à un manque de lisibilité des politiques publiques et à plus de complexité pour les porteurs de projet et les opérateurs qui bénéficient du FSE", déplore l'Association des régions de France (ARF) dans un communiqué.
La réunion interministérielle qui s'est tenue le 10 avril a abouti à un découpage permettant à l'Etat de garder la main sur 65% du fonds social européen pour la période 2014-2020. Ces fonds seront répartis entre le financement de Pôle emploi et les actions en faveur des chômeurs suivis par les conseils généraux. Selon nos informations, les plans locaux pour l'insertion par l'emploi (Plie) perdraient leur statut d'organisme intermédiaire, qui leur permet aujourd'hui d'être abondamment financés par le FSE.
Le reliquat de 35% sera confié aux régions. Une proportion que les régions jugent insuffisante pour "financer leurs politiques actuelles en matière de formation, d'emploi et d'inclusion, et les compétences qui leur seront confiées par le projet de loi de décentralisation".

"FSE Sapin"

Interrogée en conférence presse le 10 avril, la ministre de la Décentralisation, Marylise Lebranchu, a estimé que l'Etat devait conserver une partie des aides européennes, dans le but de financer les "formations courtes pour les chômeurs". En coulisses, la manne est désormais surnommée "FSE Sapin", tant le ministre de Travail a insisté pour sauvegarder son volant de crédits.
Ces négociations, "objet d'un marchandage où l'on cherche à combler l'argent manquant sans parler des objectifs ou de la plus-value des politiques européennes", selon une source française, engendrent une juxtaposition de plusieurs stratégies pour l'emploi.
Un document national coexistera ainsi aux côtés des programmes régionaux. Et les régions, déçues de cet arbitrage "en retrait par rapport à l'engagement pris à l'Elysée", auront désormais des arguments pour jouer les trouble-fête. Leur contribution à la politique de la ville via les fonds européens, objet d'un accord avec François Lamy, sera sans doute revue à la baisse.
Avec la concrétisation de ce volet de la décentralisation s'ouvrira un chapitre plus opérationnel. Les régions vont devoir se mettre en ordre de marche pour assurer leur montée en compétences. Recrutement de fonctionnaires, constitution des services d'instruction, de contrôle et de certification pour les quatre fonds européens constituent un chantier colossal. "L'ARF ne fait que de la politique. Il faut désormais qu'elle devienne un moteur dans l'assistance technique", réagit une source proche du dossier, observant le manque patent d'anticipation du défi à relever. 

Marie Herbet / EurActiv.fr

La décentralisation pourrait accroître le risque financier des collectivités

La réforme de la décentralisation expose les collectivités à des sanctions potentielles de Bruxelles sur les fonds européens et l'environnement.

Engagement de François Hollande, le transfert de la gestion des fonds européens entraîne une contrepartie financière pour les régions, qui devront supporter "la charge des corrections et sanctions financières mises à la charge de l'Etat", indique le projet de loi de mobilisation des régions pour la croissance et l'emploi et de promotion de l'égalité des territoires, deuxième volet du triptyque de la réforme de la décentralisation présentée en Conseil des ministres le 10 avril. Les irrégularités administratives, fraudes éventuelles, ou financements d'actions non éligibles peuvent entraîner des demandes de remboursement. En février, la Commission européenne a ainsi sommé l'Etat de rembourser 35 millions d'euros du fonds européen de développement rural (Feader). Une amende de 15 millions d'euros a également été infligée en 2012, conséquences des erreurs commises par la délégation générale à la formation professionnelle et l'emploi dans la gestion du fonds social européen (FSE).
A l'époque, la Commission avait sévi au point de suspendre le versement des fonds européens. La reprise des paiements s'est faite au prix de l'acquittement de pénalités forfaitaires, qui "auraient pu atteindre 100 millions d'euros" si la Commission avait poursuivi ses contrôles, observe une source proche du dossier.
En valeur réelle, le risque financier généré par le FSE sur l'ardoise des collectivités sera atténué par la décentralisation a minima de ce fonds. A l'issue de l'arbitrage interministériel du 10 avril, seuls 35% de l'enveloppe seront confiés aux conseils régionaux.
Par ailleurs, le texte de loi élargit la responsabilité financière des collectivités au paiement des amendes infligées par les juges européens à la France dans les domaines relevant d'une "compétence décentralisée". Or, le texte reconnaît notamment les prérogatives des communes en matière de pollution de l'air et confie d'autre part la gestion des milieux aquatiques aux intercommunalités. Des domaines dans lesquels la France a été traduite en justice, en mai 2011, pour sa gestion médiocre de la qualité de l'air et, en février 2012, pour les taux excessifs de nitrates. D'où les sanctions financières auxquelles le pays s'expose.

"Ca ne passera jamais la séance publique"

Juridiquement, la proposition tiendrait la route : "C'est une évolution importante, mais tout à fait possible dès lors qu'elle est organisée par la loi, estime Nicolas Kada, professeur de droit public à l'université de Grenoble. Le fait que l'Etat soit jusqu'ici le seul interlocuteur de la Commission n'est quant à lui nullement remis en cause : il s'agit simplement pour l'Etat de se retourner contre les collectivités territoriales lorsqu'elles seront à l'origine de la non-application du droit européen."
"On ne comprend pas le mécanisme", se défend-on à l'Association des maires de France, citant le cas des émissions industrielles. Une directive européenne limite leur quantité, mais la France n'a pas intégralement transposé le texte. Dans pareil cas, que se passe-t-il si une commune lance une construction de chaufferie sans retranscrire le seuil de la directive dans le cahier des charges ? Comment se répartit le paiement des sanctions entre l'Etat et les collectivités ?
La disposition est d'ailleurs susceptible d'attiser les revendications financières des autorités locales, qui pourraient réclamer des moyens supplémentaires pour mettre en oeuvre leurs obligations européennes. A moins que le débat ne tourne court : “Cela ne passera jamais la séance publique”, estime-t-on au Sénat.
Marie Herbet / EurActiv.fr

 

Le détail des fonds européens décentralisés

Les conseils régionaux deviendront autorités de gestion sur le Feder (développement économique), le Feamp (pêche et littoral) et le Feader (développement rural) à compter de 2014. La réunion interministérielle du 10 avril a permis d'affiner les modalités de cette décentralisation. Ainsi, pour le Feader, une partie de la manne sera automatiquement affectée à des actions relevant de l'Etat. Pour le Feamp, la décentralisation ne concerne que les régions ayant une ouverture littorale. Le fonds social européen disposera en revanche de deux autorités de gestion, la DGEFP et les conseils régionaux. A noter que la réforme de la décentralisation a prévu de confier l'autorité de gestion par délégation aux départements qui en font la demande de tout ou partie des actions relevant de l'Etat (article 3 du projet de loi de mobilisation des régions pour la croissance et l'emploi et de promotion de l'égalité des territoires).
Sur la période allant de 2007 à 2013, l'ensemble des fonds européens représentent environ 20 milliards d'euros.
M.H.

 

 

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