Développement des territoires - Les métropoles françaises sur une pente oligarchique et postdémocratique ?
Dans sa revue "Territoires 2040", la Délégation interministérielle à l'aménagement du territoire et à l'attractivité régionale (Datar) fait le point sur les réflexions prospectives engagées depuis octobre 2009 pour imaginer les grandes mutations à venir qui auront un impact sur les territoires et prévoir les actions correctives qui permettront de mieux maîtriser ces évolutions. Un premier compte rendu de ces réflexions avait été livré le 3 juin 2010 à l'occasion d'un colloque sur "les systèmes spatiaux à l'heure du changement", permettant aux sept groupes de travail constitués de livrer leurs premiers résultats de recherche. Cette fois, le premier numéro de "Territoires 2040" avance les premières controverses prospectives, au premier rang desquelles celles des métropoles françaises, un sujet au coeur des discussions autour de la réforme des collectivités territoriales. Dans son article "Des métropoles ingouvernables aux métropoles oligarchiques", Gilles Pinson, professeur à l'université de Lyon et chercheur au laboratoire transdisciplinaire Triangle, livre un constat inhabituel sur les grandes villes et métropoles. Si on a toujours considéré les métropoles comme des zones ingouvernables et fragmentées, "c'est un scénario très différent de celui du chaos qui a prévalu dans les grandes villes françaises", indique ainsi Gilles Pinson, qui considère que les grandes villes et métropoles de France ont surtout émergé en tant que productrices de visions et de politiques pour le territoire. "Les choses sont rarement dites en ces termes en France, mais c'est un véritable pouvoir urbain ou métropolitain qui a émergé dans notre pays", insiste-t-il. Pour le chercheur, ce pouvoir - à travers le chevauchement des compétences, la situation de pluralisme, l'éparpillement des ressources - "a généré des incitations à la coopération et a finalement permis qu'une capacité d'action se recrée dans les villes". En somme, pour s'organiser, les acteurs locaux ont dû coopérer et trouver de nouvelles formes de dialogue et les moyens d'intéresser les acteurs économiques du territoire.
Les vertus des métropoles
Gilles Pinson souligne les vertus de ce nouveau système de gouvernance. "Bien souvent, des grands projets urbains, des dispositifs de planification stratégique ou de prospective ou encore l'organisation de grands événements ont servi de mécanismes de coalition à la diversité des acteurs et des organisations qui font la ville. Ils ont permis de mettre en place des mécanismes plus délibératifs, plus négociés, plus partenariaux de définition des stratégies urbaines." Mais si les grandes villes françaises ne sont pas si "ingouvernables" que ça, "elles ont cependant leur part d'ombre", signale Gilles Pinson. Elles comportent notamment le "risque d'engager le gouvernement des villes sur une pente oligarchique et postdémocratique (c'est-à-dire excluant les classes populaires, ndlr)". Principale raison de cette évolution : "L'évasion institutionnelle", qui se caractérise par des décisions prises en dehors des assemblées locales, municipales ou intercommunales. "On sait désormais que les progrès de l'intégration intercommunale sont largement dus à des arrangements institutionnels qui permettent à un certain nombre de maires de garder la main sur les structures intercommunales au travers de logiques de négociation qui contournent en grande partie les assemblées communautaires", explique Gilles Pinson. Par ailleurs, l'impératif de croissance et de compétitivité avec les grandes métropoles mondiales impose des choix stratrégiques pour les métropoles, comme la présence d'un aéroport, d'un quartier d'affaires ou d'un centre de congrès, sans participation de la population. Enfin, la troisième raison de cette dérive oligarchique tient à la démobilisation politique des catégories populaires, qui ont tendance à s'isoler politiquement. Une classe sociale qui n'a plus les moyens ni sociaux ni matériels d'être représentée sur le plan politique au niveau national et local (disparition des grandes usines, des quartiers ouvriers et des "banlieues rouges") et dont les relations avec les maires se sont dégradées. "Au final, le tableau des métropoles françaises est contrasté, conclut le chercheur. Elles sont redevenues des espaces et des acteurs politiques de premier plan, [mais] la construction d'une capacité d'action publique urbaine se fait aussi au prix de l'opacité politique, de la construction d'une pensée unique métropolitaine et de la marginalisation politique des groupes sociaux les plus modestes."
Emilie Zapalski