Petite enfance - Les communes doivent être les garantes du droit de garde opposable
Le 12 février dernier, François Fillon chargeait Michèle Tabarot, députée des Alpes-Maritimes, d'une réflexion "sans tabou" sur les moyens de mettre en œuvre le droit opposable à la garde d'enfants. Message bien reçu, avec un rapport qui propose de rendre les communes et les intercommunalités responsables de la mise en œuvre de ce nouveau droit.
Egalement maire du Cannet et présidente du Conseil supérieur de l'adoption, Michèle Tabarot a remis le 23 juillet au Premier ministre son rapport sur le développement de l'offre d'accueil de la petite enfance. Conformément à sa lettre de mission, elle n'hésite pas à bousculer un certain nombre d'idées reçues.
Tout en soulignant l'effort "considérable" consenti par la France pour l'accueil de la petite enfance (plus de 7,5 milliards d'euros en 2005 pour l'accueil des moins de 3 ans), le rapport commence par rappeler que les crèches françaises "demeurent marquées par leur vocation historique de protection sanitaire infantile". Cela se traduit par de lourdes contraintes de gestion et de fonctionnement.
Dans la lettre de mission adressée à Xavier Bertrand le 1er août 2007, Nicolas Sarkozy demandait une mise en œuvre effective du droit à la garde d'enfants pour 2012. Compte tenu de l'effort à fournir, le rapport Tabarot est nettement plus prudent - ou plus réaliste - et propose une démarche en trois temps. De 2009 à 2012, l'accent serait mis sur le développement de l'offre de garde destinée prioritairement aux enfants de 2 à 3 ans, notamment sous la forme de la création de jardins d'éveil dans les structures existantes et les écoles maternelles, et du déploiement d'un service d'accompagnement des familles à la recherche d'un mode de garde. A partir de 2012 et "si l'état d'avancement du développement de l'offre d'accueil le permet", le droit à la garde deviendrait effectif pour l'ensemble des enfants de 2 à 3 ans. Le droit à la garde d'enfants ne serait ensuite étendu progressivement à l'ensemble des enfants qu'à partir de 2015, toujours en fonction de l'évolution de l'offre d'accueil.
Au moins 320.000 places à créer
En matière de places à créer, le rapport se veut également réaliste. Il estime ainsi leur nombre entre 300 et 500.000, une fourchette très large mais qui englobe les chiffres évoqués jusqu'alors par le gouvernement (entre 350 et 400.000) et par la Caisse nationale d'allocations familiales (430.000 places). Compte tenu de l'ampleur - assez peu opérationnelle - de cette fourchette, le rapport va plus loin en se fondant sur une hypothèse médiane. Ainsi pour atteindre un ratio global de 60 places pour 100 enfants de moins de trois ans (contre 51 places aujourd'hui) - avec un taux plus élevé de 65% pour les enfants à partir de deux ans -, il sera nécessaire de créer environ 322.000 places, "à situation inchangée de scolarité" (autrement dit sans modification de la politique d'accueil de la petite enfance dans les écoles maternelles). Le rapport souligne toutefois que les besoins de garde sont très différents selon les territoires. Le taux d'enfants scolarisés en maternelle à deux ans varie en effet, selon les départements, de 2% à plus de 40%... Le chiffre de 500.000 places retenu pour le haut de la fourchette correspond d'ailleurs à l'hypothèse où les enfants de moins de deux ans ne seraient plus scolarisés à l'école maternelle.
Créer une compétence facultative
Le rapport aborde également la question centrale de la responsabilité finale de la mise en œuvre du droit de garde opposable. Considérant que "le maire est l'interlocuteur naturel des parents à la recherche d'un mode de garde sécurisé et de qualité, à un coût financier supportable", il propose de confier aux communes et intercommunalités "une compétence facultative en matière de développement de l'offre de garde et la responsabilité de l'accueil de la petite enfance" (responsabilité dont elles ne disposent pas juridiquement aujourd'hui). Les communes ou intercommunalités trop petites ou non volontaires pour assumer cette responsabilité pourraient déléguer cette compétence aux CAF (solution compliquée car elle interdirait aux CAF de financer les équipements concernés pour ne pas être juge et partie) ou aux départements. Pour sa part, la Cnaf serait la garante d'une répartition équilibrée de l'offre sur le territoire, les orientations générales en la matière étant définies dans le cadre de sa convention d'objectifs et de gestion (COG) avec l'Etat.
De façon plus large, le rapport estime nécessaire de mettre en place une nouvelle organisation du pilotage de l'offre d'accueil, en renforçant la place des communes. Il propose ainsi de leur donner la possibilité "de se saisir d'une compétence d'agrément des structures collectives municipales et des assistantes maternelles", actuellement assurée par les départements.
Des mesures innovantes
Au-delà de ces mesures de planification et d'organisation, le rapport propose aussi plusieurs mesures innovantes pour augmenter l'offre et mettre ainsi en œuvre le droit de garde opposable.
Outre la priorité au développement de l'offre d'accueil pour les 2-3 ans avec la création des jardins d'éveil, il préconise d'inciter au développement des crèches et services de garde d'entreprise, de favoriser le regroupement des assistantes maternelles au sein de maisons d'assistantes maternelles et - plus original - d'ouvrir aux seniors la possibilité de participer à la garde à domicile des enfants.
L'information sur les modes de garde serait assurée par un numéro d'appel national unique et par un site internet permettant de connaître l'état de l'offre disponible, de simuler le coût des différentes solutions possibles, de remplir son dossier en ligne et de se voir attribuer un numéro d'inscription. Un chantier informatique qui s'annonce considérable lorsque l'on connaît les difficultés des systèmes informatisés à l'échelle d'une seule ville.
Estimant qu'"un temps de garde parentale est souhaitable dans les tout premiers mois de la vie", le rapport recommande de modifier profondément le congé parental. Celui-ci serait plus ouvert (dès le 1er enfant), plus court (un an au lieu de trois) et mieux rémunéré (67% du salaire brut, plafonnné à 1.800 euros par mois), ce qui pourrait inciter des pères à le prendre.
Pour permettre le développement de l'offre, le rapport préconise aussi un assouplissement généralisé des normes applicables à l'accueil de la petite enfance. Les assistantes maternelles pourraient ainsi accueillir jusqu'à quatre enfants (au lieu de trois). Les conditions de qualification des responsables de structures d'accueil de la petite enfance seraient assouplies (démarche déjà bien engagée), de même que les possibilités d'accueil en surnombre.
Seul bémol à ce rapport ambitieux : les délais laissés à la mission n'ont pas permis de procéder à un chiffrage des mesures. Michèle Tabarot propose toutefois dès à présent d'affecter les surplus de la branche famille au financement de la mise en place du droit de garde opposable. Ces excédents prévisionnels devraient représenter un total cumulé de 13,5 à 15,9 milliards d'euros entre 2009 et 2012, mais l'état des autres comptes sociaux et du budget de l'Etat ne manquera pas d'en faire un objet de convoitise à bien d'autres titres.
Jean-Noël Escudié / PCA