Industrie - Les collectivités ne veulent plus de la politique du guichet ouvert dans l'automobile
En visite au Salon de l'automobile, le 5 octobre 2010, Christian Estrosi, ministre de l'Industrie, a lancé le comité stratégique de la filière automobile. "Avec ce comité, nous affichons clairement notre volonté de gagner en compétitivité, en innovation, pour reconquérir des parts de marché et refaire de notre industrie automobile une exportatrice nette", a précisé le ministre. Il est vrai que les chiffres ne sont pas des plus encourageants. Entre 2007 et 2009, la production de véhicules (particuliers et utilitaires) en France est passée de 3 à 2 millions d'unités, soit une baisse de 33% (source : CCFA). Sur la même période, les personnes employées dans l'automobile sont passées de 275.000 à 229.000 : la filière a donc perdu 17% de ses emplois en deux ans. Et en septembre 2010, le marché des véhicules particuliers neufs a chuté de 8,1% par rapport à septembre 2009, après une baisse de 7,9% en août. "La crise a accéléré la mutation du secteur au profit des pays émergents. A partir de 2012, plus de 50% de la production automobile mondiale sera réalisée dans ces pays, en particulier les 'Bric' : Brésil, Russie, Inde et Chine", indique Gérard Morin, responsable du secteur automobile chez PricewaterhouseCoopers. Face à l'ampleur du phénomène, le nouveau comité stratégique de filière, qui sera présidé par Christian Estrosi, reprend les axes de travail élaborés à la suite des états généraux de l'automobile, en janvier 2009 : une réflexion et une action menées au niveau de la filière dans son ensemble, non seulement du duo Renault-PSA, et qui s'appuie notamment sur la plateforme de la filière automobile (PFA). Celle-ci réunit constructeurs, équipementiers, sous-traitants, pôles de compétitivité, centres de recherche, organismes professionnels. "Avec la crise, qui a touché le plus durement les PME du secteur, tout le monde a pris conscience de la nécessité de resserrer les liens entre constructeurs et équipementiers, sous-traitants, fournisseurs, jusqu'aux plus petits maillons, de retrouver une solidarité mise à mal par les délocalisations et les achats dans les pays 'low cost'. Sans un réseau de sous-traitants forts, innovants, les constructeurs français ne seraient que des géants aux pieds d'argile", souligne Edgar Dauger, président du Caria (clubs automobiles régionaux de l'industrie automobile), qui fédère les Aria (associations régionales de l'industrie automobile), bras armé de la PFA en région. Dans cette perspective, élus locaux et nationaux se concentrent en priorité sur la revitalisation du tissu industriel automobile, avec en tête le modèle allemand. "Il y a en Allemagne une stratégie industrielle identifiable, une volonté politique à l'échelon des Länder, une action sur le secteur bancaire et une filière organisée. Chez nous, il n'y a rien de tout ça", résume Jean-Jacques Mirassou, sénateur PS de Haute-Garonne.
Une exigence plus forte sur les aides
Cette focalisation sur la filière et le territoire se traduit d'abord par une exigence plus grande quant à l'utilisation des aides. En octobre 2009, Martial Bourquin, sénateur PS du Doubs, terre automobile et fief de PSA, reprenait ainsi une requête de nombreux élus, gauche et droite confondues : "J’ai demandé que soit formée une commission d’enquête parlementaire sur les aides et les prêts dédiés à la filière automobile - près de 10 milliards d'euros au total entre 2008 et 2010. En effet, ma curiosité à cet égard n’est pas toujours satisfaite et se trouve aujourd'hui ravivée du fait que le fonds stratégique d'investissement (FSI) a apporté 200 millions d’euros au fonds de modernisation des équipementiers automobiles (FMEA). Or, à ce jour, nous ne connaissons toujours pas exactement les critères industriels et économiques d’éligibilité des entreprises au FMEA." Quelques mois plus tard, en février 2010, le FMEA annonçait au Sénat la création d'un fonds destiné aux petits équipementiers et sous-traitants, doté de 50 millions d'euros. Puis, en septembre 2010, le président du FSI, Hervé Guyot, venait détailler les investissements du FMEA devant la mission sénatoriale sur la désindustrialisation des territoires. "Il est certain qu'il y a une pression beaucoup plus forte du législateur pour augmenter et contrôler l'impact des aides accordées. Ce qui passe par une compréhension exhaustive du phénomène des délocalisations, qui ne touche pas seulement les usines des grands constructeurs, mais aussi les services, l'ingénierie, la recherche et développement, et bien sûr de nombreux sous-traitants", souligne Gérard Cornu, sénateur UMP d'Eure-et-Loir, président du groupe d'études sur l'automobile. Dans les régions, les départements, les plans de soutien commencent également à se faire plus sélectifs, assortis de conditions sur le maintien de l'emploi, de la production et de la recherche. En Haute-Normandie, par exemple, le conseil régional a voté, en 2008, une subvention de 4,75 millions d'euros en faveur de Renault, conditionnée à la construction d'un nouveau véhicule haut de gamme dans l'usine de Sandouville. Avant d'annuler l'aide, quand le constructeur a choisi de fabriquer le modèle en Corée du Sud. "Il faut dire que plusieurs centaines d'ouvriers Renault ont fait irruption dans le conseil régional en réclamant des élus qu'ils fassent beaucoup plus attention à la contrepartie des subventions. Ceci dit, nous allons tout de même verser à l'entreprise 12 millions d'euros pour la fabrication d'un moteur diesel dans l'usine de Cléon. Mais cette fois sous forme d'avance remboursable. Le problème est que, chaque fois, Renault nous met en concurrence avec d'autres sites dans le monde", indique un chargé de mission au conseil régional de Haute-Normandie. Derrière cette remarque se profile une autre évolution des politiques de soutien locales et nationales : elles portent de plus en plus sur des produits et process à forte valeur ajoutée, moins facilement délocalisables, et ne bénéficient plus seulement à deux constructeurs, mais à toute une grappe d'entreprises, ancrées dans le territoire.
La voiture propre, un levier pour le redémarrage du secteur
"La crise a modifié les relations entre le conseil régional et la filière automobile en contraignant les acteurs à prendre conscience de leur rôle dans le développement local. Ainsi, nous réfléchissons actuellement à la création d'un pôle d'excellence avec l'ensemble de la filière, axé sur l'innovation et la formation", explique Pierre de Saintignon, vice-président du conseil régional du Nord-Pas-de-Calais. Plus généralement, les aides de l'Etat et des collectivités s'orientent en flux croissant vers les pôles de compétitivité automobile : véhicule du futur (sur les voitures innovantes, en Alsace et Franche-Comté), Mov'Eo (sur la recherche et développement automobile et les transports publics, en Ile-de-France), iD4car (sur les véhicules haut de gamme et haute technologie, en Bretagne), Lyon Urban Truck & Bus (transports urbains d'avenir, en Rhône-Alpes). Ainsi le plan de soutien à l'automobile de la région Ile-de-France, à hauteur de 1,5 million d'euros pour la période 2009-2012, est intégralement alloué au pôle Mov'eo, avec pour objectif un renforcement des 8.000 PME franciliennes de la filière, autour des futurs véhicules hybrides et tout électriques. Du reste la voiture propre, reine du Salon de l'automobile, est vue par les collectivités et l'Etat comme un levier important pour le redémarrage du secteur. D'abord parce que Renault et PSA projettent la construction de leurs premiers modèles électriques et hybrides en France. "Dans un premier temps, les constructeurs auront besoin de la commande publique - les flottes automobiles des collectivités, des services de l'Etat, de la Poste... - pour doper leurs ventes et abaisser leur point mort. Les élus disposent donc, a priori, d'un pouvoir de négociation beaucoup plus fort", remarque un chargé de mission à la région Ile-de-France. D'autant plus que l'électrique a favorisé l'apparition de nouveaux industriels (Bolloré, Venturi...). Et que les collectivités comme l'Etat se retrouvent en première ligne pour la création d'infrastructures de recharge des batteries. "Nous sommes en train de négocier une convention, avec Renault, pour l'équipement de la vallée de la Sambre en bornes de recharge électrique. Nous allons être très vigilants sur les contreparties apportées par l'entreprise", souligne un élu de Maubeuge, où Renault produira, à partir de 2011, la Kangoo électrique.
Les aides défensives ne suffiront pas
Parallèlement les responsables publics et territoriaux investissent dans l'amélioration de la productivité des équipementiers et sous-traitants locaux. Dans chaque région, les Aria sont ainsi les maîtres d'oeuvre d'un vaste programme subventionné par l'Europe, l'Etat et le conseil régional. "Il s'articule autour de trois axes : la mise en commun et le déploiement des bonnes pratiques au sein de la filière, la mise à disposition de sociétés de conseil spécialisées en 'lean management', et des études de 'global costing' pour cerner précisément le coût caché des délocalisations et achats dans les pays 'low cost'", souligne Philippe Julie, délégué général de l'Aria Nord-Pas-de-Calais. Cet effort s'inscrit dans le cadre d'une réflexion d'ensemble. "Pour chacun des onze métiers de la filière automobile, les professionnels ont élaboré de concert un plan stratégique à moyen et long terme. Pour la dynamique, pour le moral, il est essentiel que chaque entreprise, même petite, ait une vision sur l'avenir de son métier", observe Edgar Dauger. Enfin les Aria jouent un rôle d'aiguilleur dans le maquis des aides publiques. "Nous servons, en quelque sorte, de guichet unique. C'était d'autant plus important au pire de la crise, quand les PME étaient trop en stress pour avoir le temps de chercher la subvention qui leur correspondait et de monter le dossier", indique Vincent Carel, responsable d'Autoessor, représentant de la PFA en Lorraine. Au total, la plupart des acteurs de la filière partagent le même constat : les aides massives, débloquées pendant la crise (prêts aux constructeurs, prêts et garanties Oseo, prime à la casse, extension du chômage partiel, FMEA...) ont permis d'amortir le choc et de limiter la casse sociale. "Dans le Nord-Pas-de-Calais, par exemple, la production a diminué de 44% et les effectifs 'seulement' de 10%", note Philippe Julie. Cependant les élus et décideurs ont également compris que face à l'ampleur des délocalisations et mutations en cours, les aides défensives ne suffiraient pas. "Il faut sortir des logiques purement financières et se concentrer sur le renforcement de la filière industrielle locale, des relations entre constructeurs et équipementiers", rappelait en juin 2010, au sortir d'une réunion avec Christian Estrosi, le président délégué de l'Association des collectivités sites d'industrie automobile, un ensemble de collectivités représentant plus de 75% des sites automobiles. Tout le monde, du maire au ministre, est donc d'accord sur l'origine de la panne. Reste à réparer.
Paul Arguin