Le Sénat s'inquiète des conséquences de la RE 2020
Le rapport d'information de la mission flash du Sénat sur l'impact économique de la réglementation environnementale 2020 (RE 2020) craint "des répercussions socio-économiques lourdes" (sur la filière gaz et certaines filières de matériaux de construction, sur les coûts de construction...) et ce, "pour des bénéfices énergétiques et climatiques encore incertains". Les futurs décrets devront en tenir compte. De son côté, Bruno Le Maire est récemment revenu sur le démarrage en flèche de MaPrimeRénov' : "ça va trop vite", a-t-il glissé.
La commission des affaires économiques du Sénat a adopté, le 10 mars, le rapport d'information de la mission flash sur l'impact économique de la réglementation environnementale 2020 (RE 2020). Présentée il y a quelques semaines, celle-ci doit s'appliquer à compter du 1er janvier 2022 (voir notre article du 18 février 2021). Le Sénat s'inquiète de conséquences négatives que pourrait avoir certaines composantes de cette nouvelle réglementation et invite le gouvernement à en tenir compte dans les décrets d'application, en cours de préparation.
Le filière gaz en grand danger
La mission flash a été conduite par Daniel Gremillet, sénateur (LR) des Vosges. Elle s'appuie sur une étude d'impact indépendante, commandée par le Sénat à la société d'avocats TAJ et au cabinet de consultants Deloitte. La rapporteur a également rencontré une soixantaine d'intervenants à l'occasion de 25 auditions : professionnels de la construction, bailleurs privés et sociaux, grands énergéticiens, filières du gaz, de l'électricité, du fioul, de la chaleur, du bois et des énergies renouvelables, administrations de l'énergie et de la construction. Le rapport reflète assez largement la position de ces professionnels qui, tout en adhérant au principe de la RE 2020, s'inquiètent néanmoins de certains de ses aspects et plus encore de son calendrier de mise en œuvre.
Le rapporteur regrette le manque de concertation lors de l'élaboration de la RE 2020 et conteste l'étude d'impact du ministère – "réalisée selon une méthode en silos" –, d'où la commande par le Sénat d'une expertise indépendante. Les inquiétudes qui en résultent portent sur plusieurs secteurs, à commencer par la filière gaz. Celle-ci pourrait en effet être confrontée à l'interdiction de facto de l'installation de 100.000 chaudières à gaz par an, soit une perte globale de 2,95 milliards d'euros et de 8.280 emplois en équivalents temps plein et une déstabilisation des 36 usines intervenant dans la fabrication de chaudières à gaz et des 15.000 entreprises chargées de leur installation.
A l'inverse, l'étude du Sénat montre que la RE 2020 pourrait entraîner, d'ici à 2024, un gain de chiffre d'affaires de 2,95 milliards d'euros pour le secteur des pompes à chaleur (PAC), de 504 millions pour l'électricité décentralisée et de 145 millions pour la biomasse. A cette échéance, 6.014 ETP seraient nécessaires pour les PAC et 313 pour la biomasse.
Quel impact sur le prix du logement ?
Au-delà de l'évolution contrastée de ces secteurs, le Sénat s'inquiète aussi d'un risque de déstabilisation des filières des minéraux et des métaux dans le secteur de la construction, sous l'effet de l'approche selon le cycle de vie (ACV) des bâtiments. Mais, là aussi, des modes de construction moins émissifs (bois-construction, matériaux bio-sourcés ou béton "bas-carbone") pourraient tirer profit de cette évolution.
Au final, le rapport d'information craint "des répercussions socio-économiques lourdes, pour des bénéfices énergétiques et climatiques encore incertains". Les ménages pourraient notamment être pénalisés, par le surcoût induit par le remplacement des chaudières au gaz par des systèmes hydrides ou des PAC. Ces derniers apportent certes une économie notable en coûts de fonctionnement, mais les professionnels audités – la FPI (Fédération des promoteurs immobiliers) comme l'USH (Union sociale pour l'habitat) – estiment que "l'installation de PAC en comparaison des solutions standards a mis en évidence une baisse de la consommation énergétique, mais qui n'est pas amortie en 50 ans en raison des surcoûts liés à l'installation, la maintenance et le remplacement".
Sur les logements neufs, le rapport estime que la RE 2020 "va entraîner une hausse des coûts de construction des bâtiments neufs, résidentiels comme tertiaires". Les professionnels disent anticiper une hausse à court terme qui pourrait aller jusqu'à 10%. Le gouvernement ne nie pas une probable hausse, mais il l'estime de l'ordre de 3 à 4% sur le court terme et rappelle l'expérience de la RT 2012 pour laquelle les hausses annoncées ne se sont finalement pas produites, sous l'effet des progrès technologiques et des effets d'apprentissage (voir notre article du 18 février 2021).
Des risques pour quels bénéfices ?
Enfin, le Sénat ne manque pas de rappeler que les risques évoqués par le rapport sont à comparer aux bénéfices – selon lui assez limités – attendus de la RE 2020 sur la consommation d'énergie et sur les émissions de GES (gaz à effet de serre). Cette novelle réglementation s'applique en effet à seulement 1% du parc immobilier (correspondant à la construction neuve chaque année) et la diminution de GES porte sur 1,6 MtCO2eq d'ici à 2030, soit 3,3% des émissions totales du secteur résidentiel (48,3 MtCO2eq). Dans ces conditions, "les véritables enjeux, en matière de réduction de la consommation d'énergie et d'émissions de GES, résident sans doute moins dans la production que dans la rénovation des logements".
Le rapport formule néanmoins 20 propositions à destination du gouvernement, parmi lesquelles la création d'un groupe de suivi et l'introduction d'une clause de revoyure sur la RE 2020, des mesures en faveur des filières impactées, ou encore une réévaluation du montant du chèque énergie à hauteur des répercussions de la RE 2020 sur le pouvoir d'achat des ménages, ainsi qu'un allègement de la fiscalité sur les logements neufs perçue par l'État, à commencer par TVA.
MaPrimeRénov' : le gouvernement prêt à une rallonge
Interrogé le 10 mars sur BFM Business, Bruno Le Maire est revenu précisément sur la question de la rénovation énergétique, présentée par le Sénat comme la véritable solution pour réduire la consommation énergétique et les émissions de GES. Évoquant le rythme de mise en œuvre du plan de relance (26 milliards d'euros déjà engagés sur les 100 milliards du plan), le ministre de l'économie, des finances et de la relance a expliqué qu'"il y a des dispositifs sur lesquels ça va trop vite". Il a cité la digitalisation des PME, la relocalisation industrielle, mais aussi le dispositif MaPrimeRénov', mis en place au début de l'année dans sa nouvelle version élargie (voir notre article du 27 janvier 2021).
Bruno Le Maire a aussitôt ajouté "et tant mieux... [...] Sur MaPrimeRénov', je pense que nous aurons consommé l'intégralité de l'enveloppe avant la fin de l'année 2021, au rythme où vont les choses". Il a expliqué que 55.000 MaPrimeRénov' sont actuellement accordées chaque mois. Le ministre a également ajouté que "dans ce cas-là, il faudra alimenter le dispositif. On n'y est pas encore, mais ça fonctionne très bien". Pour mémoire, l'objectif fixé à l'Anah (Agence nationale de l'habitat) pour 2021 est de 500.000 MaPrimeRénov' distribuées.