RE 2020 : ce sera pour le 1er janvier 2022
Emmanuelle Wargon a présenté ce 18 février la future réglementation environnementale des bâtiments neufs (logements et tertiaire), dite RE 2020, qui marque l'aboutissement des ultimes négociations avec les acteurs du secteur. Dont l'Union sociale pour l'habitat, la Fédération française du bâtiment et la Fédération des promoteurs immobiliers, présentes ce jeudi aux côtés de la ministre du Logement. La RE 2020 n'entrera finalement en vigueur qu'au 1er janvier 2022, avec des étapes ultérieures jusqu'en 2031. Et d'autres concessions ont été acceptées. Ce que saluent les fédérations. Celles-ci se posent toutefois des questions en termes de soutenabilité économique et technique.
Emmanuelle Wargon a présenté ce 18 février le résultat des ultimes négociations avec les acteurs du secteur pour finaliser les contours de la RE 2020 (réglementation environnementale), qui a vocation à s'appliquer à l'ensemble des logements et du tertiaire neufs. Ses grandes lignes en avaient été présentées par Barbara Pompili et Emmanuelle Wargon à la fin du mois de novembre dernier (voir nos articles du 24 novembre et du 27 novembre 2020). La présentation a eu lieu à l'occasion d'une réunion associant également, dans les locaux du ministère, Emmanuelle Cosse, la présidente de l'USH (Union sociale de l'habitat), Alexis Rouque, le délégué général de la FPI (Fédération des promoteurs immobiliers), et Jean Passini, le président de la commission Environnement et construction durable de la FFB (Fédération française du bâtiment). Assistaient également – virtuellement – à la réunion les représentants des principales filières de matériaux utilisés dans la construction.
"Une concertation intense dans la dernière période"
La présentation finale de la RE 2020 – autrement dit la future réglementation environnementale des bâtiments neufs – marque l'achèvement d'une longue période de maturation : elle était en effet censée s'appeler au départ RE 2018 et succéder à la RT (réglementation thermique) 2012. Dans sa présentation, Emmanuelle Wargon a ainsi rappelé que la RE 2020 (le nom ne changera pas malgré le report) est le résultat d'un "long processus de maturation avec l'ensemble des acteurs" et qu'elle a donné lieu à "une concertation intense dans la dernière période", dont la réunion du 18 février marque l'aboutissement. C'est aussi la première fois que les acteurs de la construction ont pu travailler sur un indicateur carbone en cycle de vie, à travers la notion d'"ACV dynamique" (analyse en cycle de vie), qui est bien sûr maintenue dans la nouvelle réglementation, malgré les critiques récurrentes à son encontre.
La ministre a également rappelé les trois grands objectifs de la RE 2020 : produire des bâtiments qui consomment moins et utilisent des énergies moins carbonées, ménager une transition progressive vers des constructions bas-carbone, en misant sur la diversité des modes constructifs et la mixité des matériaux et, enfin, concevoir des bâtiments plus agréables en cas de forte chaleur (sous l'intitulé de "confort d'été", qui évite d'évoquer le réchauffement climatique).
Un décalage d'un an et quelques concessions pour finaliser la RE 2020
Pour parvenir à finaliser la RE 2020, la ministre du Logement a accepté de faire un certain nombre de concessions – qualifiées de "points de passage" –, qui ne modifient toutefois en rien la dynamique et le sens général de la démarche. Elle a ainsi indiqué avoir "accepté un assouplissement des délais" en reportant la date d'entrée en vigueur de la RE 2020 au 1er janvier 2022, au lieu de l'échéance initialement prévue du 1er janvier 2021, d'abord reportée à l'été 2021, puis devenue intenable avec les conséquences de la crise sanitaire. Ce report au 1er janvier 2022 entraîne, par réaction en chaîne, le décalage d'un an des étapes suivantes de la RE 2020, qui se situeront désormais en 2025, 2028 et 2031.
Emmanuelle Wargon a également accepté des "délais de transition" sur le cas des maisons individuelles, portant notamment sur les opérations engagées. Il en va de même pour quelques "ajustements sur le contenu". La ministre du Logement en a cité trois : davantage de temps laissé aux réseaux de chaleur par rapport aux bâtiments individuels (un décalage compensé par le fait que les progrès sur les réseaux de chaleur impactent un grand nombre de logements, contrairement aux chauffages individuels), un assouplissement sur la question des fondations et "l'ajustement d'un ou deux seuils". Au final, Emmanuelle Wargon se dit "sûre qu'on maintient l'ambition, avec une approche pragmatique".
L'USH, la FPI et la FFB sur la même ligne, mais des craintes sur les coût
Pour Emmanuelle Cosse, "l'élaboration de la RE 2020 s'est faite à l'envers, mais les dernières semaines ont permis de rattraper ce qui n'avait pas été fait jusqu'alors". La présidente de l'USH a dit "partager l'ambition de la RE 2020", tout en précisant qu'une approche technique et technocratique "ne doit pas faire oublier les occupants et la manière d'habiter" les logements. L'USH s'est donc montrée particulièrement vigilante sur des sujets comme l'adéquation des seuils avec la réalité du terrain, la mixité des solutions (comme le gaz vert) ou, plus largement, la volonté de ne pas s'enfermer dans une réponse unique. Emmanuelle Cosse attend toutefois encore des précisions sur l'allègement de l'impact carbone des fondations. Pour l'USH, il reste néanmoins un doute majeur : la capacité de "tenir financièrement la RE 2020" tout en respectant les obligations des bailleurs sociaux sur des loyers accessibles et en renforçant la production de logements PLAI (à faibles loyers).
De son côté, Jean Passini, le président de la commission Environnement et construction durable de la FFB, "salue l'ambition et l'audace du gouvernement" et partage l'essentiel des objectifs, comme la mixité des solutions pour atteindre les objectifs fixés. Il se dit également d'accord "sur la presque totalité des seuils", tout en reconnaissant que "c'est faire des hypothèses sur les progrès [des techniques et des méthodes], d'où importance de la clause de revoyure et de la création de l'observatoire de la RE 2020". Restent quelques craintes ou points de vigilance comme l'impact sur le coût des logements, celui sur l'adaptation des filières, ou encore "la situation conjoncturelle compliquée, [qui] surajoute à la difficulté".
Enfin, Alexis Rouque confirme que le processus d'élaboration a été "heurté". Il voit néanmoins dans la RE 2020 "à la fois un risque et une opportunité". Côté risques, le délégué général de la FPI cite le bouleversement dans les références des métiers concernés, l'impact en termes de coût, mais aussi un bénéfice limité sur le logement neuf (qui ne représente chaque année que 1% du parc existant). Côté opportunités, il voit dans cet "effort collectif" un "vecteur très puissant d'innovation" et la possibilité de développer un discours sur la qualité, "important pour convaincre les élus et les clients", mais aussi "un moyen d'attirer les talents et les jeunes". La FPI estime néanmoins que "le plus difficile démarre aujourd'hui", avec de forts enjeux de soutenabilité : soutenabilité économique, soutenabilité technique – "on part dans l'inconnu dans une certaine mesure" et il "ne faut pas s'enfermer dans des choix techniques" –, mais aussi "soutenabilité administrative", en faisant de la RE 2020 "autre chose qu'une simple réglementation".
Des concessions sur l'impact des fondations
Au-delà de ces prises de positions, la réunion a permis d'apporter des précisions sur un certain nombre de points plus techniques, avec le cabinet de la ministre. Les textes relatifs au logement vont ainsi être mis en consultation publique dès le début du mois de mars, avec pour objectif une publication pour la fin du premier semestre 2021. Pour les bâtiments tertiaires (en l'occurrence uniquement les bureaux et les bâtiments scolaires), une "concertation rapide" va être menée en mars-avril en vue d'une entrée en vigueur des textes correspondants en 2022, à une date non précisée. Enfin, le calendrier est encore flou pour le "tertiaire spécifique", mais les textes devraient suivre avec au moins un an de décalage.
La question des fondations – ou plus précisément du lot "infrastructures" des chantiers, qui inclut également d'autres éléments comme les parkings – a été l'un des points durs de la concertation. La concession acceptée est qu'au-delà du seuil réglementaire de 40 kgCO2/m2/an (en deçà duquel l'impact carbone est pleinement comptabilisé), 100% du dépassement du poids carbone sera "effacé", autrement dit ne sera pas pris en compte. Pour expliquer cette entorse, l'entourage de la ministre explique que les contraintes ne sont pas le fait du maître d'ouvrage (problèmes géologiques, contraintes du PLU...) et ne sauraient donc lui être imputées.
Un seuil transitoire pour les réseaux de chaleur et pas de retour du chauffage électrique
Pour les réseaux de chaleur urbains, la concession se situe dans les délais, avec la création d'un "jalon intermédiaire" dérogatoire de 8 kgCO2/m2/an de 2025 à 2027 pour les bâtiments raccordés à un réseau de chaleur (près des trois quarts des réseaux de chaleur ont déjà atteint ce seuil), avant de rejoindre le seuil d'objectif de 6,5 kg en 2025. En outre, il est prévu de prendre en compte non pas le bilan carbone du réseau de chaleur à la date du dépôt de permis de construire, mais "le contenu carbone prospectif du réseau jusqu'à un horizon de cinq ans". Cette possibilité est toutefois assortie de l'obligation de présenter "un acte établissant une décision d'investissement de la collectivité" (par exemple un délibération), permettant d'évaluer le contenu carbone futur du réseau, après réalisation des travaux.
Le cabinet de la ministre s'est également voulu rassurant sur le possible retour du chauffage électrique, qui se trouve "réhabilité" de facto par le faible impact en gaz à effet de serre (GES) de la production électrique française, fortement nucléarisée (sur ce point, voir aussi notre article du 15 février 2020 sur le nouveau diagnostic de performance énergétique). En effet, la RE 2020 empêche de fait la construction de logements faisant l'objet d'un chauffage électrique intégral par effet Joule (convexion de chaleur).
Sur le contrôle des engagements prévus par la RE 2020, l'entourage d'Emmanuelle Wargon a précisé qu'il sera nécessaire de déposer des données chiffrées à plusieurs points de la procédure. Le suivi d'ensemble sera assuré par l'Observatoire de la RE 2020 – mis en œuvre par la DUHP (direction de l'habitat, de l'urbanisme et des paysages) –, qui collectera automatiquement ces données et les exploitera.
Quel impact réel sur le coût du logement ?
Reste bien sûr la question de l'impact de la RE 2020 sur le coût final des logements qui préoccupe, donc, à la fois l'USH, la FPI et la FFB. L'entourage de la ministre maintient sa perspective d'un surcoût de 10% à l'horizon 2031 sur l'ensemble de la chaîne de construction, pour les logements collectifs comme pour les maisons individuelles. Il se veut néanmoins rassurant. Il rappelle en effet que, lors du lancement de la RT 2012, le surcoût était évalué à 10 à 15%. Or celui-ci ne s'est pratiquement pas matérialisé, grâce aux progrès dans les matériaux et les techniques. Pour la RE 2020, les mêmes effets pourraient jouer et la mise en place progressive des contraintes devrait également favoriser les apprentissages et les adaptations. De même, l'expérience acquise à travers le label E+C- (bâtiments à énergie positive et réduction carbone) devrait jouer favorablement, comme l'expérience acquise avec le label BBC (bâtiments basse consommation) avait joué en faveur de la RT 2012.
La préoccupation porte en fait surtout sur les "surcoûts immédiats", autrement dit lors de l'entrée en vigueur de la RE 2020. Ces surcoûts devraient être "a priori faibles", de l'ordre de 3 à 4% des coûts de construction, avec toutefois des variations selon les types de constructions. Et le ministère ne manque pas de mettre en face un certain nombre de gains socio-économiques sur la durée de vie des bâtiments : baisse de facture énergétique, émissions de carbone évitées, création d'emplois locaux...
En attendant, Emmanuelle Wargon a annoncé son intention de "continuer et approfondir la méthode pour mettre en place un processus de normalisation", qui permettrait à la France de peser dans les évolutions des normes européennes.