Social - Le rapport Cayeux propose une action sociale recentrée sur la sphère intercommunale
Caroline Cayeux, maire de Beauvais, a remis le 5 mai au Premier ministre son rapport intitulé "L'expérience beauvaisienne du plan d'harmonie sociale au service du renforcement de l'efficacité de l'action sociale locale". Ce document original a notamment pour objet, selon la lettre de mission signée de François Fillon en janvier dernier, de proposer "des pistes pour garantir une plus grande efficacité aux politiques d'action sociale engagées conjointement par les collectivités locales". L'expérience de Beauvais repose en effet sur une approche innovante, consistant à appréhender l'action sociale "sous l'angle du projet de développement local".
Le département, chef de file ou simple exécutant ?
Sur les outils mis en oeuvre, le rapport n'apporte pas d'innovations particulières. Pour l'essentiel, le dispositif beauvaisien mobilise les différentes prestations, actions et interventions assurées par la ville elle-même, le département, l'Etat ou les autres acteurs sociaux. Les principales différences en la matière concernent la définition des publics et la priorisation des interventions. Sur le premier point, Beauvais a choisi d'étendre aux personnes âgées la notion de "travailleur pauvre" qui conditionne un certain nombre de prestations et d'interventions. Autre originalité sur ce point : la ville a choisi, pour les différentes prestations qui s'y réfèrent, de fixer le seuil de pauvreté au revenu médian et non pas à 60% de ce revenu, comme il est habituellement d'usage. En revanche, sur les actions mises en oeuvre, Beauvais ne diffère pas véritablement des autres collectivités comparables, même si ses interventions se construisent autour d'un certain nombre de valeurs revendiquées : lutte contre l'individualisme, mise en avant de la "valeur travail", personnalisation de la solidarité (qui permet d'interpréter avec souplesse les barèmes et autres outils normatifs), etc.
La seconde partie du rapport passe en revue le rôle respectif des différents acteurs de l'action sociale. Elle s'interroge notamment sur celui du département - "chef de file de l'action sociale ou simple exécutant ?" - qui intervient sur un territoire jugé "trop grand pour cerner les problématiques sociales locales". A l'inverse, la commune et l'intercommunalité sont présentées comme la "cheville ouvrière historique de l'innovation sociale locale", ce qui est vrai en termes d'accueil de la petite enfance, mais l'est beaucoup moins en matière de handicap ou de prise en charge de la dépendance des personnes âgées. Sur ce point, le document en arrive à la conclusion, déjà balisée par de nombreux rapports, "qu'entre la répartition par blocs de compétences, la répartition de compétences par type de public, la capacité à intervenir de manière complémentaire dans la sphère d'intervention d'une autre institution et les nombreux partenariats imposés ou non par le législateur dans le cadre de l'application des différents dispositifs, l'action sociale locale perd à la fois en visibilité et en efficacité". Le rapport se prononce par conséquent en faveur d'un "recours massif" à la contractualisation.
Un droit opposable à l'action sociale locale
L'originalité du rapport se retrouve surtout dans sa dernière partie, consacrée aux "Préconisations pour une meilleure efficacité de l'action sociale conjointement engagée par les collectivités locales". Comme le constat le laissait clairement deviner, Caroline Cayeux s'y prononce en faveur d'un recentrage du dispositif d'action sociale autour de l'intercommunalité. Pour cela, elle propose notamment de généraliser les centres intercommunaux d'action sociale (CIAS) à l'ensemble du territoire et de leur confier un rôle de "guichet unique virtuel" chargé d'assurer l'accompagnement des bénéficiaires et de mobiliser les différents dispositifs existants. Ce rôle nouveau des CIAS reposerait en particulier sur la mise en oeuvre d'un "droit opposable à l'action sociale locale minimum". Celui-ci repose sur un "tronc commun de mesures fondamentales pour la préservation de la cohésion sociale", regroupant la préservation de la capacité alimentaire, d'un mode de vie décent (logement, énergie, eau) et de l'accès aux soins (CMU), ainsi que la prévention du surendettement. En termes de pilotage, le rapport propose à la fois "une contractualisation uniformisée sur l'ensemble du territoire national donnant systématiquement lieu à une indemnisation forfaitaire unique fixée par le législateur" - une préconisation qui rappelle la revendication traditionnelle des CCAS sur la rémunération de leurs interventions dans l'instruction des dossiers - et la mise en place d'un comité de pilotage à l'échelle intercommunale.
Reste à savoir si l'expérience de Beauvais est transposable à l'ensemble du territoire. Sur ce point, le Premier ministre est resté très prudent. Tout en félicitant Caroline Cayeux pour la politique sociale exemplaire menée par la ville de Beauvais et pour la qualité de son rapport, François Fillon s'est contenté d'indiquer que "ce rapport constituait un élément important afin de mieux appréhender les politiques sociales locales et les bonnes pratiques en matière de droits connexes locaux". En attendant la prochaine remise du rapport de Sylvie Desmarescaux sur cette question des droits connexes...
Jean-Noël Escudié / PCA
Et pour bientôt, le rapport Desmarescaux
Matignon a indiqué mardi lors de la remise du rapport Cayeux que "la réflexion du gouvernement" sera également "enrichie" par un autre rapport, celui de la sénatrice Sylvie Desmarescaux consacré à "l'articulation du RSA et des différentes aides locales existantes sur le territoire national". La sénatrice du Nord avait en effet été chargée en décembre dernier, à peine plus d'un mois avant la mission Cayeux, d'une mission temporaire auprès de Martin Hirsch afin de "travailler à l'harmonisation des droits connexes locaux". Cette concomitance entre deux missions parallèles portant sur des sujets plus qu'adjacents peut d'ailleurs étonner.
Sylvie Desmarescaux a mené, depuis, une concertation active avec diverses instances, dont l'ADF, l'AMF, l'Unccas et la Cnaf. La dernière réunion a eu lieu le 28 avril et le rapport devrait être rendu d'ici la fin du mois de mai au haut-commissaire aux Solidarités actives. Ces travaux confirment, comme le prévoit déjà la loi de généralisation du RSA, que "l'on ne peut plus accorder d'aide en fonction du statut du bénéficiaire", tel que l'a résumé une collaboratrice de Sylvie Desmarescaux le 29 avril lors des Journées nationales sur le RSA et les politiques d'insertion organisées par l'ADF. Cette "préconisation" devrait notamment se traduire par "la signature d'une déclaration de principe par tous les partenaires". Une déclaration qui inclurait "une clause indiquant qu'il sera ensuite tenu compte des remontées du terrain" pour affiner les règles du jeu. La question des droits connexes tant locaux que nationaux - avec, pour les droits nationaux, le problème de l'éligibilité des bénéficiaires du RSA à la CMU - a d'ailleurs été soulevée à plusieurs reprises lors de ces journées d'échanges sur le RSA. Elle l'a notamment été par l'Unccas, forcément préoccupée par l'évolution des aides financières extra-légales attribuées par les CCAS et CIAS, même si, a assuré Françoise Tenenbaum, vice-présidente de l'Unccas, nombre d'entre eux pratiquent déjà une politique d'aides liées aux revenus et non plus au statut. Mais "veillons bien au respect du principe de libre administration des collectivités locales", a-t-elle aussi prévenu. Le rapport Desmarescaux est en tout cas apparemment attendu.
Claire Mallet