Protection de l'enfance - Le Premier ministre précise la prise en charge des enfants de retour de la zone irako-syrienne

Dans une instruction "signalée" du 23 mars, Bernard Cazeneuve détaille la question très sensible des modalités de retour des enfants de djihadistes, emmenés par leurs parents en Syrie et en Irak, ou nés sur place. A travers l'aide sociale à l'enfance, les départements sont amenés à jouer un rôle important dans le dispositif ainsi mis en place.

Avec le recul territorial de Daech, la question du retour des Français partis rejoindre le djihad se pose avec une acuité croissante. Or un certain nombre d'entre eux ont quitté le pays avec leurs enfants, souvent très jeunes, voire en bas âge. Aussi une instruction du Premier ministre du 23 mars 2017 précise-t-elle les modalités de prise en charge des mineurs à leur retour de zone irako-syrienne sur le territoire, y compris clandestinement, et prévoit un accompagnement spécifique adapté à leur âge et à leur situation individuelle. L'instruction du Premier ministre indique que "certaines estimations donnent le nombre d'environ 450 mineurs dont la plupart sont très jeunes, soit emmenés par leurs parents, soit nés sur place".

Saisine systématique du juge des enfants

Face à cette situation sans précédent, la circulaire prévoit un dispositif qui "s'appuie largement sur le droit commun" et permet d'offrir "une prise en charge et un accompagnement spécifiques de ces mineurs, adaptés à leur âge et leur situation individuelle, de prévoir à cette fin la coordination et l'articulation des dispositifs de droit commun, et de prendre en compte le besoin de formation et d'accompagnement des personnels qui auront à les prendre en charge".
L'instruction du Premier ministre se fixe comme objectif "de mobiliser l'ensemble des services de l'Etat sur cette problématique", mais aussi "d'améliorer leur coordination avec les conseils départementaux chargés de la prise en charge de ces enfants en protection de l'enfance".
La circulaire commence par rappeler le cadre juridique de ces retours de mineurs : identification, saisine du procureur de la République et diffusion de l'information (notamment à l'ARS et au président du conseil départemental), afin "d'organiser au mieux la prise en charge de l'enfant en mobilisant les professionnels compétents et en s'assurant de disposer d'une place adaptée pour l'accueil du ou des enfants au sein d'un établissement ou d'une famille d'accueil" et, enfin, saisine du juge des enfants.

Un bilan médico-psychologique et une scolarisation anticipée

L'instruction détaille ensuite les cinq composantes principales de cette prise en charge. La première consiste en la réalisation, le plus précocement possible, d'un bilan somatique et médico-psychologique de l'enfant, en recherchant systématiquement le consentement de l'enfant (s'il est en mesure de le donner), mais aussi l'accord parental (sous réserve que l'enfant soit titulaire d'un acte d'état civil).
L'ARS informe la préfecture des bilans effectivement réalisés et "transmet, le cas échéant, les résultats au médecin de l'aide sociale à l'enfance" (ASE). L'ARS doit également identifier les structures et professionnels volontaires pour assurer le suivi des mineurs ou de leurs familles, dans l'hypothèse où le bilan préconiserait un suivi spécifique. Elle en informe alors le service de l'ASE auquel l'enfant est confié.
Toujours au titre de cette première étape, l'instruction règle également la situation des mineurs qui doivent être scolarisés. Leur affectation est alors anticipée et le directeur académique des services de l'éducation nationale (Dasen) participe à la cellule de suivi pour la prévention de la radicalisation et l'accompagnement des familles (CPRAF) en formation restreinte, réunie à l'initiative du procureur de la République. En s'appuyant sur les partenariats existants, il est également chargé de mettre en place la coordination nécessaire entre les services départementaux de l'éducation nationale, les établissements d'enseignement et les acteurs de terrain, en vue d'une prise en charge adaptée des mineurs.
Enfin, cette première partie vise aussi le cas des enfants déjà rentrés de la zone irako-syrienne, en précisant que "les mineurs actuellement pris en charge par l'ASE ou la protection judiciaire de la jeunesse dans le cadre d'une mesure ordonnée par un juge des enfants doivent pouvoir bénéficier de ce dispositif".

Des référentiels de bonnes pratiques

La seconde partie concerne la prise en charge des parents et ne fait... que six lignes. Il est vrai qu'elle vise uniquement le cas - sans doute assez rare - des parents ne faisant pas l'objet de mesures judiciaires après leur garde à vue. Dans cette situation, ceux-ci devront faire l'objet d'un accompagnement et d'un suivi social, avec un accès aux droits tel le RSA, "qui permettra de faciliter leur intégration".
La troisième composante du dispositif prévu par la circulaire vise la formation et l'accompagnement des professionnels chargés de la prise en charge de ces mineurs. Il s'agit en l'occurrence de sensibiliser les intéressés - parmi lesquels les personnels concernés de l'ASE - au processus de radicalisation et aux modalités de suivi de ces mineurs.
Le fonds interministériel de prévention de la délinquance (FIPD) finance de telles actions de formation à destination des professionnels, tandis que "des référentiels de bonnes pratiques seront élaborés prochainement par les associations et fédérations nationales têtes de réseaux pour guider les professionnels (psychologues, psychiatres, travailleurs sociaux) dans la prise en charge des situations de jeunes dans un processus de radicalisation".

Sensibiliser et accompagner les professionnels

L'instruction prévoit également de mobiliser les actions de sensibilisation mises en place par le référent laïcité-citoyenneté de la protection judiciaire de la jeunesse, mais aussi les référents radicalisation de l'éducation nationale. De même, les ARS organiseront, en 2017, des sessions régionales de sensibilisation, s'adressant plus particulièrement aux psychologues et psychiatres implantés dans les territoires, "y compris aux professionnels des départements". Par ailleurs, une session de sensibilisation/formation sera adaptée, dès mars 2017, aux besoins des professionnels de santé des établissements de soins référents pour la prise en charge d'enfants de retour des zones de conflit.
L'instruction précise également qu'il relève de la responsabilité de chaque institution concernée de mettre en place un accompagnement des professionnels en contact avec ces enfants (cellules de soutien, analyse des pratiques, supervision...).

Coordination et partage d'informations

La quatrième composante de l'instruction du Premier ministre concerne la coordination du dispositif et le partage de l'information. Elle prévoit que cette coordination est assurée par le préfet, qui a déjà la responsabilité de la CPRAF et du réseau des référents pour la prévention de la radicalisation désigné - à la suite d'une circulaire du Premier ministre du 13 mai 2016 - dans chaque service déconcentré de l'Etat.
Le partage d'informations au sein des instances ayant à traiter de la prévention de la radicalisation est encadré légalement dans deux domaines, qui autorisent l'échange d'informations "confidentielles" : au sein des états-majors de sécurité (EMS) des conseils départementaux de prévention de la délinquance et des cellules de coordination opérationnelles des forces de sécurité intérieure des zones de sécurité prioritaires, mais aussi, "si la fonction locale le justifie et selon des modalités déterminées conjointement avec le représentant de l'Etat", au sein des conseils locaux ou intercommunaux de sécurité et de prévention de la délinquance (CLSPD et CISPD).
Il s'agit en l'occurrence d'échanges permettant de vérifier que toutes les situations sont connues des acteurs et que le dispositif global de prise en charge fonctionne. La circulaire précise que "pour des échanges plus approfondis autour des prises en charges, les textes applicables sont les articles L.121-6-2 et L.226-2-2 du code de l'action sociale et des familles, qui autorisent le partage entre personnes soumises au secret professionnel en matière d'action sociale et de protection de l'enfance, dans d'autres espaces que celui des cellules de suivi dédiées auprès des préfets".

Un suivi piloté par les ministères de la Justice et des Familles

Enfin, la dernière composante de l'instruction ministérielle concerne l'évaluation et le suivi du dispositif. Elle prévoit notamment l'installation d'un comité de suivi du dispositif, sous le pilotage conjoint du ministère de la Justice et de celui en charge des familles. Le secrétariat en est assuré par le secrétariat général du comité interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation (SG-CIPDR).
A noter : l'instruction du Premier ministre propose, en annexe, un focus sur l'organisation des soins pour les mineurs de retour de la zone irako-syrienne, un modèle de formulaire d'autorisation parentale en vue de la réalisation d'un bilan de santé et un schéma s'efforçant de résumer le circuit de l'information.

Références : Premier ministre, instruction du 23 mars 2017 relative à la prise en charge des mineurs à leur retour de zone irako-syrienne.

 

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