Aménagement numérique - Le plan France Très Haut Débit dans les ascendances
Deux années auront été nécessaires pour construire, puis amorcer la mise en oeuvre d'une nouvelle feuille de route du très haut débit en France. On en connaît bien les éléments constitutifs : une durée de dix ans (2012-2022), 20 milliards d'investissements partagés entre l'Etat, les collectivités et les opérateurs privés, pour rendre 80% des foyers éligibles à la fibre optique jusqu'à l'abonné (Ftth) et une création de valeur estimée à environ 20.000 emplois (1).
Le début de l'année 2014 aura été marqué par le quasi-achèvement du chantier réglementaire et par le passage à la phase industrielle du déploiement, officialisé lors de la première conférence annuelle du Plan France très haut débit, le 6 février 2014. Antoine Darodes, directeur de la Mission très haut débit y annoncera le dépôt de 56 dossiers de départements au fonds pour la société numérique (FSN), confirmant ainsi la forte appétence des collectivités locales. Une motivation qui se poursuivra au fil des mois, puisque le compteur affiche aujourd'hui 68 demandes de départements.
Un cahier des charges plus contraignant et exigeant
Toutefois, de nombreux élus de collectivités locales demeurent sur la réserve. Il y a eu, récemment, l'épisode du financement des aides par l'Etat, qui ne semblait pas bouclé. Mais aussi pas mal d'autres sujets de préoccupation. En effet, le cahier des charges imposé par le FSN semble nettement plus exigeant et restrictif que ne le laissaient supposer les premières annonces. Après des joutes parfois serrées, la Mission, qui assure désormais l'instruction des dossiers, applique strictement le cadre défini par le gouvernement. En cela, elle joue son rôle d'harmonisateur, y compris sur des points qui mécontentent les acteurs publics locaux. Ainsi, plusieurs collectivités ont été invitées à revoir leur projet de réseau d'initiative publique (RIP) pour intégrer, par exemple, l'offre "liaison fibre optique" (LFO) de location d'infrastructures passives d'Orange - lorsque celle-ci existait -, de manière à éviter les doublons dans la création de leur réseau de collecte. D'autres ont dû réviser à la baisse le raccordement des zones d'activités en fibre optique, faute d'une autorisation à déployer la fibre dans les zones où existait déjà une "offre raisonnable" en fibre optique. Et cela, notamment dans les zones ou Orange propose son offre de gros de référence (CE2O). Pourtant, les négociations d'assouplissement des règles se poursuivent et devraient même aboutir à la rentrée. Mais un peu tardivement au regard des départements dont le dossier a été validé ou est en cours d'instruction, car il ne sera pas possible de faire marche arrière.
SFR-Numéricable, un bouleversement de grande ampleur
A ces dispositions qui risquent d'impacter directement les entreprises, le grand bouleversement de ce premier semestre 2014 est la confirmation du rachat de SFR par Numéricable. Il modifie sensiblement l'équilibre du plan France très haut débit. La logique initiale d'un partage de la zone conventionnée entre deux opérateurs co-partenaires, Orange et SFR, n'est plus à l'ordre du jour. Désormais, le nouvel opérateur va jouer la carte des réseaux câblés. Leur modernisation est relativement bon marché et permet de toucher rapidement plus de 10 millions de foyers. Aussi découvre-t-on peu à peu l'ampleur des effets de ce nouveau montage industriel. Orange se retrouve isolé. Deux architectures différentes vont devoir coexister avec des performances plus limitées pour le nouvel arrivant. Numéricable, n'ayant pas participé à l'appel à manifestation d'intention d'investir, ne se sent a priori pas engagé sur les règles de couverture imposées aux opérateurs pour le déploiement du Ftth. Ce qui pose la question de son implication future, d'autant que sa présence sur certaines villes est partielle et risque de compliquer l'application des règles de complétude et les choix technologiques à retenir. Lorsque certains bourgs-centre sont déjà câblés, qui prendra à sa charge le déploiement du très haut débit dans les villages avoisinants qui, eux, ne le sont pas ? C'est ce que se demandent certains départements porteurs de projets de RIP. Les inquiétudes relatives à la commercialisation sont aussi exprimées plus fréquemment. Car l'équilibre des budgets des collectivités dépendra pour beaucoup des actions de co-investissement entreprises par les opérateurs privés dans les RIP. Or si Numéricable semble décidé à étendre sa présence, c'est à la condition d'une forte baisse des tarifs pratiqués… Du moins en attendant que les prix soient régulés par l'Arcep pour opérer une harmonisation. Un compromis qui risque de se révéler difficile. Les doutes subsistent également sur la position des autres opérateurs : Orange reste mesuré dans ses choix d'investissements, Free a bien annoncé qu'il serait présent, mais lorsque les réseaux seraient déployés, quant à Bouygues il semble hors-jeu pour le moment.
Conserver optimisme et motivation
Pour autant, la vision pessimiste - souvent dominante en ces périodes économiquement difficiles - n'est peut-être pas la plus adéquate. Ne faut-il pas faire davantage confiance au marché et aux consommateurs ? Les départements déjà engagés dans la commercialisation, comme ceux de l'Ain et de la Manche, conservent une bonne dose d'optimisme. En effet, les réunions de pré-vente ne désemplissent pas. Elles confirmeraient l'impatience d'usagers toujours plus exigeants sur la qualité et les débits.
On le voit, beaucoup de chemin reste à parcourir. Parmi les sujets sensibles de la rentrée, il y aura la création de l'agence du Numérique qui se fait toujours attendre. Ce sera administrativement un service à compétence nationale donc très dépendant de l'Etat et de ses services - et un peu moins des collectivités. On pense aussi à l'harmonisation des tarifs de gros sur les RIP que la Mission et l'Arcep commencent à préparer, à la réforme territoriale encore un peu lointaine qui imposera certainement un nouvel environnement auquel il convient de se préparer… Tout cela n'aura rien d'un long fleuve tranquille. Mais nulle doute que le système saura s'adapter, à condition de maintenir le volontarisme actuel. C'est du moins ce que pensent les territoires les plus avancés aujourd'hui. Gageons que les autres suivront.
Philippe Parmantier / EVS
(1) Etude commandée par l'Etat avec le concours de la plateforme objectif fibre et du collecteur de fonds de formation sur le secteur du BTP, Constructys.