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Aménagement numérique - Mission Très Haut Débit : entre pilotage stratégique et proximité avec les territoires

Création d'une Agence du numérique, conséquences du rachat de SFR sur les investissements des opérateurs privés, conventions de déploiement, intervention d'investisseurs de long terme, raccordement prioritaire des entreprises... interrogé par Localtis suite au colloque "THD 2014" de l'Avicca, Antoine Darodes, directeur de la mission Très Haut Débit, revient sur certains dossiers sensibles du plan France Très Haut Débit.

Localtis - Où en est le chantier de création de l'Agence du numérique ?

Antoine Darodes - Tout n'est pas encore bouclé mais l'Agence devrait voir le jour cet été ou à la rentrée. Administrativement, ce sera un service à compétence nationale au sein de Bercy, qui aura vocation à traiter toutes les dimensions du numérique, le développement des infrastructures comme celui des usages. A cette fin, elle regroupera la mission Très Haut Débit, les équipes dédiées à la FrenchTech et la délégation aux usages de l'internet. La secrétaire d'Etat au Numérique doit très prochainement faire une communication sur ce sujet - aussi vous comprendrez que je lui laisse le soin des annonces.

Comment la mission Très Haut Débit se positionne-t-elle dans ce nouveau cadre ?

Nous allons poursuivre nos missions sur les infrastructures, comme l'instruction des dossiers, l'accompagnement des collectivités, sans oublier l'harmonisation technique et tarifaire, point sur lequel nous sommes en retard et que je souhaite accélérer dans les prochains mois. Il reste aussi beaucoup à faire dans l'accompagnement des collectivités. On voit notamment que lorsque les relations se crispent entre opérateurs et collectivités, la mission peut jouer un rôle de facilitateur intéressant, comme ce fut récemment le cas dans l'Ain (1). Ceci, il est vrai, au prix de beaucoup de temps passé. Les négociations ont commencé en juin 2013, l'accord sur les conditions du déploiement de la fibre a été finalisé en mars 2014 et sa mise en œuvre requiert encore une année de travail et de suivi.

Le traitement de ce dossier est certes très symbolique, mais la mission ne risque-t-elle pas d'être sollicitée sur d'autres théâtres d'opérations ?

Deux ou trois collectivités nous ont effectivement déjà appelés. Mais pour des réseaux construits avant le plan France Très Haut Débit. Il serait plus ennuyeux de devoir jouer les pompiers sur des réseaux instruits et validés par la mission. Heureusement, sur ce point, nous sommes globalement confiants.

Depuis octobre 2013, seules deux conventions de déploiement ont été signées dans les zones urbaines après celle de Lille. Comment expliquer cet immobilisme ?

Les trois conventions évoquées on été signées avec Orange, SFR en a signé quelques-unes de son côté et une vingtaine sont en préparation. C'est effectivement peu. Quoi qu'on en dise, ces conventions sont exigeantes pour les opérateurs et ceux-ci ne courent pas après.

Pourtant, ces conventions laissent aux opérateurs une souplesse et une liberté d'action...

Oui, elles laissent une certaine liberté aux opérateurs privés sur la manière de déployer leurs réseaux financés sur leurs fonds privés. Mais c'est une liberté surveillée à partir du moment où les opérateurs s'engagent contractuellement à réaliser ces déploiements. Elles reposent aussi sur une grande transparence. Si bien que les retards deviennent rapidement visibles. A ce frein des opérateurs, il convient d'ajouter l'effet conjoncturel des élections municipales qui a aussi retardé le processus. Demain, il s'agira peut-être de rechercher des solutions plus structurelles. En particulier hors des zones câblées, car c'est là qu'il faudra rassurer et garantir que les déploiements auront bien lieu.

Serait-ce là l'une des principales conséquences du rachat de SFR par Numéricable ?

Les zones câblées représentent en effet un potentiel de 10 millions de prises modernisées, ou en voie de l'être rapidement. Ce potentiel va générer une concurrence exacerbée qui aura vraisemblablement pour effet des déploiements rapides. Car il est probable qu'Orange concentre et accélère ses propres investissements Ftth dans ces zones. C'est une bonne nouvelle, mais qui comporte aussi le risque de ralentir le déploiement de la fibre dans les zones conventionnées non câblées. L'outil contractuel des conventions devra en conséquence jouer pleinement son rôle dans ces zones, appuyé le cas échéant par des solutions plus structurelles.

Mais en imaginant que les collectivités locales puissent prendre en charge les investissements non assurés par les opérateurs, comment les financeront-elles, à l'heure où il n'y a plus d'argent public ?

Des investisseurs français et étrangers frappent à ma porte régulièrement. La spécificité du pilotage national institué en France plaît notamment aux investisseurs anglo-saxons, qui considèrent le partage public-privé et le pilotage stratégique de l'Etat propres à assurer une certaine pérennité et sécurité. En conséquence, nous réfléchissons aux modalités qui permettraient d'associer des financeurs de long terme aux importants investissements que doivent consentir les opérateurs pour respecter leurs engagements en dehors du périmètre des zones câblées.

Les zones conventionnées non câblées deviendraient l'objet de toutes les attentions. De quelle manière alors pourraient être garantis les engagements initiaux ?

Dans ces zones, Orange s'est engagé à déployer entre 6 et 7 millions de prises FttH et SFR entre 2 et 3 millions. Il est clair qu'on consoliderait le plan dans ces zones en renforçant les garanties sur les enveloppes financières associées à ces engagements. L'une des manières d'y arriver pourrait être de faire converger l'intérêt des investisseurs de long terme et les besoins des opérateurs. La balle est dans leur camp et les solutions possibles sont nombreuses.

Le plan français est censé être un outil stratégique pour les entreprises. Pourtant, les lenteurs du déploiement et le seuil souvent élevé des tarifs pratiqués par les opérateurs contredisent cette volonté. Pourquoi un tel décalage ?

Il faut l'admettre, nous ne sommes pas pleinement satisfaits du soutien qu'apporte le plan France Très Haut Débit sur le raccordement rapide des entreprises à des solutions pertinentes de fibre optique. De mon point de vue, s'il devait y avoir un point noir, ce serait précisément celui de ne pas avoir trouvé d'outil suffisamment efficace pour soutenir le raccordement prioritaire des entreprises. Nous avons travaillé ces dernières semaines à des pistes opérationnelles d'amélioration. Le remaniement ministériel a un peu retardé les arbitrages qui doivent être rapidement rendus sur cette question. D'ici l'été, il pourrait y avoir un ajustement du cahier des charges du FSN.

Propos recueillis par Philippe Parmantier / EVS

(1) La mission Très Haut Débit a joué un rôle d'intermédiaire entre le Syndicat intercommunal d'énergie et de e-communication de l'Ain (Siea) et Orange dans un conflit qui les opposait depuis plusieurs années et qui portait sur les questions d'accès et de propriété du génie civil d'Orange ainsi que sur les conditions de déploiement du FttH dans le département.