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Aménagement numérique - "Convention très haut débit" : première mise à l'épreuve à Lille

La communauté urbaine de Lille, l'Etat, Orange et SFR ont signé les conventions pour le déploiement de la fibre optique (FTTH) sur l'agglomération. Cette première déclinaison locale de la convention-type préparée au niveau national permet de fixer les engagements des opérateurs. Mais des zones plus floues subsistent, dont le coût pour certains utilisateurs. Tout dépend de ce que l'on appelle un "local raccordable"...

La communauté urbaine Lille Métropole (LMCU), l'Etat et les opérateurs SFR et Orange ont signé le 28 octobre les premières conventions "France très haut débit" pour le déploiement du FTTH (fibre optique jusqu'au domicile) dans les zones moins denses de l'agglomération lilloise. Malgré les incertitudes liées à la nature réelle des engagements pris par les opérateurs, cet accord introduit des éléments plutôt positifs, soulignés par les élus locaux.

Agglomération rurale…

Cet accord, le premier du genre en France, signé par Martine Aubry, présidente de Lille Métropole Communauté Urbaine et maire de Lille, Jean-Yves Charlier, président-directeur général de SFR, Pierre Louette, directeur général adjoint et secrétaire général d’Orange et Fleur Pellerin, ministre déléguée à l'économie numérique, acquiert une valeur symbolique pour les agglomérations.
Il survient après deux années de négociations parfois assez "rugueuses" qui avaient conduit les responsables de la LMCU à préparer un dossier de délégation de service public, en cas de désaccord persistant. "Nous avions l'impression que certaines de nos communes allaient rester à côté de la route", devait rappeler Martine Aubry lors de la cérémonie de signature, soulignant au passage les caractéristiques atypiques de Lille, "seule métropole dont 40% des communes sont rurales et n'ont pas la densité qui intéresse spontanément les investisseurs". Les résultats obtenus prennent d'autant plus de valeur. Ils sont peut-être annonciateurs de négociations plus faciles pour les conventions à venir dans d'autres régions.

Tous les foyers lillois raccordables en 2020

La répartition des rôles était déjà connue. Dans l'accord national conclu entre les deux opérateurs le 15 novembre 2011, SFR assurait la charge du déploiement de la fibre optique dans 70 communes (115.000 logements) et Orange dans les 11 communes restantes de la zone moins dense (114.000 logements). Chacun agissant séparément et à son rythme dans les quatre communes situées en zone très dense.
L'accord conventionnel signé ce 28 octobre est plus précis sur les modalités de réalisation du réseau. Les opérateurs garantissent pour 2020 une prise optique "raccordable" pour chaque habitant de la métropole lilloise, sachant que les éventuelles dérives seront détectables tout au long du parcours, grâce à l'institution d'un suivi trimestriel des travaux. Des zones prioritaires sont également identifiées : SFR assurera le déploiement "accéléré" de la fibre optique sur les 24 communes dont l'accès est inférieur à 2 Mbps, sans remettre pour autant en cause le rythme de déploiement général. En cas de retard, l'opérateur sera tenu d'installer "des dispositifs transitoires" et il s'engage à ne pas demander plus de 300 euros aux particuliers pour leur raccordement à la fibre (une promesse toutefois non écrite dans la convention).

Locaux "raccordables" sur critères variables

Ces annonces, "alignées" sur la convention type adoptée il y a quelques jours par la mission France très haut débit (voir ci-contre notre article du 16 octobre), introduisent des éléments positifs – zones prioritaires, bilans de déploiement trimestriels, dialogue – mais posent, on le sait, la question des engagements réels pris par les opérateurs de réseaux conventionnés (ORC) et celle du coût d'installation qui sera supporté par les consommateurs.
"D'ici le 31 décembre 2020, l'ORC s'engage à avoir établi l'ensemble des points de mutualisation permettant le raccordement de l'ensemble des logements ou locaux à usage professionnel (dénommés génériquement 'locaux' quelle que soit leur destination)", peut-on lire... Ce point constitue la seule obligation formelle imposée à l'opérateur. Or pour que l'usager soit "raccordable", l'ORC devra encore déployer une fibre pour relier optiquement chaque local au point de mutualisation. Sur ce dernier segment du réseau, l'obligation de l'ORC se limite à un déploiement dans des "délais raisonnables". En outre, au niveau national, toujours sur cette partie terminale, les opérateurs ont multiplié les cas particuliers susceptibles de retarder les investissements, y compris dans les zones prioritaires. Ce que déplorent notamment l'Avicca et la FNCCR. Dans les programmes de raccordement présentés par l'ORC, il conviendra en effet de distinguer le local raccordable sans conditions particulières, le local raccordable dès autorisation, le local raccordable sur demande et enfin le local susceptible de soulever des difficultés exceptionnelles... Ces catégories permettant à l'opérateur de différer, de retarder, voire même, dans certains cas extrêmes, de s'exonérer du raccordement (voir encadré ci-dessous).

Risques d'inégalités par les frais d'accès ?

Si l'opérateur dispose d'une certaine maîtrise du rythme de déploiement (sans risque), sur le segment compris entre le point de mutualisation (PM) et le point de branchement optique, boîtier installé en pied d'immeuble ou à l'intérieur d'une copropriété, il peut aussi imputer une part de l'investissement sur le fournisseur d'accès qui le répercutera pour partie ou intégralement sur l'usager.
A Lille, SFR fixe cette limite à 300 euros ce qui sous entend que l'opérateur imputera des frais variables au consommateur en fonction de ses propres coûts de raccordement. Cette absence de règles d'imputation des frais ou de péréquation – du moins pour le moment – devrait engendrer des inégalités de traitement comme l'illustre à sa manière un directeur de syndicat numérique ayant participé aux travaux : "Dans la même rue, on pourra aussi bien trouver des logements raccordés sans frais, un petit immeuble raccordable sur demande avec frais d'accès, des maisons individuelles à des tarifs plus élevés, et plus loin, isolé, un local en situation exceptionnelle, non traité". De plus, la répercussion d'une partie des investissements sur les fournisseurs d'accès et sur les consommateurs pourrait également être un moyen de dissuasion supplémentaire dans les zones peu favorables.

Parier sur la dynamique du très haut débit

Certes, toutes les restrictions et échappatoires introduites réduisent l'effet contraignant des conventions. Le nombre de locaux "raccordables sur demande" sur Lille serait d'ailleurs très élevé. Pour autant, les élus lillois souhaitent aller de l'avant. "Peut-être aurons-nous des moments difficiles à traverser d'ici 2020 mais nous ne croyons pas à un déploiement des opérateurs qui n'irait pas chercher le marché", souligne ainsi un responsable local. En interne, on mise sur "le dialogue rétabli", sur "l'appétence des consommateurs" et sur la "mobilisation" des élus qui se sont montrés très actifs sur ce "chantier d'avenir". Les conventions représentent un point de départ, officialisent les engagements des opérateurs et "il sera toujours temps de corriger les éventuels défauts qui apparaîtraient en cours de route", ajoutent encore certains, convaincus qu'en marchant, "tout le monde finira par y trouver son compte".
Les faits pourraient donner raison à ces optimistes. En début de semaine, à propos de l'extinction du cuivre à Palaiseau, Orange confirmait la tenue des délais de son expérimentation et annonçait d'excellents premiers résultats : un an après son lancement, les trois quarts des clients grand public d'Orange avaient opté pour la fibre, avec des effets très positifs sur la consommation. L'opérateur confirmait une forte croissance des usages avec le triplement de la consommation internet (download), la multiplication par sept des accès au cloud et autres services externalisés (upload), ainsi qu'une progression équivalente des services de télévision de rattrapage, des bouquets de télévision payants et de la vidéo à la demande. De quoi rassurer les opérateurs et les inciter, si le mouvement se confirme, à accélérer leurs investissements. Mais aussi de quoi donner des arguments aux plus sceptiques, de quoi les inciter à poursuivre leurs appels à la vigilance en faveur, notamment, de tous ceux dont le mode d'habitat pourrait devenir un facteur d'exclusion de ces nouveaux moyens de communication. 
 

Attention aux locaux raccordables qui ne le sont pas…

Comme indiqué plus haut, un local devient raccordable s'il est branché optiquement au point de mutualisation (soit directement, soit par l'intermédiaire d'un point de branchement optique dans les immeubles collectifs). Or il existe, avec la convention, quatre catégories possibles de locaux raccordables, dont certaines susceptibles de fortement retarder les déploiements :
- Local raccordable sans conditions particulières. Il se situe dans un habitat dense et ses coûts d'installation sont limités, ce qui ne semble pas être le cas le plus fréquent dans la zone moins dense.
- Local raccordable dès autorisation. Un opérateur ne pouvant imposer sa présence dans une propriété privée sans autorisation explicite du bailleur, pourra attendre la délivrance de ce sésame pendant une durée indéterminée… . Autant dire que dans les zones moins intéressantes, les ORC ne se presseront pas pour l'obtenir. Ce régime des autorisations constitue l'un des principaux obstacles au déploiement mais n'est pas directement imputable aux opérateurs..
- Local raccordable sur demande. Dans les immeubles plus difficiles d'accès, l'opérateur pourra utiliser une clause de "raccordement sur demande". Certes, il existe bien une clause précisant que toute demande impose le raccordement dans les six mois. Mais celle-ci devra passer par un fournisseur d'accès à Internet (FAI). Or si l'opération n'est pas rentable pour lui (ce qui sera souvent le cas en raison des coûts d'installation répercutés), il ne répercutera pas la demande. Dans ce cas, l'usager sera placé dans une impasse.
- Local soulevant des difficultés exceptionnelles. Lorsque le raccordement entraîne "des surcoûts moyens très importants", il peut faire l'objet de négociations destinées à régler la difficulté puis remonter à l'arbitrage du comité de suivi, pour un résultat incertain puisqu'il n'y a pas de sanctions prévues…