Aménagement numérique - La vente de SFR aura-t-elle un impact sur les réseaux d'initiative publique ?

Les négociations sur la vente de SFR se poursuivent avec Numéricable. L'autre hypothèse de rachat, par Bouygues Télécom, n'est pas exclue. Quel peut être l'impact de l'opération sur l'avenir du plan France très haut débit ? Et, par ricochet, sur les réseaux d'initiative publique (RIP) au niveau local ? Malgré la relative complexité des stratégies des candidats repreneurs, quelques lignes directrices semblent se dégager.

La vente de SFR a connu de nombreux rebondissements, entre les promesses des candidats sur la fibre, le soutien du ministre Arnaud Montebourg apporté à Bouygues Télécom, puis le choix final du conseil de surveillance de Vivendi, donnant la préférence à Numéricable… En fin de semaine dernière, l'affaire semblait bouclée. Le directeur général de la Caisse des Dépôts, autre actionnaire de Vivendi, relançait toutefois ce lundi l'idée du "ticket Bouygues-SFR". Dans un entretien aux Echos  Jean-Pierre Jouyet indiquait en effet pouvoir accompagner en capital un rapprochement des deux groupes "si l'hypothèse se concrétisait".
Sur le plan économique, les différences entre les repreneurs ont été largement commentées : Numéricable dispose d'un réseau très haut débit de près de 8,5 millions de prises, certes moins performant que le Ftth mais immédiatement opérationnel, tandis que Bouygues Télécom est surtout engagé sur le marché du mobile avec une présence limitée dans l'accès internet fixe. L'impact de la fusion de l'un ou de l'autre sur le plan national France très haut débit reste difficile à déterminer, mais il serait nettement plus fort dans l'hypothèse d'un rachat de SFR par Numéricable
Ces incertitudes ont conduit les collectivités territoriales et certains industriels à s'immiscer dans le débat, à la fois pour prendre position et demander des explications.

Les associations en recherche de visibilité sur les nouvelles stratégies

L'Avicca avait ouvert le bal, la semaine dernière, en publiant la lettre adressée par Martin Bouygues à son président, Yves Rome. Dans cette lettre, le PDG du Groupe Bouygues  s'engageait à investir 400 millions d'euros par an dans le Ftth jusqu'en 2020, dont 50 millions dans les réseaux d'initiative publique, s'il était retenu par Vivendi. L'association concédait quelques mérites à ces propositions chiffrées, dans un communiqué plutôt favorable : "Des précisions importantes ont été apportées, notamment vis-à-vis de la couverture du territoire et des réseaux d’initiative publique." Et l'Avvica réaffirmait au passage sa préférence technologique : "La fibre optique jusqu'à l'abonné retenue dans ce projet présente les meilleures garanties d'évolutivité et d'accès partagé entre les différents opérateurs."
De son côté, la Fédération des industries des réseaux d'initiative publique (Firip), pointant les risques économiques du rachat par l'un ou par l'autre des candidats, invitait les ministères de tutelle et les organismes de régulation à rester "vigilants sur le respect intégral des engagements du nouvel ensemble qui pourrait être constitué", tout en mettant en garde sur d'éventuels reports des "efforts de mutualisation ou de réduction des coûts" sur les entreprises sous-traitantes.
Enfin, la Fédération nationale des collectivités concédantes et régies (FNCCR), après le choix annoncé par Vivendi, invitait dans un courrier les trois protagonistes - Bouygues Télécom, Numéricable et SFR - à préciser leurs intentions "en matière de co-investissement et de location passive ou active des réseaux d'initiative publique" et plus généralement à préciser leur position vis-à-vis des collectivités territoriales.
Au total donc, des réactions sur des registres assez différents, mais qui reposent toutes les trois sur une analyse précise des risques et des conséquences économiques du rachat de SFR sur les investissements privés dans la zone dite conventionnée et sur le financement des RIP.

Zone conventionnée : un équilibre fragilisé

La zone conventionnée serait fortement affectée par l'option Numéricable. L'opérateur dispose en effet aujourd'hui d'un stock de 5 millions de logements éligibles en technologie FTTLA (100 Mbps et plus) et de 3,5 millions en HTC (30 Mbps et plus), dont 50% répartis dans la zone conventionnée. On voit alors mal Numéricable, après le rachat de SFR, poursuivre le déploiement de la fibre dans les territoires ou il est présent. D'autant que le réseau, immédiatement commercialisable par la nouvelle entité, procurerait un avantage concurrentiel indéniable, tout en autorisant SFR à réduire ses investissements dans le très haut débit fixe. Orange serait non seulement privé d'une partie des ressources liées à la location de son réseau de cuivre à SFR (700 millions d'euros par, selon une estimation faite par la Société générale) mais les accords de co-investissement dans la fibre optique signés en novembre 2011 avec SFR seraient sérieusement écornés, voire annulés.
L'Avicca craint notamment de voir les investissements dans la zone conventionnée réduits à un seul acteur – Orange – qui aura plutôt à coeur d'accélérer la cadence sur les territoires déjà câblés, afin de mieux contenir la concurrence de la nouvelle entité. Un scénario qui pousserait les collectivités à reprendre le contrôle d'une partie des zones conventionnées. Mais en auraient-elles alors les moyens financiers ?
La position de Bouygues semble sur ce point plus rassurante. Les accords passés avec Orange seraient confirmés et même sécurisés, à condition que les engagements de 400 millions d'euros d'investissements annuels promis par Martin Bouygues soient tenus.

Les RIP retiennent l'attention

L'impact sur les réseaux d'initiative publique semble plus équilibré entre les deux opérateurs. L'enjeu est double : d'une part celui de l'investissement pour réaliser les infrastructures, d'autre part celui de l'exploitation et de la commercialisation, généralement confié à un fermier dans le cadre d'une délégation de service public (DSP), et censé équilibrer progressivement la charge financière des remboursements d'emprunts.
Sur le premier point, la marche à gravir est élevée, comme le rappelle l'Avicca : "Les collectivités vont en effet devoir investir 12 milliards d’euros, avec une aide de l’Etat de 3 milliards, sachant que pour assurer l'équilibre, près de 7 milliards de recettes devront provenir des opérateurs." Dans ce cadre, les deux candidats repreneurs ont proposé d'assurer les mêmes volumes d'investissement, soit 50 millions par an. Au regard des 7 milliards à trouver, le chiffre semble plutôt faible. Mais tout est relatif, car la durée de financement pourra dépasser les dix années du plan et si la dynamique des abonnements est enclenchée, ce plafond sera sans doute dépassé. "De toute manière, les chiffres annoncés nous donnent une visibilité et c'est toujours bon à prendre en ces temps de disette", fait remarquer un élu pragmatique.
Sur l'exploitation des RIP, les avis sont plus nuancés. Numéricable gère un certain nombre de petites DSP sur le câble et SFR collectivités totalise de son côté 20 DSP. Le regroupement produirait sans doute des synergies, mais beaucoup moins que dans l'hypothèse d'un rachat de SFR par Bouygues. L'addition de SFR collectivités et de la filiale du Groupe Bouygues, Axione (15 DSP), donnerait naissance à un puissant opérateur global d'infrastructures télécoms pour les collectivités territoriales. Certains acteurs comme la Firip s'en inquiètent. Ils y voient des risques de création d'un "duopole de fait concernant l'exploitation au sens large des RIP" susceptible de fausser la concurrence. D'autres acteurs rétorquent que le duopole SFR/Orange est déjà une réalité depuis l'arrivée des RIP de nouvelle génération et que celui-ci  est déséquilibré entre un opérateur de petite taille (SFR) et un opérateur puissant (Orange). La fusion SFR-Bouygues introduirait un rééquilibrage stimulant pour les deux concurrents ainsi que pour les futurs clients de ces deux pôles. Mais rendrait effectivement la vie plus difficile aux petits opérateurs tels que Covage, Altitude ou Tutor.

Quid de l'accord de mutualisation SFR-Bouygues sur le mobile ?

Dans les réseaux mobiles, l'équilibre serait modifié dans les deux scénarios de reprise. Que deviendrait l'accord de mutualisation des antennes-relais dans les zones prioritaires (57% de la population concernée), signé il y a quelques semaines par le PDG de Bouygues Télécom et celui de SFR ? On peut espérer qu'il serait maintenu dans les deux cas : celui de la vente par Bouygues Télécom de son réseau mobile à Free ou celui qui pourrait lier SFR/Numéricable et Bouygues. Toutefois, aujourd'hui, aucune information ne permet de garantir à 100% cette double hypothèse, certes logique économiquement mais pas forcément sur le plan des alliances.
Les changements introduits par la vente de SFR auront donc en tout cas un impact sur le déploiement du très haut débit fixe et mobile. Mais, pour l'heure, il n'y a pas lieu d'être pessimiste sur le résultat. Certes, la vigilance sur les choix à venir est plus que jamais de mise parmi les représentants des collectivités territoriales, notamment sur le respect des engagements pris par les opérateurs. Les pouvoirs publics, l'autorité de la concurrence et l'autorité de régulation des télécoms vont devoir également se retrousser les manches pour garantir le respect des grands équilibres et conforter la dynamique naissante sur le très haut débit fixe. Peut-être a-t-on aussi, à ce stade, trop sous-estimé le potentiel concurrentiel du câble dans la stratégie de déploiement du plan national. Ce sera peut-être la nouvelle composante à intégrer et à réguler, dans la perspective qu'un jour, tout le monde converge vers le Ftth. Autant de questions que l'on se reposera... dès que l'issue définitive de la vente sera connue. 

 

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