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Aménagement numérique - Mission très haut débit : "Rouvrir le guichet d'instruction des demandes de subventions"

A l'issue de plusieurs mois de travaux et de concertation avec les élus et leurs représentants, la nouvelle stratégie gouvernementale pour le déploiement du très haut débit sur l'ensemble du territoire a été adoptée. Désormais, l'Etat et les collectivités vont entrer de plain-pied dans la réalisation des réseaux d'initiative publique (RIP) de nouvelle génération. Dans une interview à Localtis, Antoine Darodes, directeur de la Mission nationale très haut débit, revient sur certains aspects de la feuille de route gouvernementale, notamment en matière de financement et de péréquation, et apporte un éclairage inédit sur la suite des opérations : chantiers en préparation, calendrier, étapes du déploiement...

Localtis : Le détail de la feuille de route sur le très haut débit n'a pas été diffusé pour l'instant. Quelle en est la raison ?

Antoine Darodes : Les annonces faites par le président de la République la semaine dernière et par le Premier ministre ont posé les grands arbitrages qui traduisent des choix forts et particulièrement ambitieux pour investir dans l'avenir de la France. La feuille de route amendée, qui précisera les détails de la mise en œuvre de la nouvelle stratégie, sera publiée dans les prochains jours. Par ailleurs, la ministre déléguée à l'Economie numérique, Fleur Pellerin, sera auditionnée par les commissions parlementaires sur ce dossier le 12 mars à l'Assemblée nationale et le 13 au Sénat.

Comment la mise en œuvre du Plan va-t-elle se traduire concrètement dans les prochains mois pour la Mission que vous dirigez ?

Les chantiers ne manquent pas. L'urgence est de rouvrir le guichet d'instruction des dossiers de subventions déposés par les collectivités territoriales, réouverture que nous envisageons dès la fin du mois d'avril afin de traiter les dossiers en attente. Pour cela, il faut préalablement adopter un nouveau cahier des charges du FSN [Fonds national pour la société numérique] afin d'intégrer une nouvelle stratégie, qui prévoit notamment le relèvement des niveaux de soutien, au service de la péréquation. Par ailleurs, les travaux sur l'extinction du cuivre vont s'engager dans les prochains jours en parallèle de l'expérimentation menée à Palaiseau. Nous réfléchissons à la saisine du régulateur, l'Arcep, sur plusieurs points tels que les conditions du soutien aux projets de montée en débit sur réseaux câblés des collectivités territoriales, dans les zones d'intervention publique. D'autres chantiers vont suivre. La publication d'une convention-type d'engagement et de suivi des déploiements des opérateurs privés est prévue pour cet été ; l'observatoire des déploiements sera disponible à partir d'un site web à l'automne et la préparation des référentiels techniques, qui se poursuit avec les opérateurs, associera prochainement les représentants des collectivités territoriales. Quant à l'évaluation des besoins de main d'œuvre et de formation pour la réalisation de ce grand chantier, elle devrait être finalisée dès le mois de juillet.

Le département comme chef de file de l'aménagement numérique, tel que prévu dans le projet de décentralisation, ne convient pas à tout le monde… Comment va s'organiser la gouvernance ?

Nous n'en sommes qu'au stade d'un projet de loi bientôt soumis à un débat parlementaire et qui sera sans doute nourri. En assurant le pilotage du Schéma directeur territorial d'aménagement numérique, le département est l'architecte de la cohérence des projets de déploiement. Ce choix prête sans doute à débat mais le projet actuel maintient une flexibilité indispensable, en permettant la possibilité de délégation à la région. Par ailleurs, le projet vise à permettre à l'ensemble des collectivités territoriales de conserver leurs compétences télécoms. Dans ce vaste chantier du très haut débit, les énergies, les compétences et les ressources de toutes les collectivités sont nécessaires. Et pour compléter, le principe d'une présentation et d'une discussion en amont des schémas dans les conférences territoriales devrait garantir la bonne circulation de l'information. L'hétérogénéité des situations sur le terrain est respectée. Certes, la région n'est pas initialement centrale dans le dispositif, mais il nous semble important qu'elle puisse le devenir lorsque les conditions d'un accord entre les parties sont réunies, à l'instar de l'Auvergne et de la Bretagne. D'ailleurs, la nouvelle stratégie prévoit d'inciter les départements à aller dans ce sens, en accordant des bonus de subvention aux projets pluri-départementaux qui réduisent généralement les risques opérationnels et commerciaux des investissements dans les nouveaux réseaux.

Le gouvernement devra-t-il encore légiférer pour boucler la mise en œuvre de la feuille de route ?

Un travail législatif sera probablement nécessaire pour créer et définir les missions de l'établissement public chargé d'accompagner le plan national Très haut débit. Il en sera de même pour le volet financier, qui pourra se concrétiser dans la prochaine loi de finances.

Le partage annoncé par le président de la République de la zone moins dense en deux tiers - l'un rentable, l'autre non rentable - pour déterminer des modes de financements introduit-il des changements dans la distribution des aides publiques ?

Non pas du tout. Simplement, les analyses financières montrent que les RIP vont générer des revenus permettant de financer une partie - environ la moitié - des investissements dans les zones à faible densité. L'autre moitié du besoin d'investissement devra être couvert par de la subvention, la répartition Etat-collectivités sur le montant de subvention étant établie sur le principe de la parité. Ainsi, sur un territoire donné, si le montant total des investissements sur la zone moins dense représente 160 millions d'euros, on estime en moyenne que 80 millions de recettes pourraient être attendus (par la location, le bitstream, le co-investissement sur ces réseaux). Dans ce cas, la part d'investissement public représentera également 80 millions répartis à parité entre l'Etat et les collectivités locales. Le partage des territoires moins denses en deux parties égales - autrement dit, les deux derniers tiers évoqués par le président de la République - est un mode de représentation pour souligner que la moitié de ces investissements pourront être supportés sur le long terme par les revenus espérés par la location de ces réseaux aux fournisseurs d'accès à Internet, l'autre moitié nécessitant des subventions des collectivités et de l'Etat, à parité, en moyenne.

Quel sera en définitive l'apport financier de l'Etat aux RIP locaux ?

Le volume d'ensemble représente environ 3 millards sur les dix prochaines années soit, en moyenne, 300 millions d'euros par an. Dans le contexte budgétaire actuel, un tel volume pérenne est un choix très fort du gouvernement d'investir dans l'avenir de nos territoires.
Concernant les prêts, ceux qui sont prévus sur fonds d'épargne ne couvriront pas forcément l'ensemble des besoins de financement, mais ils apporteront des solutions sur les financements à long terme que les collectivités territoriales ne parvenaient à obtenir jusque-là et contribueront déjà à une baisse sensible du coût financier des projets. Les conditions de mise en œuvre d'un différé d'amortissement sont également étudiées.

Comment abordez-vous la question très stratégique de la péréquation ?

L'essentiel des critiques formulées par les collectivités territoriales ont été prises en compte dans les simulations : plafonds trop bas, taux de résidences secondaires ou taille de la zone AMII... Par ailleurs, il est envisagé de considérer pleinement le soutien au déploiement des réseaux de collecte. Cela permettra de financer massivement la fibre dans les territoires les plus ruraux. Le nouveau modèle de péréquation figurera dans le prochain cahier des charges qui sera publié dans quelques semaines.

Que se passera-t-il pour les territoires ayant déjà obtenu une subvention?

Nous envisageons de leur permettre de présenter à nouveau leur dossier - dans la mesure où cela est compatible avec leur calendrier - et de choisir le meilleur résultat.

Plusieurs départements ont proposé d'étendre l'expérimentation du processus d'extinction du cuivre à d'autres territoires, notamment ruraux. Y êtes-vous favorable ?

L'idée d'une expérimentation en zone rurale peut être a priori séduisante. Néanmoins, elle pourrait être contre-productive si elle est initiée trop tôt. En effet, la mobilisation de l'opérateur historique, des opérateurs alternatifs et des pouvoirs publics, nécessaire à de telles expérimentations, est considérable et l'on peut craindre qu'une dispersion des efforts sur plusieurs expérimentations ralentirait celle menée à Palaiseau. Il semble préférable de concentrer les énergies sur ce chantier afin d'en tirer tous les enseignements. Une fois les premières évaluations effectuées, d'autres expérimentations pourraient alors être menées.

Comment s'organisera la transition entre la Mission et l'ouverture du futur établissement public ?

La mise en place d'un établissement public nécessite des délais incompressibles de plusieurs mois. Celui-ci ne devrait donc pas être opérationnel avant le début de l'année 2014. Dans ces délais, il n'est évidemment pas question de geler la mise en œuvre de la nouvelle stratégie. La Mission très haut débit est en quelque sorte le préfigurateur du futur établissement public en engageant dès les prochains jours les actions de pilotage du plan.