Aménagement numérique - Très haut débit sous moyenne tension

Les craintes d'une révision à la baisse des ambitions du plan Très Haut Débit avaient peu à peu pris forme au cours des derniers mois en raison d'une conjoncture défavorable. Le colloque THD 2014, organisé le 13 mai par l'Avicca, a apporté des clarifications et quelques assurances sur les priorités gouvernementales et les moyens engagés.

En ouverture de cette journée qui rassemblait près de 500 participants, le sénateur Yves Rome, président de l'Avicca, l'Association des villes et collectivités pour les communications électroniques et l'audiovisuel, a résumé la situation. D'abord en évoquant les aspects positifs : la "mobilisation politique exceptionnelle" dont a bénéficié le plan France très haut débit avec 95% de départements couverts par un schéma directeur d'aménagement numérique, une quinzaine de grands appels d'offres déjà attribués (1) et l'accélération du programme d'investissement "dans un contexte général de remise en cause des projets d'infrastructures".
Puis il s'est penché sur les motifs d'inquiétude. Côté financements, il y a le Feder et la remise en cause – potentielle – par la Commission européenne (DG Regio) de la dotation de 600 millions d'euros prévue pour financer le très haut débit en France (2), les incertitudes sur l'approvisionnement du fonds national pour la société numérique, au-delà des 900 millions initiaux.

Garantir la priorité aux services publics et aux entreprises

Le sénateur a ensuite évoqué des points d'ajustements attendus par les élus, comme celui de l'harmonisation des conditions d'amortissement : "La version actuelle du prochain projet de loi de décentralisation prend en compte les investissements sur dix ans, alors que nous empruntons à 20, 30 ou 40 ans grâce au plan France très haut débit", a-t-il notamment rappelé.
Il attend également des modifications du cahier des charges du plan national, afin de garantir aux services publics et aux entreprises un raccordement prioritaire effectif et une meilleure articulation entre les réseaux d'initiative publique (RIP) de première et de seconde génération. Par ailleurs, il a demandé "la protection temporaire des investissements des RIP" sur la boucle locale dédiée aux professionnels et l'établissement par le régulateur d'un traitement plus équitable sur le Ftth entre les grands opérateurs et les opérateurs d'opérateurs d'initiative publique. Il n'a pas épargné la mission sur la transition vers la fibre et l'extinction du cuivre, rappelant ses obligations de résultat : "Elle ne doit pas accoucher d'une souris, mais proposer des mesures concrètes de régulation et il faudra l'y aider si elle n'y arrive pas dans sa configuration actuelle." Enfin la question de la transparence des investissements des opérateurs sur la zone conventionnée demeure un élément stratégique afin de "reconsidérer leur zone d'action" s'ils ne peuvent plus tenir leurs intentions.

Les engagements d'Axelle Lemaire

La nouvelle secrétaire d'Etat chargée du numérique, Axelle Lemaire, l'a réaffirmé sans équivoque : "Le numérique est une priorité du gouvernement." Tout en réaffirmant la primauté de la fibre, elle a plaidé pour une mixité des technologies afin d'améliorer l'ordinaire des zones ou des équipements les plus mal desservis. C'est ainsi que 7.000 écoles primaires situées en zone blanche bénéficieront dès la rentrée prochaine des aides prévues pour la connexion en haut débit satellitaire.
Elle a également apporté des précisions sur les quelques adaptations législatives en préparation. Le gouvernement va proposer, dans le cadre du projet de loi sur l'organisation territoriale, des délégations de compétences entre les niveaux territoriaux afin "d'assurer une gouvernance plus flexible". Ce même projet de loi prévoit aussi de rendre éligible le très haut débit aux procédures des fonds de concours "afin de faciliter la participation financière des collectivités locales au déploiement du très haut débit", a-t-elle complété.
Pour répondre aux incertitudes financières, la secrétaire d'Etat a annoncé la sanctuarisation de l'enveloppe de 3,3 milliards d'euros provenant du fonds résiduel du programme des investissements d'avenir et de la redevance payée par les opérateurs pour la bande 1.800 Mhz ouverte. "C'est un engagement du gouvernement", a-t-elle assuré. Axelle Lemaire a par ailleurs indiqué rester "très mobilisée" sur la question de l'éligibilité des fonds Feder pour le développement des infrastructures numériques, sachant que ce dossier est suivi de près par l'Elysée.

Les opérateurs se veulent rassurants

La table ronde organisée avec les cinq grands opérateurs a surtout confirmé les prises de position rendues publiques lors du rachat de SFR par Numéricable. Il faut savoir également que les deux entités resteront "concurrentes" jusqu'en octobre prochain, c'est-à-dire jusqu'à ce que l'Autorité de la concurrence se prononce sur la validité du regroupement.
Olivier Henrard, secrétaire général de SFR, a été le plus loquace. Il entend demeurer le principal client et opérateur des RIP en France (3) et a assuré que son groupe tiendrait les engagements pris. Ainsi, il a confirmé l'accord de couverture de 2,3 millions de foyers passé avec Orange sur les zones conventionnées, tout comme l'accord de mutualisation des réseaux mobiles signé avec Bouygues Télécom, "qui sera appliqué dès les prochaines semaines". Quant à l'avenir, la nouvelle entité disposera de 15 millions de prises à l'horizon 2020, en tenant compte toutefois "du cumul d'éligibilité actuel des deux groupes, qui s'établit à 12 millions de foyers environ" - des chiffres confirmés par Jérôme Yomtov, directeur général délégué de Numéricable, également présent.
Au-delà des annonces, la nouvelle entité va modifier l'équilibre des forces en présence. Pierre Louette, directeur général adjoint de Orange, ne l'a d'ailleurs pas caché. "Cette année sera marquée par le 'big bang' du système avec l'émergence d'un nouvel acteur qui entend être un leader", a-t-il tenu à souligner. Mais Orange se dit prêt à relever le défi, fort de sa présence sur plus de 400 communes (un potentiel de 10 millions de logements), de l'existence de 2,75 millions de logements raccordables "en vraie fibre" et de 366.000 clients (500 Mbps en voie descendante et 200 Mbps en voie remontante). Seule ombre au tableau, le nombre de conventions signées sous l'égide de la mission très haut débit demeure faible. A ce jour, seuls la Réunion, l'Indre-et-Loir et Lille Métropole en bénéficient. Quant au volet technologique, il semble plus fortement décidé à pousser des technologies alternatives à la fibre, au regard des coûts de déploiement dans certaines zones : "Notre expérience nous fait penser qu'on ne pourra pas rester sur l'utilisation d'une technologie unique", a-t-il conclu.

Le gouvernement fera respecter les engagements pris

Arnaud Montebourg, le ministre de l'Economie, du Redressement productif et du Numérique, qui intervenait en début d'après-midi, a fait plusieurs mises au point. D'abord en mettant l'accent sur la souveraineté numérique du pays : "Le gouvernement a une haute conscience de la révolution numérique en marche. Aussi, nous voulons la cadencer et la stimuler pour ne pas avoir à la subir", a-t-il avancé. Il entend également redonner aux opérateurs des marges d'investissement suffisantes pour jouer à plein leur rôle. En échange, il s'est montré déterminé à "faire respecter les engagements pris par les opérateurs". Parfois même en agitant le bâton : "L'Etat utilisera tous les moyens légaux à sa disposition pour favoriser ceux qui investissent et défavoriser ceux qui n'investissent pas", a-t-il insisté. Ainsi, sans fournir d'assurances formelles, le ministre s'est attaché à convaincre l'assistance de la constance de son engagement et de sa volonté de réussir un plan d'investissement marquant pour les prochaines décennies.

Philippe Parmantier / EVS


(1) Travaux déjà en cours dans le Loiret, le Vaucluse, le Calvados, l'Eure-et-Loir, l'Oise, le Doubs et en Auvergne. Travaux en cours de lancement dans la Loire, en Savoie, dans les Yvelines, en Bretagne, la Manche, la Seine-et-Marne, la Somme, le Cher.
(2) Soit 20% du financement porté par les collectivités locales.
(3) La filiale "SFR collectivités" opère 28 RIP en France. De nouveaux réseaux ont été signés par le groupe début 2014 : l'Oise, le Loiret, le Val-de-Marne et, la semaine prochaine, l'Eure-et-Loir.