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Patrimoine / Développement des territoires - Le patrimoine immatériel, "un potentiel considérable pour contribuer à l'attractivité de nos territoires"

Kristof De Meulder, chef de projet à l'Agence du patrimoine immatériel de l'Etat (APIE), en est convaincu : les actifs immatériels publics peuvent être "au service de l'attractivité territoriale". Il l'explique dans un article publié sur le site de l'APIE. Localtis a posé cinq questions à Kristof De Meulder.

Créée en 2007 dans le prolongement du rapport de la commission Levy-Jouyet sur l'économie de l'immatériel, remis en décembre 2006 à Thierry Breton, alors ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie (voir notre article du 11 juin 2007), l'Agence du patrimoine immatériel de l'Etat s'intéresse aussi globalement à tous les actifs immatériels publics. Un concept encore barbare que Kristof De Meulder, chef de projet à l'APIE et expert en pilotage du patrimoine immatériel, explique pour Localtis, convaincu qu'il s'agit là d'un élément fort d'attractivité territoriale.

Localtis  - Comment définissez-vous le "patrimoine immatériel" ?

Kristof De Meulder - Le patrimoine immatériel est une dimension relativement nouvelle de la gestion publique dont l'appréhension est complexe du fait de la diversité des éléments le composant. Inutile d'ailleurs de chercher une définition juridique de ce concept. Généralement, il est d'usage de décrire l'immatériel par exclusion. Par exemple, en comptabilité, on définit les actifs immatériels comme "des éléments identifiables, non monétaires et sans substance physique".
Concrètement, le patrimoine immatériel englobe les savoir-faire, l'expertise, les données, l'image de marque, les développements informatiques, des droits de propriété intellectuelle… d'une entreprise, d'une administration ou encore d'un territoire. Dans notre économie actuelle, ce sont en particulier ces facteurs qui permettent d'être compétitifs, efficients ou encore de se différencier.

En quoi ce patrimoine immatériel peut-il être un argument de marketing territorial ?

C'est justement parce que les actifs sont des éléments différenciant qu'ils représentent un potentiel considérable pour contribuer à l'attractivité de nos territoires. Cette attractivité est la résultante de nombreux facteurs comme la présence de réseaux de communication efficaces par exemple, ou encore la disponibilité de matières premières, la présence d'un marché local dynamique…
Mais aujourd'hui, ces facteurs d'attractivité "classiques" tendent de plus en plus à être dépassés par l'émergence d'éléments intangibles tels que la qualité de vie, le climat de confiance, la qualité de la main-d'œuvre, mais aussi la réputation du territoire, la perception de la qualité des espaces naturels et urbains, la vitalité du tissu économique… Il s'agit d'autant d'éléments composant le patrimoine immatériel d'un territoire et qui sont des atouts majeurs pour son attractivité à condition d'être pris en considération.
La mise en œuvre d'une politique de marketing territorial doit donc prendre en compte cette dimension immatérielle pour être réellement efficace. Je pense en particulier à l'image perçue d'une région ou encore la qualité des réseaux présents (filières, pôles de compétitivité, clusters…) qui influencent largement les choix d'implantation des entreprises innovantes, mais sont également autant de facteurs d'attraction de talents.
La bonne gestion de ces actifs immatériels territoriaux nécessite toutefois une structure de gouvernance adaptée.

Pourquoi une telle structure de gouvernance est-elle nécessaire ?

Parce que l'image projetée ou la qualité d'un réseau au sein d'un territoire n'est jamais le résultat de l'action d'un seul acteur. Au contraire, le patrimoine immatériel d'un territoire est le fruit d'une subtile alchimie entre l'ensemble des acteurs qui y évoluent : entreprises, organismes publics (universités, centres de recherche, institutions culturelles…), associations et collectivités territoriales. Chacun de ces acteurs apporte son identité, ses valeurs, ses compétences, sa vision, qui façonnent les spécificités d'un territoire.
Pour mieux prendre en compte cette dimension immatérielle, la région Alsace a mis en place un mode de gouvernance intéressant avec la création de l'Agence de l'Attractivité de l'Alsace (AAA) qui gère notamment la marque "Alsace" pour le compte du conseil régional. L'originalité de la démarche vient du fait qu'elle implique un très grand nombre d'acteurs : collectivités territoriales, tissu économique, associations de citoyens, organismes publics (universités, centres de recherche…). Pour conforter l'image d'excellence de la région, l'AAA s'appuie tout particulièrement sur le prestige de l'Université de Strasbourg.
La démarche de marketing territorial mise en place par l'AAA a tout d'abord consisté à identifier et mettre en valeur les atouts immatériels de la région, puis à fédérer l'ensemble des acteurs autour de valeurs partagées et d'un projet commun.

Quelles sont les "marques publiques" qui aujourd'hui participent à l'attractivité d'un territoire ?

Il existe de nombreux exemples de marques publiques contribuant à l'attractivité territoriale. Sans les citer toutes, il y a bien sûr les établissements d'enseignement supérieur qui peuvent avoir des marques très fortes. C'est le cas de l'Université de Strasbourg que je viens de citer. Plus globalement, ces établissements ont un rôle structurant à jouer dans l'attractivité des territoires.
Comment ne pas penser aussi aux marques de nos établissements culturels comme le Louvre ou le Centre Pompidou qui rayonnent dans le monde entier. D'après une étude de l'économiste Xavier Greffe, le Louvre générerait ainsi près de 20.000 emplois et plus d'un milliard de dépenses. La marque est si puissante que l'émirat d'Abu Dhabi a souhaité construire sa propre politique de rayonnement culturel sur la notoriété du musée en déboursant 400 millions d'euros pour bénéficier d'une licence de marque pour une période de vingt ans. Mais tout aussi notable, c'est l'impact de la marque Louvre sur un territoire tel que Lens.

En quoi la "marque Louvre" est-elle un élément de développement local pour le territoire de Lens ? 

Deux ans après l'ouverture du Louvre Lens, il est sans doute trop tôt pour dresser un bilan définitif de cette implantation en région, mais, déjà, l'impact en termes de perception sur ce territoire est considérable. De plus, cela a redonné de la fierté à ses habitants, renforçant la cohésion sociale.
Mais ce n'est pas tout. Cette implantation a créé une réelle dynamique auprès des entrepreneurs locaux autour d'un projet commun, notamment au travers d'actions de mécénat. Il y a eu une réelle appropriation de la démarche par le tissu économique local. Les collectivités territoriales souhaitent désormais aller plus loin en lançant un pôle numérique culturel "Louvre Lens Vallée". Difficile d'imaginer l'aboutissement d'un tel projet sans l'apport de la marque "Louvre", même si des acteurs numériques locaux étaient déjà très actifs. La marque publique a permis de fédérer les énergies collectives en agissant comme une caution légitime, rendant plus crédible la démarche de création d'un pôle spécifique.

Propos recueillis par Valérie Liquet