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Culture - L'Assemblée se penche sur la numérisation des fonds des bibliothèques

La commission des affaires culturelles et de l'éducation de l'Assemblée nationale a procédé à des auditions sur les accords de partenariat conclus par la Bibliothèque nationale de France en vue de la numérisation de ses fonds. Si la question inscrite à l'ordre du jour se cantonnait à la BnF, le thème abordé concerne en revanche, à terme, bon nombre de bibliothèques disposant de fonds patrimoniaux intéressants.

Au nom des grands principes

Lors de cette séance, les membres de la commission ont entendu - successivement - les cofondateurs du collectif SavoirsCom1 et Bruno Racine, le président de la BnF. Le tout dans des échanges de très bonne tenue et riches en informations. Le collectif SavoirsCom1 est à l'origine de cette audition, puisqu'il a saisi les parlementaires au sujet de la conclusion, au début de 2013, de deux accords entre la filiale de droit privé de la BnF - BnF Partenariats - et des sociétés privées, en vue de la numérisation et de la valorisation de 70.000 livres anciens (antérieurs à 1701), d'une part, et d'un corpus de 190.000 disques vinyles 78 et 33 tours représentant 700.000 titres et édités entre 1900 et 1962, d'autre part. Les sociétés contractantes bénéficient de contreparties à la prise en charge des opérations de numérisation. Dans le cas des livres, il s'agit en l'occurrence - selon SavoirsCom1 - "d'une exclusivité de dix ans, les collections n'étant pas accessibles gratuitement sur internet". Pour les disques, elles assureront la commercialisation et la mise à disposition. En revanche, les documents numérisés seront accessibles - mais uniquement sur place - pour les 3.000 chercheurs et lecteurs qui se rendent chaque jour sur le site de la BnF. Un dispositif qui n'est pas sans rappeler l'accord passé, il y a quelques années, entre Google et les bibliothèques de Lyon et qui avait alors fait grand bruit (voir nos articles ci-contre du 16 juillet 2008 et du 13 janvier 2010).
Pour SavoirsCom1, il s'agit clairement là d'une "enclosure", autrement dit d'une "restriction de la circulation et de l'épanouissement des biens communs". L'association évoque même l'article 27 de la Déclaration universelle des droits de l'homme, disposant que toute personne doit pouvoir prendre part librement à la vie culturelle de la communauté, jouir des arts et participer aux progrès scientifiques, ainsi qu'aux bienfaits qui en résultent. Ses responsables ne manquent d'ailleurs pas de souligner que "cette conception du domaine public figure également dans la charte relative au projet Europeana porté par la BnF, le domaine public ne pouvant faire l'objet d'une appropriation à travers un droit exclusif - lequel constitue une enclosure -, et ce qui en relève devant y demeurer".

Un "mal" pour un bien ?

Le point de vue de Bruno Racine est évidemment très différent. Le président de la BnF rappelle tout d'abord que "Gallica permet désormais la consultation de quelque 2,4 millions de documents en libre accès, ce qui est sans équivalent dans le monde". Il se dit même prêt à aller plus loin, pour favoriser la diffusion de ces documents, en les rendant libres de toute réutilisation, qu'elle soit éducative ou scientifique - comme c'est déjà le cas aujourd'hui - mais aussi commerciale.
Mais l'argument le plus probant sur les accords passés avec des partenaires privés est moins juridique que pragmatique. Selon Bruno Racine, ces accords ont au contraire pour effet de rendre accessibles des documents qui aujourd'hui ne le sont pas : "J'entends dire qu'il y aura des restrictions d'accès ; or, c'est l'exact contraire qui se produira." C'est le cas pour le fonds sonore, puisqu'un chercheur qui veut aujourd'hui consulter un morceau doit solliciter la BnF et attendre qu'elle le numérise... C'est aussi le cas pour les ouvrages imprimés. Ceux-ci sont aujourd'hui consultables - par nature - par une seule personne à la fois. La numérisation les mettra à la disposition potentielle de 3.000 personnes à la fois (capacité d'accueil du site de la BnF). En outre, Bruno Racine affirme que "pour numériser les 70.000 livres anciens concernés par l'accord, il faudrait, dans les conditions actuelles, de 25 à 30 ans". Enfin, ces ouvrages sont si fragiles - le plus ancien remonte à 470 - que leur sortie physique présente des risques pour leur conservation. Le président de la BnF ne s'est pas - lui non plus - privé d'ironiser sur l'urgence de mettre à la disposition de tous les Français les ouvrages de ce fond, en rappelant que "les ouvrages dont il s'agit - essentiellement des textes théologiques des XVe et XVIe siècles - ne sont lisibles que par des chercheurs, latinistes de surcroît. Je suis certain qu'il existe un fort appétit pour cette littérature, mais c'est plutôt de la recherche qu'elle fait le bonheur".
S'agissant d'auditions, la commission des affaires culturelles n'a pas tranché entre ces positions antagonistes. Mais les interventions de ses membres - elles aussi portées par la haute tenue des échanges - montrent que les députés balancent entre principes et pragmatisme. Si le réalisme budgétaire fait qu'il semble difficile de se passer des partenariats public-privé - et donc d'une contrepartie pour les entreprises -, la ligne de séparation se fait plutôt sur la durée de l'exclusivité, une période de dix ans étant jugée trop longue par certains députés.  

 

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