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Culture - Langues régionales : un coup d'épée dans l'eau ?

L'Assemblée nationale examinera mercredi 30 novembre la proposition de loi relative à la promotion des langues régionales, déposée par Bruno Le Roux et la quasi-totalité du groupe socialiste (pour le contenu du texte, voir notre article ci-contre du 13 octobre 2016). Il s'agit en l'occurrence d'un nouvel épisode du feuilleton consécutif au rejet par le Sénat, il y a un an, de la proposition de loi constitutionnelle autorisant la ratification de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires (voir nos articles ci-contre des 19 et 28 octobre 2015).

Un recul générationnel

Dans son rapport fait au nom de la commission des affaires culturelles et de l'éducation, Annie Le Houerou, députée (PS) des Côtes-d'Armor, se félicite sans surprise des "instruments ambitieux" apportés par la proposition de loi pour "concrétiser la reconnaissance constitutionnelle des langues régionales" (allusion à l'article 75-1 de la Constitution, introduit par la réforme constitutionnelle du 23 juillet 2008 précisant que "les langues régionales appartiennent au patrimoine de la France" mais qui n'a guère produit d'effets jusqu'à présent).
La députée des Côtes-d'Armor replace surtout la question des langues régionales dans une perspective historique. Le rapport évoque ainsi "la situation très préoccupante des langues régionales" et observe que "les langues régionales parlées en France métropolitaine accusent un déclin général très inquiétant", malgré le dynamisme des associations et les initiatives croissantes des collectivités territoriales concernées. Il rappelle aussi une enquête de l'Insee de 2012, montrant que seules 12% des personnes interrogées parlent - même occasionnellement - une autre langue que le français, alors que 26% le faisaient dans leur enfance. De même, les trois quarts des adultes qui parlaient une langue régionale dans leur petite enfance à la maison n'utilisent plus désormais que le français.
Même dans les territoires les plus attachés à leur langue régionale, la situation se dégrade rapidement au fil des générations. L'Alsace, par exemple, compte environ 750.000 locuteurs sur 1,8 million d'habitants. Mais le taux de locuteurs est de 74% chez les plus de 60 ans, contre seulement 12% chez les 18-29 ans, malgré la scolarisation en alsacien d'environ 80.000 enfants. Sous l'effet de ce vieillissement, l'Office pour la langue et la culture d'Alsace estime que la proportion d'habitants aptes à s'exprimer en alsacien est passée de 62% en 2002 à 42% en 2013.
La situation est identique en Bretagne, où l'Insee estime la proportion de locuteurs à 30% chez les habitants de 75 ans, contre "tout au plus 3%" chez les jeunes de 20 ans. Au Pays basque, où la langue jouit pourtant d'"un ancrage local solide", l'érosion est réelle et rapide, avec un tassement du taux de bilingues de 36% chez les plus de 65 ans à 14% chez les 16-24 ans.

"Un des rythmes les plus vifs observé en Europe"

Même dans les territoires d'outre-mer, où la situation des langues régionales "est profondément différente", le phénomène d'érosion est également à l'œuvre. A La Réunion par exemple - et toujours selon l'Insee -, 53% des habitants déclarent ne parler que créole dans leur vie quotidienne. Mais ce chiffre est cependant nettement inférieur aux 80% de Réunionnais qui déclarent qu'ils n'utilisaient que cette langue dans leur enfance.
De façon plus large, l'Unesco relève "que le patrimoine linguistique français diminue à l'un des rythmes les plus vifs observé en Europe, où la moitié des quelque 6.000 langues aujourd'hui parlées court le risque d'une totale extinction avant la fin du siècle".
Face à ces constats qui ne brillent pas par leur optimisme et qui s'inscrivent manifestement dans des tendances de fond, la question se pose donc de l'impact réel que pourrait avoir la proposition de loi. Encore faudrait-il qu'elle soit définitivement adoptée dans le cadre de la présente session parlementaire, ce qui ne semble pas davantage garanti.

Jean-Noël Escudié / PCA

Références : Assemblée nationale, proposition de loi relative à la promotion des langues régionales (examinée en première lecture à l'Assemblée nationale le 30 novembre 2016).

 

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