Culture / Elus - Langues régionales dans les assemblées territoriales : oui, mais en dehors de la séance
Dans une question écrite, Marie-Noëlle Lienemann, sénatrice (PS) de Paris, s'étonne des conditions d'installation de l'assemblée territoriale de Corse (intervenue en décembre 2015, qui est aussi la date de la question écrite). La sénatrice relève que "le nouveau président de l'assemblée territoriale s'est permis de prononcer son discours d'installation en langue corse". Elle estime que "cette pratique ne paraît pas conforme aux lois de la République qui fixent le français comme langue officielle dans les instances publiques". Elle juge également cette attitude préjudiciable au principe d'égalité, dans la mesure où "il est évident que l'ensemble des habitants de la Corse ne maîtrisent pas cette langue régionale et n'ont ainsi pas la faculté de comprendre les propos de leur élu". La sénatrice de Paris souhaite donc connaître les mesures que "le gouvernement compte prendre pour faire respecter la loi de la République et pour répondre à cet incident qui n'est pas anodin à un moment où la défense des principes et valeurs de la République s'impose à tous".
Avant ou après l'élection ?
Dans sa réponse, le ministre de l'Intérieur commence par rappeler, au-delà de l'article 12 de la Constitution ("La langue de la République est le français"), l'arrêt du Conseil d'Etat du 29 mars 2006. Celui-ci a en effet annulé un article du règlement intérieur de l'assemblée de Polynésie, qui donnait aux élus le droit de s'exprimer en séance plénière de cette assemblée dans une autre langue que la langue française.
Dans le cas de l'installation de l'assemblée territoriale de Corse, le ministre fonde sa réponse sur le déroulement de cette séance. Conformément à l'article L.4422-8 du Code général des collectivités territoriales (CGCT), elle avait pour objet d'élire au scrutin secret son président. La réponse précise que "si ce vote se déroule après des débats ayant eu lieu en français, la légalité de l'acte ne serait pas remise en cause, quand bien même le discours de remerciement du président élu de l'assemblée de Corse, postérieur à l'acte juridique et donc non susceptible d'avoir influencé le vote, se tiendrait dans une autre langue que le français" (ce qui a bien été le cas en l'espèce).
Ne pas influencer le processus de délibération
Le problème est que la séance s'est poursuivie, après ce discours de remerciement en langue corse, avec l'élection des membres de la commission permanente, conformément à l'article L.4422-9 du CGCT. L'explication avancée par la réponse du ministre de l'Intérieur sur cette seconde phase est plus alambiquée.
Elle estime en effet que "si cette élection est réalisée en langue française, elle ne devrait pas pouvoir être rattachée au discours de remerciement et de prise de fonctions du président, qui n'est, en tout état de cause, pas prévu par les textes, et ne constitue pas en tant que tel un acte susceptible d'être déféré au juge administratif. Dans de telles conditions, le discours de remerciement n'intervient pas dans le processus d'élaboration et d'adoption des délibérations, processus qui doit avoir lieu en français. A l'inverse, si une part significative des débats préalables au vote, permettant d'éclairer le scrutin, avait lieu en langue corse, alors, en cas de déféré devant la juridiction administrative, le juge pourrait annuler ces décisions sur le fondement d'un raisonnement analogue à celui du Conseil d'Etat dans la décision précitée".
Jean-Noël Escudié / PCA
Références : Sénat, question écrite n°19478 de Marie-Noëlle Lienemann, sénatrice (PS) de Paris, et réponse du ministre de l'Intérieur (JO Sénat du 15 septembre 2016).