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Précarité - L'accès social à l'eau bute sur la dilution des responsabilités

Reconnu par la loi sur l'eau de 2006, le droit d'accès à l'eau potable "dans des conditions économiquement acceptables pour tous" ne se traduit que partiellement sur le terrain. Or cette problématique est de plus en plus aiguë pour les gestionnaires publics. Un séminaire de la Fédération nationale des collectivités concédantes et régies (FNCCR) s'est penché sur la question le 29 septembre.

Selon Michel Desmars, chef du département eau et assainissement de la FNCCR, un million de personnes (sans-abri, mal-logés, gens du voyage) seraient aujourd'hui privées d’accès à l’eau. Prolongeant ce constat, un rapport du Conseil d’Etat recommandait récemment que les communes s’équipent en fontaines gratuites. Or si elles existent dans un certain nombre de communes montagnardes notamment, ce type de bornes publiques peine ailleurs à se généraliser. "Car cela suppose des choix sur les conditions d’accès et les modalités de financement", explique Michel Desmars. "D’un point de vue juridique, un payeur doit toujours être identifié et l’eau fournie par ces fontaines doit donc être facturée, sans qu’elle soit pour autant prise en charge et répercutée sur les factures des usagers du même service", ajoute-il. A cette équation délicate, deux solutions : soit la dépense est prélevée sur le budget général de la collectivité, soit le bénéficiaire de l’eau doit payer, ce qui pose problème puisqu’elle est destinée à des publics démunis.

Paris ou le choix de la mixité

A Paris, c’est la première option qui a été retenue. Anne Le Strat, adjointe au maire en charge de l’eau, a précisé les raisons qui ont poussé à faire ce choix. Dans la capitale, rares sont les cas d’impayés car on trouve peu de contrats individuels de distribution d’eau. Mais la pression de la facture d’eau sur les foyers les plus modestes n’en reste pas moins forte. Et ce malgré un phénomène de "solidarité verticale" (aide au sein d’un même immeuble) qu'a évoqué Daniel Marcovitch, vice-président du Comité national de l’eau. Lors d’un point d’information cet été, ce même comité rappelait que le "poids de cette facture peut ainsi dépasser 7% des revenus pour les ménages aux minima sociaux". Dans ce sens, le comité a présenté en juillet dernier un projet de texte législatif, complémentaire à la proposition de loi défendue un peu plus tôt par le sénateur Christian Cambon (voir ci-contre notre article du 12 février 2010). Il s'agit de trouver une solution pérenne permettant une prise en charge en amont de la facture d’eau des familles en difficulté, via un rapprochement avec les caisses d'allocations familiales (CAF) et donnant la possibilité aux collectivités et à leurs délégataires de participer au financement du système, dont le budget est dans un premier temps estimé à 50 millions d’euros.

Du côté de la ville de Paris, deux pistes – la tarification sociale et la diffusion de "chèques eau" aux foyers démunis – ont au préalable été explorées et abandonnées, avant qu’un dispositif plus mixte, dit de "gestion sociale de l’eau", ne soit créé. Il mêle plusieurs types d’aides et de structures (correspondant solidarité-eau, aides ciblées pour les squats, etc.). Mais sa mise en oeuvre n'est pas sans obstacles : la régie Eau de Paris ne peut gérer en direct le problème, sachant que les usagers paient leur eau par le biais des charges générales d’immeuble. Le dispositif repose donc sur un rapprochement progressif avec les services d’aide sociale et les bailleurs sociaux, avec qui un projet de charte est d’ailleurs en cours. Au final, l’aide fournie est donc double, à la fois curative et préventive. La première passe par le fonds de solidarité pour le logement (FSL), que la régie et donc ses usagers abondent à hauteur de 250/300.000 euros par an, les opérateurs privés y contribuant en moyenne pour 170.000 euros par an. "Quant à l’aide préventive, son financement est assuré par le budget municipal et non par une redevance sur l’eau", précise Henri Smets, membre de l’Académie de l’eau. Une bonne part de cette aide est néanmoins diluée dans le panel d’aides au logement. Au final, les aides curative et préventive représentent, une fois cumulées, une enveloppe de 5 millions d’euros destinée à 44.000 foyers, soit 112 euros en moyenne par foyer. C’est-à-dire plus d’un tiers du montant moyen d’une facture parisienne, laquelle est évaluée à 300 euros par an.

A Nantes, un objectif d’homogénéisation

Même son de cloche du côté de la communauté urbaine de Nantes : le système actuel est trop flou, trop diffus, trop complexe et difficile à affiner ou modéliser. D’une part, cela vient du fait que les acteurs de l’aide sociale sont multiples (CAF, conseils généraux, centres communaux d'action sociale), tout comme l'origine des dettes et les profils des personnes en difficulté qui ont pu être étudiés. D’autre part, interviennent sur la question des opérateurs privés, a priori sans vocation sociale, et un système public jugé "cloisonné" et comme paralysé par les difficultés à tenir compte de cette problématique. Depuis peu, la direction de l'eau de cette métropole semble donc s’orienter vers un "traitement social" plus homogène et plus global de cet enjeu. "Il s’agirait d’y répondre en redimensionnant le service public d’eau et en y prônant la transparence, la proximité avec l’usager et la solidarité locale", suggère Dominique Verdon, chef du service prospective et programmation financière à la direction de l’eau de Nantes.

A Niort, on innove non sans heurts

Dans la région de Niort (Deux-Sèvres), le syndicat des eaux du Vivier a eu pour mission de s’adapter à un contexte socio-économique difficile et de ne pas habituer les usagers à une eau gratuite, tout en les faisant consommer moins. Dans ce sens, l’établissement public a créé une "cellule de suivi social des impayés" mobilisant un équivalent temps plein. Sa mission consiste à suivre plusieurs dispositifs : la tarification progressive, l'aide au suivi des consommations dans les logements sociaux, un travail avec le Trésor public pour éventuellement "s’autoriser à couper", des études pour mieux comprendre les ménages "pauvres en eau", etc. Mais les difficultés de mise en oeuvre sont légion, notamment du fait d’une baisse des crédits d’aide sociale et de "l’attentisme" des organismes sociaux.

 

Morgan Boëdec / Victoires éditions

 

Tarification sociale de l'énergie : le projet de loi Nome fait un premier pas

Dans le cadre de l’examen au Sénat du projet de loi sur la nouvelle organisation du marché de l'électricité (Nome), qui a eu lieu du 27 au 29 septembre, deux amendements visant à faciliter l’accès social à l’énergie ont été défendus par le sénateur de la Gironde Xavier Pintant, par ailleurs président de la FNCCR. Le premier, qui a été adopté, vise à rendre automatiques les tarifs sociaux pour le gaz. Le second poursuivait le même objectif pour l’électricité et exigeait d’automatiser pour celle-ci l’accès au tarif de première nécessité. "Un ayant droit sur deux pour l'électricité, un sur trois pour le gaz, bénéficie aujourd'hui de ces tarifications sociales", a indiqué lors des débats Valérie Létard, secrétaire d’Etat au Développement durable. Le second amendement a été retiré par les sénateurs après que le gouvernement a pris l’engagement d'élaborer un décret qui sera soumis à consultation d’ici la fin 2010.