La loi Industrie verte publiée
Portant en elle la promesse de "réindustrialisation" du pays, la loi Industrie verte a été publiée au Journal officiel le 24 octobre. Elle s'attaque en priorité au problème de l'accès au foncier industriel, qui va être la mère des batailles (avec le coût de l'énergie) dans les prochaines années, dans un contexte de raréfaction liée au ZAN.
Fer de lance de la stratégie de réindustrialisation d'Emmanuel Macron, la loi relative à "l'industrie verte" a été publiée au Journal officiel, le 24 octobre, deux semaines après son adoption définitive par le Parlement. Et sans passer par la case Conseil constitutionnel.
Fruit d'une large concertation conduite en début d'année, le texte vise à accélérer le développement des industries dites vertes - les "Big 5" : hydrogène vert, batteries, éolien, pompes à chaleur, photovoltaïque - et à verdir les industries existantes, dans un contexte d'âpre concurrence internationale. Car si réindustrialisation il y a, elle se passe pour le moment surtout de l'autre côté de l'Atlantique, du fait de l'IRA (Inflation Reduction Act) et du Chips Act. "Les constructions industrielles aux États-Unis ont plus que doublé entre le premier semestre 2021 et le premier semestre 2023", relève en effet le cabinet Astérès dans une note du 20 octobre.
Planification régionale
Alors après avoir mené la bataille sur le front de la compétitivité pendant le premier quinquennat (avec en particulier la baisse des impôts de production), l'exécutif entend désormais agir sur le foncier disponible et l'accélération des procédures d'implantation, en proposant davantage de sites "clés en main" (voir notre article du 16 octobre).
La loi organise une planification à l'échelle régionale : des objectifs de développement industriels "sont fixés pour la première fois dans le schéma régional d'aménagement, de développement durable et d'égalité des territoires" (article 1).
"Pour accélérer la transition écologique et la décarbonation de l'industrie", l'État élabore de son côté "une stratégie nationale pour une industrie verte pour la période 2023-2030" (article 2). Cette stratégie détermine les filières prioritaires et précise notamment les besoins en matière de formation professionnelle. Il est précisé que cette stratégie tient compte des "spécificités et des contraintes" des collectivités territoriales.
Accélérer et fluidifier les procédures
Le gouvernement espère ensuite ramener de dix-sept à neuf mois "réels" les délais d'implantation d'usine en modifiant les règles de consultation publique et en "parallélisant" les procédures d'autorisation environnementale (article 4).
Dans les zones en fort développement industriel, où plusieurs projets sont envisagés sur un "même territoire délimité et homogène" au cours des huit années à venir, un seul débat public et une seule concertation préalable pourront avoir lieu pour l'ensemble des projets (article 5).
Les débats se sont cristallisés sur l'article 9 devenu article 19, prévoyant des dérogations au code de l'environnement pour les "projets industriels d’intérêt national majeur" liés à l'industrie verte qui, eu égard à leur envergure, revêtent "une importance particulière pour la transition écologique ou la souveraineté nationale" et nécessitent souvent une mise en conformité des documents de planification régionale et des documents locaux d'urbanisme. Cet article avait entraîné une levée de boucliers des associations d'élus locaux, dénonçant une mainmise des préfets sur les documents d'urbanisme (voir notre article du 16 mai 2023). Finalement, un compromis a été trouvé, qui permettra de sauvegarder les intérêts des collectivités. La procédure de mise en comptabilité des documents d'urbanisme ne peut être prise "qu'après accord du maire de la commune dans laquelle le projet industriel pourrait être implanté, ou du président de l'établissement public de coopération intercommunale (…) concerné lorsqu'un plan local d'urbanisme intercommunal est applicable sur le territoire de celle-ci, et du président de la région correspondante lorsque son document de planification doit être mis en compatibilité". Le préfet doit leur transmettre les éléments du projet et, s'il y a lieu, les "données essentielles" de modification des documents de planification ou d'urbanisme (Sraddet, Scot, PLU ou carte communale) nécessaires à sa réalisation. À compter d'un mois à partir de cette transmission, l'accord des collectivités est réputé acquis si elles ne se sont pas manifestées. En cas de désaccord, il est "fait droit" à leur décision.
Par ailleurs, "chaque région peut signaler au ministre chargé de l'industrie les projets qui lui semblent susceptibles d'être reconnus d'intérêt national majeur, après avoir recueilli, si la localisation du projet est déjà connue, l'avis des communes et des établissements publics de coopération intercommunale sur le territoire desquels ces projets pourraient être implantés".
La loi vise par ailleurs à faciliter la libération de foncier commercial, concomitamment au plan de transformation des zones commerciales lancé le mois dernier (voir notre article du 11 septembre 2023). Elle prévoit le transfert des droits commerciaux existants au sein d’une zone dans le cadre d’une grande opération d’urbanisme (GOU), sous réserve que ce transfert ne s’accompagne d’aucune surface de vente supplémentaire ni artificialisation des sols et qu’il vise à introduire de la mixité fonctionnelle (article 22).
Réhabiliter et prévenir l'apparition de friches
L'un des enjeux de la loi est de faciliter la réhabilitation des friches, dans un contexte où l'accès au foncier va se compliquer avec la mise en œuvre du zéro artificialisation nette (ZAN). Le texte comporte ainsi une série de mesures visant à fluidifier les procédures pour cessations d'activités de sites industriels. Il s'agit tout d'abord de permettre à un exploitant dont la cessation d'activité a été notifiée à l'administration "avant le 1er juin 2022" de bénéficier "jusqu'au 1er janvier 2026" des mesures introduites par la loi de simplification dite Asap du 7 décembre 2020 qui prévoit le recours à un bureau d'études certifié pour attester de la mise en sécurité du site (article 8).
En outre, le préfet peut mettre en demeure l'exploitant de fermer une "partie d'installation située sur un terrain qu'il détermine et qui n'a pas été exploitée durant trois années consécutives". L'autre partie du site pouvant alors continuer de fonctionner normalement.
Enfin, la procédure du "tiers demandeur" est améliorée. Dès la notification de la cessation d'activité d'une installation classée pour la protection de l'environnement (ICPE) – qui par nature peut avoir des impacts environnementaux ou comporter des dangers particuliers –, un tiers intéressé "peut demander au représentant de l'État dans le département à se substituer à l'exploitant, avec l'accord de celui-ci, pour réaliser les travaux de réhabilitation en fonction de l'usage que ce tiers envisage pour le terrain concerné". Il peut également demander à se substituer à l'exploitant pour réaliser "tout ou partie des mesures de mise en sécurité de l'installation". Enfin, il peut "par anticipation" demander l'autorisation de se substituer à l'exploitant en cas de future cessation d'activité.
Parallèlement, la loi cherche à éviter l'apparition de friches industrielles en cas de défaillance d'une entreprise industrielle qui ne se serait pas acquittée de ses obligations en matière de mise en sécurité du site. Elle remplace l'obligation de constitution des garanties financières des ICPE par des mesures qui se veulent plus efficaces, en sécurisant les sommes nécessaires à la mise en sécurité du site. Par ailleurs, le texte place, en cas de liquidation judiciaire, les dépenses de mise en sécurité du site dans la liste des créances à payer de façon prioritaire.
Sites naturels de compensation, de restauration et de renaturation
Le gouvernement a aussi cherché à favoriser la constitution de sites clés en main "restaurés", en anticipant les mesures de compensations de la biodiversité, préalables à l'implantation d'un site (article 15). Pour ce faire, la loi crée des "sites naturels de compensation, de restauration et de renaturation" (SNCRR), qui viennent remplacer les sites naturels de compensation (SNC) créés par la loi du 8 août 2016 pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages mais jusqu'ici très peu utilisés, car trop complexes à mettre en œuvre, les SNC devant être mutualisés entre plusieurs projets. Ce qui ne sera plus forcément le cas. Les SNCRR pourront donner lieu à l'attribution de crédits carbone au titre du label "bas-carbone".
Un décret doit préciser les modalités d'agrément et de suivi des SNCRR ainsi que la nature et les modalités de vente des unités de compensation, de restauration ou de renaturation.
Dans un délai de deux ans à compter de la promulgation de la présente loi, "une plateforme en ligne de référencement des unités de compensation, de restauration ou de renaturation" sera mise en place par l'État.
Le levier de la commande publique
Dans la lignée de plusieurs textes récents (notamment la loi Climat et Résilience de 2021), la loi entend utiliser le levier de la commande publique pour encourager le développement de l'industrie verte. La loi impose tout d'abord un schéma de promotion des achats publics socialement et écologiquement responsables (Spaser) à l'ensemble des acheteurs, y compris l'État. Par ailleurs, les acheteurs pourront exclure d'un marché les candidats qui ne seront pas en mesure de présenter un bilan de leurs émissions de gaz à effet de serre (Beges). À noter que pour les entreprises de 50 à 500 salariés, le bénéfice d'aides publiques à la transition écologique et énergétique devient conditionné à la présentation d'un bilan simplifié des émissions directes et indirectes de gaz à effet de serre (un décret doit en préciser les conditions).
Autre motif d'exclusion des marchés publics : les offres provenant de pays tiers exerçant une concurrence déloyale. Enfin, la loi vient préciser que la notion d'"offre économiquement la plus avantageuse", définie par les directives européennes, ne se résume pas au coût et "peut également être déterminée sur le fondement d'une pluralité de critères non discriminatoires et liés à l'objet du marché ou à ses conditions d'exécution" comprenant notamment "des aspects qualitatifs, environnementaux ou sociaux". Ce qui permettra de sécuriser juridiquement les acheteurs dans la pondération de leurs critères (article 29). En outre, l'obligation pour les marchés publics de prendre en comptes des critères environnementaux (prévue par l'article 35 de la loi Climat et Résilience) est avancée au 1er juin 2024 (au lieu d'août 2026), l'idée étant de promouvoir les produits clés liés à la décarbonation (voitures électriques, pompes à chaleur…).
Ombrières photovoltaïques
Les parlementaires sont venus modifier l'article 40 de la toute récente loi du 10 mars 2023 relative à l'accélération de la production d'énergies renouvelables concernant l’obligation d’équiper les parcs de stationnement de panneaux photovoltaïques. Il s'agit de se donner un peu plus de temps afin de pouvoir se fournir en panneaux de nouvelle génération auprès des usines françaises et européennes, alors que plusieurs projets seront en pleine capacité d'ici 2027 ou 2028 (article 23). Le gestionnaire doit justifier "d'un contrat d'engagement avec acompte au plus tard le 31 décembre 2024 et d'un bon de commande conclu avant le 31 décembre 2025". Ce contrat doit porter "sur des panneaux photovoltaïques dont les performances techniques et environnementales ainsi qu'en termes de résilience d'approvisionnement sont précisées par décret". Pour les parcs de plus de 10.000 m2, l'installation doit être prévue "avant le 1er janvier 2028".
"Les opérations industrielles qui entraînent une baisse des émissions de gaz à effet de serre, notamment à la suite de relocalisations d'activité, peuvent donner lieu à la délivrance de certificats d'économie d'énergie, dans des conditions définies par décret", est-il également précisé (article 24).
Développement de l'économie circulaire
Il est aussi prévu de structurer une filière de recyclage, en recourant davantage aux déchets comme matière première. La loi facilite ainsi la sortie du statut de déchet : "Une substance ou un objet élaboré dans une installation de production qui utilise pour tout ou partie des déchets comme matière première n'a pas le statut de déchet si cette substance ou cet objet est similaire à la substance ou à l'objet qui aurait été produit sans avoir recours à des déchets", dispose-t-elle (article 6). L'article ouvre aussi la possibilité de recycler sans procédure particulière les résidus de production au sein des plateformes industrielles à une triple condition : que l'utilisation de ces résidus soit "certaine", qu'ils n'aient "pas d'incidence globale nocive pour l'environnement ou la santé humaine" ou que l'exploitant ait transmis à l'autorité administrative les résultats des tests réalisés. Des amendes administratives (sans préjudice des sanctions pénales) sont prévues pour éviter tout transfert de ces substances en dehors du territoire national, afin d'éviter les dépôts sauvages à l'étranger et d'encourager les circuits courts.
Un an après la promulgation de la loi, le gouvernement prendra des mesures pour s'assurer que les textiles usagés contenant des fibres plastiques seront réutilisés et non traités comme des déchets.
Financement de l'industrie verte : plan épargne climat
Cette vaste loi comporte un dernier volet sur le financement de l'industrie verte. Elle prévoit le lancement d'un nouveau produit destiné aux jeunes et débloqué à leur majorité : le "plan épargne climat". D'autres mesures, comme le crédit d'impôt en faveur des entreprises qui investissent dans les industries vertes, sont actuellement examinées dans le cadre du projet de loi de finances pour 2024. Mais la réussite de la politique de réindustrialisation repose aussi sur le coût de l'énergie. Ce qui est une autre histoire.