Projet de loi Industrie verte : les intercommunalités livrent leurs préconisations
Dans un document détaillé remis au ministre de l'Économie, Intercommunalités de France entre de plain-pied dans la préparation du projet de loi Industrie verte attendu au début de l'été. Alors que le texte doit accélérer la réindustrialisation du pays sur une base décarbonée, l'association estime que les intercommunalités, comme les régions, sont les mieux placées pour appréhender l'ensemble des enjeux, notamment en matière de ressources naturelles et de foncier mobilisés. Elle invite donc à inscrire dans la loi un principe de contractualisation État-collectivités, qui faisait défaut dans le plan France 2030.
Sans doute la mise au second plan des collectivités dans le déploiement du plan France 2030 a-t-elle servi de leçon. Le président d’Intercommunalités de France, Sébastien Martin, a présenté à Bruno Le Maire, mercredi 1er mars, un document détaillé, avec 20 propositions, en vue du futur projet de loi sur l’industrie verte qui doit être présenté avant l’été au Parlement. Ce chantier avait été confié par le ministre, début janvier, lors de ses vœux, au président de la commission des affaires économiques de l’Assemblée nationale, le député Guillaume Kasbarian (Eure-et-Loir, Renaissance). Ce dernier est à l’origine du dispositif des "sites clés en main", visant à accélérer les délais d’installation pour les industriels. L’un des points faibles de la France, souvent décrié par les investisseurs étrangers. Or le monde se livre aujourd’hui à une véritable course contre la montre sur l’industrie verte, surtout depuis que les États-Unis ont brandi leur Inflation Reduction Act (IRA), assorti de subventions massives. Or si la France reste une terre attractive pour les investissements étrangers, elle peine souvent à attirer de gros projets (voir notre article du 27 février 2023).
Du foncier, "en quantité et surtout en qualité suffisante"
Le député devrait être sensible à l’argument des intercommunalités selon lequel la première difficulté pour réussir la réindustrialisation sur une base écologique sera de trouver du foncier disponible, "en quantité et surtout en qualité suffisante". "En 2022, 70% des intercommunalités refusent des implantations ou font face à des départs d’entreprises faute de foncier économique disponible", souligne l’association. Elle propose de "massifier" ce dispositif pour le transformer en "parcours de montée en disponibilité et en gamme des sites". Il pourrait s’accompagner d’une offre d’ingénierie, provenant des régions, de Business France ou de la délégation des territoires d’industrie, et d’un renforcement des aides aux collectivités destinées à l’étude, la réhabilitation et l’aménagement du foncier productif. Au-delà de la raréfaction du foncier, qui devrait s’accentuer avec le ZAN (zéro artificialisation nette), c’est la qualité du foncier qui pose question, alors que nombre de zones d’activité économique ne répondent plus aux besoins actuels. Intercommunalités de France invite à une véritable montée en gamme misant à la fois sur la haute qualité environnementale, le niveau de compétences, les services et équipements partagés… L’association suggère "à très long terme", la création d’un "Bauhaus des sites industriels". Elle demande aussi "la sanctuarisation" de grands sites industriels de plus de 100 hectares dérogeant à l’objectif du ZAN, afin de constituer une dizaine de réserves foncières de grande envergure, immédiatement disponibles.
Pour un sixième groupe de travail
Le foncier fait partie des cinq groupes de travail qui planchent depuis plusieurs semaines sur le projet de loi, au côté de la commande publique ("produire, commander et acheter en France"), de la fiscalité, de la formation aux nouvelles compétences et du financement de l’industrie verte (voir notre article du 5 janvier 2023). Il est piloté par la députée Marie-Agnès Poussier-Winsback (Horizons, Seine-Marieme), la maire de Montceau-les-Mines, Marie-Claude Jarrot (Horizons) et la PDG du groupe Solvay, Ilham Kadri. Intercommunalités de France souhaite en rajouter un sixième, dédié "à l’accompagnement des entreprises d’ores et déjà implantées dans les territoires afin de favoriser leur décarbonation". Car le projet de loi "ne doit pas s’adresser qu’aux nouvelles filières, ou aux sites les plus émetteurs". Il s’agirait ainsi de "repérer les freins aux projets de décarbonation des industriels, identifier des pistes d’accompagnement, ou valoriser des projets/dispositifs plébiscités par les entreprises". L’association estime que les intercommunalités, qui disposent à 91% d’un service économique, ou les régions, sont les mieux placées pour le faire, d’autant que "l’industrie ne peut se penser indépendamment des ressources naturelles qu’elle mobilise" (outre le foncier, l’eau, l’énergie, les matières premières…). À ce titre, l’association espère que "l’ouverture au dialogue" qui a prévalu au lancement du chantier perdure. Mais comme on n’est jamais trop prudent, elle propose d’inscrire dans le projet de loi une "contractualisation État-collectivités qui permette d’associer l’ensemble des partenaires techniques et financiers pour verdir l’industrie". Cette contractualisation pourrait constituer le volet économique des contrats de relance et de transition écologique (CRTE).
Sur le volet fiscal, l’action du gouvernement a jusqu’ici surtout consisté à supprimer les impôts de production, ce à quoi s’était opposée Intercommunalités de France, invitant à bien distinguer les activités exposées à la mondialisation et les autres. En vain. Ici, elle demande de veiller à maintenir un lien entre dynamisme industriel et fiscalité, avec "des critères de territorialisation de la fraction de TVA remplaçant la CVAE prenant en compte la création d’emplois industriels". Elle propose aussi d’acter un partage obligatoire de la taxe d’aménagement entre commune et intercommunalités pour les ZAE ou encore de taxer la vacance des locaux industriels.
Livret d'épargne populaire
La question du financement sera le nerf de la guerre, dans un contexte de concurrence exacerbée. Intercommunalités de France défend notamment l’idée un livret d’épargne populaire dédié au financement des projets industriels verts qui pourrait être abonder par les collectivités ou les citoyens pour soutenir les projets industriels de leur territoire. Elle préconise aussi la mise en place d’un mécanisme assurantiel de type "pollueur payeur" : un industriel cotiserait tout au long de son activité, l’argent servirait à requalifier le site au moment de sa fermeture. Cet argent pourrait être réinvesti dans des foncières industrielles gérées par la Caisse des Dépôts.
En matière de compétences, elle suggère la création "d’académies industrielles dans les territoires", proposant des formations de bac+3 au doctorat, au plus près des lieux de production. Elle souhaite une amélioration des campus des villes moyennes, dans le cadre du rapprochement à venir entre les programmes Action cœur de villes et Territoires d’industrie.
On retiendra encore la volonté des intercommunalités de "massifier" la commande publique, notamment par le biais de "groupements d’achats mutualisés" dans les filières vertes.
Le temps presse puisque, selon les Échos, les groupes de travail devraient livrer leurs premières propositions lors d’une réunion à Bercy, le 8 mars, même si la concertation se poursuit jusqu'à la fin du mois, le tout devant être consolidé courant avril.