Bruxelles prêt à lâcher du lest pour subventionner "l'industrie verte"

Réforme du marché de l'électricité, nouvelles facilités de subventions dans les énergies renouvelables, création d'un Fonds de souveraineté européen, programmes de reconversions professionnelles... Présenté comme une riposte au Inflation Reducation Act américain et aux nombreuses mesures interventionnistes prises à travers le monde, le plan pour l'industrie verte présenté par la Commission, le 1er février, vise à replacer l'Union européenne dans le course à la "décarbonation". Il sera au menu du Conseil des 9 et 10 février.

Alliés sur le front militaire, les Etats-Unis et l’Union européenne n’en restent pas moins rivaux sur le plan économique. L’émoi suscité en Europe par le grand plan d’investissement américain de 370 milliards de dollars, l’Inflation Reduction Act (IRA), a conduit la Commission à présenter, le 1er février, son "plan industriel du Pacte vert". Déclinaison pour l’industrie du Pacte vert dont l’objectif est de faire de l'Europe le premier continent "neutre" pour le climat à horizon 2050. La lutte contre le changement climatique reste la boussole de la présidente de la Commission européenne Ursula Von der Leyen qui, saluant la "bonne nouvelle" d’une prise de conscience mondiale, voit aussi avec inquiétude les initiatives prises un peu partout avec leur lot de subventions pour les technologies "vertes" : derrière les Etats-Unis, il y a la Chine, mais aussi le Japon - qui a "avancé 140 milliards d'euros par le biais d'obligations de transition verte", a-t-elle dit -, ou encore le Royaume-Uni ou le Canada… Bref, l’Union européenne, qui pensait avoir pris le leadership est rattrapée sur ses flancs. "Ce que nous recherchons, c'est que nous ayons des règles du jeu équitables dans la concurrence mondiale et au sein du marché unique", a martelé Ursula von der Leyen.

Ce plan pour l’industrie verte, qu'elle avait annoncé lors de son passage remarqué à Davos, en janvier, repose sur quatre piliers : "un environnement réglementaire prévisible et simplifié", "un accès au financement plus rapide", "le renforcement des compétences" et "l’ouverture des échanges commerciaux pour des chaînes d’approvisionnement résilientes".

Au niveau de la simplification du cadre réglementaire est attendue une série d’initiatives législatives en 2023 : un règlement pour une industrie "zéro émission" (accorder des autorisations simplifiées et accélérées, encourager les projets stratégiques européens…), un règlement sur les matières premières critiques, pour garantir l’accès aux terres rares, la réforme très attendue du marché européen de l’électricité, dont la Cour des comptes européenne vient de dénoncer les dysfonctionnements (voir notre article du 1er février 2023).

Faciliter les subventions

L’autre sujet phare sera l’accès au financement avec, en première ligne, l’assouplissement des aides d’Etat et la capacité pour les Etats de subventionner les secteurs stratégiques, y compris via des allègements fiscaux. La Commission proposera à cet égard un nouveau "cadre temporaire de crise et de transition" ainsi qu’une révision du "règlement général d'exemption par catégorie" (RGEC) qui permet aux États membres de mettre directement en œuvre certaines aides, sans avoir à les notifier au préalable à la Commission pour approbation, dès lors que les avantages espérés sont plus forts que les éventuelles distorsions de concurrence.

Le cadre temporaire avait été mis en place pendant la crise sanitaire en 2020 pour permettre aux Etats membres d’outrepasser les règles habituelles afin de soutenir leurs entreprises en grande difficulté. Il avait déjà été renouvelé à plusieurs reprises, notamment pour répondre à la crise énergétique. La proposition présentée par la commissaire Margrethe Vestager, le 1er février, a été envoyée aux Etats membres pour consultation. Les nouvelles dispositions seraient en vigueur jusqu’au 31 décembre 2025. Il s’agira d’étendre les dispositions actuelles à toutes les énergies renouvelables et aux procédés de décarbonation de l’industrie (production de batteries, de panneaux solaires, d'éoliennes, de pompes à chaleur, d'électrolyseurs, stockage du carbone, matières premières critiques, hydrogène vert). La Commission a l’intention d’adopter ce cadre "dans les semaines à venir", "en tenant compte des commentaires reçus des États membres".

"La compétitivité en Europe ne peut se construire sur les aides d'État. Mais un soutien peut être nécessaire pour atteindre notre objectif de se débarrasser des combustibles fossiles le plus rapidement possible", a justifié Margrethe Vestager, insistant sur le fait, que les assouplissements devaient être "temporaires" et "ciblés". Dans un courrier envoyé aux Etats membres mi-janvier, dévoilé par le site Euractiv, la commissaire avait indiqué que l’Allemagne représentait à elle-seule 53% des 672 milliards d’euros de subventions accordées par le biais de ce cadre temporaire. Et la France 24%.

Fonds de souveraineté européen

Pour accélérer les investissements dans les technologies propres, la Commission prévoit par ailleurs de faciliter l’accès aux fonds existants (REPowerEU, InvestEU et le Fonds pour l'innovation). A plus long terme, elle étudie "les moyens de parvenir à un financement commun plus important au niveau de l'UE" et souhaite la création d’un "Fonds de souveraineté européen" au moment de la révision du cadre financier pluriannuel "avant l’été 2023". Dans un non-paper adressé à la Commission en janvier, la France avait suggéré de s’inspirer du fonds Sure, mis en place pendant la crise sanitaire pour financer des mesures de chômage partiel à partir d’emprunts communs (voir notre article du 17 janvier 2023). Mais les pays dits "frugaux" sont opposés à ce type de mécanisme.

Alors que 2023 sera "l’année européenne des compétences", la Commission entend en tirer profit pour "développer les compétences nécessaires à une transition écologique" ou "créer des académies des industries à zéro émission nette" afin de déployer des "programmes de perfectionnement et de reconversion dans les industries stratégiques".

La Commission entend enfin renouer avec la "coopération mondiale". On se souvient qu’après l’interruption des négociations du cycle de Doha à l’OMC, elle s’était lancée dans une série d’accords de libre-échange dits de "nouvelle génération" (voir notre article du 27 avril 2018). Un élan stoppé par la crise sanitaire mais qu’elle souhaite relancer à présent.

L'ensemble de ces mesures sera au menu du Conseil européen des 9 et 10 février. Plusieurs pays ont déjà manifesté leurs réticences.

 

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