"Industrie verte" : les intercommunalités appellent à ne pas renouveler les erreurs de France 2030
Lors de ses voeux aux acteurs économiques, Bruno Le Maire a détaillé, jeudi 5 janvier, les grands axes de son projet de loi Industrie verte qui devrait être présenté avant l'été. Cinq groupes de travail ont été mis en place. Intercommunalités de France a d'ores et déjà demandé à rencontrer le ministre pour ne "pas répéter les écueils de France 2030" qui a laissé les collectivités et intercommunalités de côté.
C’est un ministre visiblement satisfait de sa sixième année passée à la tête du "Paquebot" qui présentait ses vœux aux milieux économiques, jeudi 5 janvier. Une "stabilité" que Bruno Le Maire ne veut pas faire rimer avec "immobilité". Dans la mer de nuages qui s’amoncellent, le timonier veut tenir le cap des réformes et se fixe trois défis pour cette année : l’inflation, la réindustrialisation verte et les finances publiques. La relocalisation industrielle et l’industrie verte seront "le défi du XXIe siècle", a-t-il scandé, au lendemain de l’annonce d’un projet d’une loi spécifique. L’occasion pour lui de venir sur ce projet de loi Industrie verte qui s’inscrit dans le cadre de la planification écologique "France nation verte" lancée cet automne. Le texte "aura vocation à accélérer les processus d’autorisation des nouveaux sites industriels, à favoriser la commande publique nationale, à financer l’innovation industrielle avec France 2030, à réorienter l’épargne et à créer un environnement fiscal plus attractif pour l’industrie verte", a-t-il détaillé lors de ses vœux. Il s’agit de franchir une nouvelle étape après la bataille de l’attractivité menée depuis 2017 et qui s’est encore traduite dans le budget 2023 par une baisse de 8 milliards d’impôts de production sur deux ans (baisse en grande partie noyée dans la hausse du coût de l’énergie). Alors qu’il y a dix ans, l’emploi était tiré par le numérique, l’industrie verte devrait être le principal pourvoyeur des nouveaux emplois, espère-t-on dans l’entourage du ministre.
Cinq thématiques
Coordonné par le président de la commission des affaires économiques Guillaume Kasbarian (auteur d’un rapport de 2019 qui avait conduit à la création des sites industriels "clés en main" puis aux dispositions de la loi Asap de 2020 visant à faciliter et accélérer les démarches d’installation d’usines), sous l’égide du ministre délégué à l’Industrie Roland Lescure, le chantier a déjà démarré. Il repose sur cinq thématiques pilotées par autant de binômes composés de députés, d’élus locaux, comme Marie-Claude Jarrot, maire de Montceau-les-Mines (Saône-et-Loire), ou d’entrepreneurs : étudier la possibilité d’incitations fiscales, ouvrir des usines et réhabiliter des friches, produire, commander et acheter en France, financer la réindustrialisation verte, former aux compétences nouvelles, avec en filigrane la sous-représentation des femmes dans l’industrie.
Le chantier associera des opérateurs tels que Bpifrance et la Caisse des Dépôts et fera aussi l’objet d’une consultation en ligne, sur le modèle de la préparation de la loi Pacte. Ce "travail de fond" sera mené sur "tout le territoire" et devrait permettre de consolider le texte au printemps pour une présentation annoncée "courant juin-juillet", indique-t-on.
"Nous engagerons donc la France dans une réindustrialisation verte rapide, massive, planifiée. Avec un objectif : que la France devienne la première nation de l'industrie verte en Europ", claironne le locataire de Bercy. Si ls batteries, les semi-conducteurs, l’hydrogène font partie des secteurs privilégiés, rien n’est encore figé. Dès vendredi, Bruno Le Maire et Roland Lescure se rendront à Charleville-Mézières (Ardennes) dans les locaux de l’entreprise Hanon Systems, "un des premiers employeurs privés de la ville", fabricant de systèmes de refroidissement de batteries pour les véhicules électriques.
Inflation Reduction Act européen
Le ministre entend aussi croiser le fer au niveau européen dans le contexte de compétition accrue avec les États-Unis et leur "Inflation Reduction Act" fort de 370 milliards de dollars de subventions pour l’industrie décarbonée. Par mimétisme, Bruno Le Maire travaille avec son homologue allemand Robert Habeck à un "Inflation Reduction Act européen". L’enjeu : accélérer les procédures d’aides, mettre en place la taxe carbone aux frontières… Les deux ministres français et allemand se rendront également à Washington en février pour discuter des distorsions de concurrence causées par l’IRA. Hors de question en revanche pour Bruno Le Maire de sortir du marché européen de l’électricité, comme l’y poussent de nombreuses voix dans l’opposition. Il croit toujours à une réforme de ce mécanisme européen (actuellement très désavantageux pour l’industrie tricolore et taillé pour l’économie allemande) avec, à la clé, un découplage entre le prix du gaz et de l’électricité. Réforme qu’il appelle de ses vœux depuis l’été dernier… "Nous voulons que les premières mesures de réforme soient effectives dès 2023", espère-t-il. D’ici là, le gouvernement sort le carnet de chèques pour aider les entreprises les plus fragilisées par la hausse du coût de l’énergie. Même si Bruno Le Maire se défend de tout retour au "quoi qu’il en coûte" qui ne ferait qu’alimenter l’inflation. "Nous sommes là. (…) Allez chercher l’argent auquel vous avez droit", a-t-il lancé à tous les entrepreneurs en difficulté : boulangers, restaurateurs, traiteurs, laveries... Au même moment, le dispositif mis en place par Bercy se faisait étriller par le président de la République, lors de la traditionnelle cérémonie de la galette de l’Épiphanie : "On m'avait donné un numéro vert, mais il se trouve que j'ai eu un bon réflexe, j'ai testé le numéro vert qu'on m'a donné avant : ça ne marche pas", a lancé le chef de l’État devant un parterre de boulangers.
"Ne pas répéter les écueils de France 2030"
À l’annonce de ce projet de loi Industrie verte, l’association Intercommunalités de France a aussitôt demandé à rencontrer le ministre pour lui remettre ses propositions. Une célérité qui vise à ne pas reproduire les erreurs du plan France 2030 qui a laissé les collectivités de côté alors qu’elles sont aux premières loges pour faire remonter les projets les plus prometteurs. "Il faut absolument s’appuyer sur les territoires pour identifier, accompagner et suivre les entreprises dans leurs projets", plaide Sébastien Martin, président de l’association, comme en écho aux déclarations d’Élisabeth Borne lorsqu’elle lançait la planification écologique : "Ce sont les territoires qui ont entre leurs mains la plupart des compétences décisives pour la transition écologique", avait souligné la cheffe du gouvernement (voir notre article du 21 octobre 2022). L’association insiste ainsi pour que "la logique des appels à projets fasse place à un accompagnement global des entreprises dans nos territoires, afin de ne pas répéter les écueils de France 2030". Condition nécessaire selon elle à une "juste irrigation" des fonds dans les entreprises de tous les territoires "et pas seulement celles qui disposent de davantage d’ingénierie, particulièrement en Île-de-France et dans les grandes métropoles". Sachant que "70% de l’industrie est située en-dehors des grandes agglomérations", souligne-t-elle.