Bataille pour l'industrie verte : les territoires aux avant-postes
Échaudées par la mauvaise expérience de France 2030, les collectivités peuvent s'estimer satisfaites de la tournure que prend le projet de loi sur l'industrie verte, dont les groupes de travail ont remis leurs propositions lundi 3 avril. La fiscalité locale ne devrait pas être touchée, les rapporteurs privilégiant un crédit d'impôt. Ils proposent par ailleurs d'insérer un volet industriel dans le Sraddet, de multiplier les sites "clés en main" tout en réduisant les délais de procédure, d'utiliser un nouveau label "triple E" dans la commande publique ou encore de créer un maillage d'"académies territoriales" au plus près des sites de production... Revue de détail.
"Une loi c'est bien, une loi votée c'est mieux." Après l'épreuve de la réforme des retraites, le ministre de l'Économie, Bruno Le Maire, entend emporter l'adhésion d'une majorité transpartisane autour de son projet de loi sur l'industrie verte dont on connait à présent les contours. Lundi 3 avril, les cinq binômes (élus-industriels) qui planchent depuis trois mois sur ses différentes thématiques (fiscalité, financement, foncier, commande publique, compétences), sous la houlette du président de la commission des affaires économiques à l'Assemblée, le député d'Eure-et-Loir Guillaume Kasbarian (Renaissance), ont dévoilé leurs 29 propositions aux ministres concernés. Place à présent à une consultation publique (sur le site make.org) qui aboutira à la consolidation du texte pour première lecture prévue cet été dans les deux chambres. Un texte que Bruno Le Maire souhaite "simple et court", bâti autour d'une dizaine d'articles.
Chat échaudé craint l'eau froide : les intercommunalités étaient aux avant-postes afin de ne pas laisser passer leur chance, après la désillusion du plan France 2030. Et elles sont plutôt satisfaites de la tournure des événements. Car selon l'association Intercommunalités de France, "un grand nombre" de ses propositions remises au gouvernement le 1er mars (voir notre article du 3 mars 2023) ont été reprises. "Nous sommes sur un véritable changement d’attitude du côté de Bercy. Il y a une prise de conscience du rôle central qu’ont les territoires dans la réindustrialisation du pays", a loué le président de l'association, Sébastien Martin, dans un communiqué lundi.
Le pari de ce texte consiste à réindustrialiser le pays sur une base nouvelle – l'industrie décarbonée – le tout sous le sceau de la sobriété foncière et avec le spectre de la concurrence accrue imposée par la Chine et les États-Unis. L'initiative française est concomitante avec le "Net Zero Industry Act" présenté par la Commission en mars (voir notre article du 20 mars 2023).
Vers une planification dans le Sraddet
Planification des implantations d'usines, adaptation des compétences... les propositions des groupes de travail font la part belle aux collectivités. Elles vont tout d'abord dans le sens d'une planification foncière régionale de l'industrie. Car si les EPCI sont responsables de l'urbanisme et de l'occupation des sols, et donc de l'implantation de zones industrielles, les sites de grande ampleur imposent des contraintes particulières. "C'est au niveau régional que s'élabore le Sraddet [schéma régional d'aménagement, de développement durable et d'égalité des territoires]", a fait valoir Marie-Claude Jarrot, maire de Montceau-les-Mines, copilote du groupe de travail sur les ouvertures d'usines, préconisant d'ajouter un volet industriel au schéma, comme c'est le cas de la logistique depuis la loi Climat et Résilience du 22 août 2021. Cela permettrait de donner une "meilleure attractivité de la région, sans nuire au zéro artificialisation nette". Une mesure jugée "encourageante" par Intercommunalités de France "à condition qu’elle donne lieu à des partenariats approfondis entre régions et intercommunalités".
Le groupe de travail plaide aussi pour une l'accélération de la dépollution des terrains industriels (avec désignation d'un "tiers demandeur" à la fin de l'ancienne activité) et la multiplication des "sites clés en main" afin de réduire les délais d'implantation. Le site devra ainsi être bien desservi et connecté aux différents réseaux, "correctement dépollué" et purgé des procédures d'archéologie préventive. Plus généralement, le groupe de travail préconise de "paralléliser" les procédures en lançant simultanément les différentes instructions administratives.
Ramener les procédures d'autorisation de dix-huit à neuf mois
"Nous devons avoir des procédures environnementales robustes, sérieuses mais rapides", a abondé Bruno Le Maire, en se tournant vers le ministre de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires, Christophe Béchu. "Sinon c'est le climat qui est perdant car nos panneaux solaires viendront de pays où la décarbonation est moins avancée qu’en France. On peut conjuguer climat et vitesse", a-t-il argumenté. L'exécutif veut ainsi ramener les procédures d'autorisation de dix-huit à neuf mois. Prenant l'exemple de l'usine de batteries électriques ACC qui sera inaugurée au printemps dans le Pas-de-Calais, le ministre délégué chargé de l'industrie, Roland Lescure, a indiqué qu'il lui avait fallu sept mois entre l'autorisation et la pose de la première pierre. "Il faut que cette exception de vienne la règle."
Christophe Béchu a rappelé la mission confiée au préfet Rollon Mouchel-Blaisot qui "va faire un tour de France pour aller rencontrer les élus locaux" et établir une cartographie du foncier industriel disponible (voir notre article du 9 mars 2023), comme le recommande le groupe de travail.
L'autre copilote de ce groupe, la députée Marie-Agnès Poussier-Winsback (Horizons, Seine-Marieme) a préconisé de supprimer les garanties financières demandées aux industriels pour dépolluer les sites, difficiles à mettre en œuvre, et de les remplacer par une contribution alimentant le fonds friche.
La fiscalité locale épargnée
Autre sujet capital au regard de l'Inflation Reduction Act de Joe Biden et des risques de délocalisations qu'il fait craindre : la fiscalité. "Après consultation de l'ensemble des associations d'élus locaux", il a été décidé de ne pas proposer de modification de la fiscalité locale des entreprises, comme ce fut le cas avec le plan de relance, mais de recourir à des subventions directes ou, plus probablement, à des crédits d'impôts à la fois pour les entreprises qui s'engageraient dans la voie de la décarbonation ou pour toutes les filières stratégiques (batteries, électrolyseurs, pompes à chaleur, nucléaire de nouvelle génération, photovoltaïque et éolien, stockage du carbone, semi-conducteurs, réseaux électriques). Conformément au cahier des charges du ministre de l'Économie, l'impact de ces mesures doit être nul sur les finances publiques. Parmi leurs pistes de financement, les rapporteurs préconisent une hausse de certains taux réduits de TICPE ou encore du malus sur les véhicules les plus polluants et disent en revanche avancer d'une "main tremblante" sur le crédit impôt recherche (CIR). Ils proposent aussi une réallocation des crédits non utilisés du plan France 2030.
L'épargne privée pourrait également être mise à contribution avec la création d'un "livret Vert", en remplacement du livret de développement durable et solidaire (LDDS) et un "livret Climat" pour les mineurs. L'épargne retraite et l'assurance vie pourraient aussi permettre de "canaliser plusieurs milliards d'euros par an vers la réindustrialisation verte". "Toutes les propositions [de financement] me semblent intéressante, a déclaré Bruno Le Maire, évoquant un "Yalta de l'industrie verte". "Vous allez en prendre pour un demi-siècle", a-t-il déclaré pour mieux souligner les enjeux. Le ministre ne semble en revanche pas s'inquiéter outre-mesure de l'écart du prix de l'énergie entre la France et les Etats-Unis, prenant acte de la proposition de réforme du marché européen de l'électricité, pourtant bien moins ambitieuse que ce qu'il demandait.
Un nouveau label "triple E"
Afin de se prémunir du greenwashing et d'assurer un avantage compétitif aux entreprises qui produisent en France, les rapporteurs proposent la création d'un standard d'excellence environnementale, le "triple E" (pour "excellence environnementale européenne"). Il aurait vocation à s'appliquer pour la commande publique, sachant que moins de 20% des marchés publics intègrent aujourd'hui des considérations environnementales. Les demandes de soutien public pour des aides à la transition et à la décarbonation pourraient par ailleurs être conditionnées à la présentation d’un "Beges" (bilan carbone) et d’un plan de transition.
Enfin, dernière priorité : la formation aux compétences nouvelles induites par tous ces changements dont le coût humain pourrait être élevé (voir notre article du 22 mars 2023). En dehors de ce qui a été entendu maintes fois (lancement d'une campagne de communication, rendre les métiers de l'industrie "désirables", encourager leur "féminisation"…), les rapporteurs entendent doubler le nombre d'écoles de production et renforcer les Campus des métiers et des qualifications pour constituer un maillage d'"académies dans chaque territoire" au plus près des lieux de production. Une proposition qui répond à une demande d'Intercommunalités de France et qu'on retrouve aussi dans le Net Zero Industry Act européen. À la tête du Grand Chalon, Sébastien Martin est un fervent défenseur de ces académies. La communauté d'agglomération "s’implique depuis plusieurs années pour l’ouverture, au niveau local, de diplômes répondant aux besoins des entreprises industrielles grâce à des coopérations sur-mesure avec des partenaires de l’enseignement supérieur4 (UIMM, Cnam, Ensam...)", fait-elle valoir dans un communiqué du 3 avril.
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