Jean Révéreault (Intercommunalités de France) plaide pour une "satiété heureuse" mais n'épargne guère l'État

Intervenant devant l'association Équilibre des énergies sur le rôle des intercommunalités dans le financement des projets de transitions écologique et énergétique, Jean Révéreault, vice-président d'Intercommunalités de France chargé des transitions écologiques, n'a guère été tendre avec l'État, qu'il accuse notamment d'affaiblir les collectivités. Dressant l'éloge du contrat, il plaide pour que l'on mise davantage sur le "citoyen investisseur".

Affaiblir pour mieux régner ? À écouter l'intervention de Jean Révéreault, vice-président d'Intercommunalités de France chargé des transitions écologiques, prononcée ce 31 janvier devant les adhérents d'Équilibre des énergies (l'association présidée par l'ancien ministre Brice Lalonde), c'est la stratégie que conduirait l'État. "Il ne souhaite pas que des territoires matures émergent", estime-t-il.

Bercy dans le collimateur

Particulièrement dans le viseur, "la petite cellule de Bercy qui invente toujours une solution pour que l'État paye moins", transférant les compétences, renforçant les attentes tout en réduisant les moyens alloués. Le vice-président du Grand Angoulême multiplie les exemples : taxe Gemapi limitée à 40 euros par habitant, récent transfert des digues avec des "moyens insuffisants et trop restrictifs" (voir notre article du 26 janvier), suppression progressive de la CVAE et Ifer à la baisse – "les anciennes éoliennes contribuaient aux territoires ; pas les nouvelles"… Avec en point d'orgue "la disparition de la taxe d'habitation", avec laquelle "on file à la catastrophe", non seulement financière, mais aussi démocratique, puisque "on a perdu tout lien avec les citoyens". Avec ce "panier fiscal qui rétrécit et une richesse économique qui peut être freinée par le ZAN", l'élu promet des lendemains difficiles : "L'avenir des intercommunalités n'est pas bon", même s'il le juge "'moins pire' que celui des départements, avec la baisse des droits de mutation, et 'moins pire' que celui des régions, qui doivent tout à la TVA" (voir notre article du 19 janvier). Seule éclaircie à son goût, le fonds vert. Après avoir pensé "encore un truc de plus", il estime désormais "qu'heureusement que ça existe". Même si, "comme le fonds Chaleur", sa dotation n'est "pas suffisante".

Des normes nécessaires…

Pour inverser cette tendance délétère, il plaide notamment pour qu'"une part de l'accise carbone soit fléchée vers les intercommunalités – 10 euros/habitant – et les régions – 5 euros/habitant". Une taxe dont le fruit va aller croissant, notamment avec l'entrée du bâtiment et des transports dans le marché carbone en 2027 (voir notre article du 4 janvier 2023). "On a intérêt à faire de la pédagogie", prévient-il, déplorant au passage que "le gouvernement ait été lâche au moment des gilets jaunes sur la taxe carbone". "Mais ce n'est pas ce qui se passe en ce moment avec le monde agricole qui va me rassurer", grince-t-il. "Les agriculteurs souffriraient de trop de normes ? Ils n'ont surtout pas assez de revenus", diagnostique-t-il, jugeant ces normes bel et bien nécessaires. Il argue notamment des actions que les collectivités doivent conduire pour protéger les captages, empoisonnés par les nitrates et autres métabolites (voir notre article du 20 juillet 2023 et celui du 15 décembre 2023). "On ne peut pas continuer à faire comme les Brésiliens ou d'autres, ce n'est plus possible !", lance-t-il, à l'heure où le projet d'accord commercial UE-Mercosur agite les débats.

… mais

Pour autant, son attrait pour les normes a des limites. "La France a des tas de dispositifs, mais ne mesure jamais leur impact", concède-t-il. Et d'évoquer notamment "le diagnostic de performance énergétique, dont je ne suis pas convaincu qu'il soit fait de bonne manière", avant de lâcher : "C'est du n'importe quoi" (voir notre article du 2 juin 2023). Il interroge : "Comment agir si l'on ne sait pas d'où l'on part." De même, s'il déplore un trop grand "attachement à la voiture", il estime qu'on "ne doit pas interdire, mais favoriser les changements de comportement". Il relève d'ailleurs au passage que s'agissant des ZFE, "la loi à tendance à s'évaporer".
Plus encore, l'élu souligne qu'"on n'a pas toujours besoin d'une loi pour agir". Surtout quand elles sont jugées néfastes. Ainsi de la loi accélération des EnR (voir notre dossier), qui "met les territoires dans des situations incroyables". En cause, la définition des zones d'accélération. "On a ramené au niveau communal ce qui avait été pensé pour l'intercommunalité. Le Sénat avait trouvé la bonne solution, mais c'est à l'Assemblée qu'il y a eu ce retour en arrière, en la confiant à des communes – 7 sur 10 ont moins de 1.000 habitants – qui n'ont pas de données, pas d'ingénierie… Une définition qui en plus devait être opérée pour fin juin, puis pour fin septembre, puis fin décembre, avant que l'on l'indique que l'essentiel était qu'elle soit mise en route [voir notre article du 21 novembre 2023], puis pour fin janvier. Un préfet de Bretagne a même fixé le 31 mars prochain. Les communes sont toujours dans l'embarras. Quelle accélération !" Un État décidément "pas exemplaire", Jean Révéreault déplorant par exemple que les préfectures ne disposent pas toutes de station de recharge électrique. 

Place au contrat…

L'élu fait au contraire l'éloge du contrat, "une façon d'être ensemble". Les CRTE "nouvelle génération" (voir notre article du 9 octobre 2023) en sont un exemple, certes encore imparfait : "L'État s'est voulu interministériel, malheureusement toujours pas pluriannuel", déplore-t-il. Jean Révéreault estime qu'ils pourraient néanmoins être enrichis, notamment d'un certain nombre d'indicateurs, comme les objectifs de développement durable, afin de servir de "tableau de bord". Il craint toutefois que les sempiternelles "promesses de changement de méthode" ne soient guère tenues. Et d'évoquer la préparation des COP régionales – au cours desquelles le ministre Béchu, "brillant, a fait le show, mais où il n'y avait pas vraiment de dialogue" –, nécessitant de "remplir des tableaux Excel de 150 lignes et d'une douzaine de colonnes. C'est ingérable". Il espère que tout ce travail "se traduira par des engagements contractualisés, sinon qu'est-ce qu'on aura perdu comme temps !". 

… et aux citoyens-investisseurs

L'élu n'en reste pas moins optimiste, se désolant qu'une grande partie de ses concitoyens ne le soient guère. D'abord, il estime que "les sous existent, il n'y a aucun souci. On a les moyens en France". C'est heureux, car il met dans le même temps en avant le fait qu'outre les stations de recharge électrique, "d'autres réseaux vont coûter très cher", visant l'eau, "pour résorber les fuites et améliorer sa qualité" ou les réseaux électriques, "notamment pour se préserver des aléas climatiques".
Pour financer la transition, il met en avant l'intracting (voir notre article du 6 avril 2023) et le tiers-financement (voir notre article du 31 mars 2023). Surtout, il suggère de "mettre les épargnants dans le coup", et singulièrement l'assurance-vie à contribution, solution qui lui est chère (voir notre article du 3 octobre 2022) : "L'assurance-vie, c'est 1,8 milliard d'euros, et presque rien dans la transition énergétique", met-il en avant. Il plaide plus largement pour "un citoyen investisseur", notamment dans les projets d'EnR, ce qui facilitera leur acceptabilité (ce qu'il a déjà plaidé à l'Assemblée – voir notre article du 30 septembre 2022). Si "les gens n'en veulent pas", c'est entre autres parce qu'ils "ne veulent pas que des gens de l'extérieur viennent faire de l'argent sur leur dos", juge-t-il. Et de conclure en promouvant la "satiété heureuse" plutôt que "la sobriété", perçue comme l'incarnation d'une "écologie punitive".