Transition écologique : collectivités, endettez-vous !

Au cours d'une conférence organisée ce 16 janvier par la Banque postale sur les investissements climat des collectivités, l’appel à un recours accru à l’endettement par ces dernières a une nouvelle fois été lancé. Si la voie paraît à première vue dégagée, de nombreux obstacles demeurent. En bonne place, un "endettement global du pays" pointé par le secrétaire général à la planification écologique.

Endettez-vous ! Telle a été, une nouvelle fois, l’exhortation adressée aux collectivités territoriales lors d’une conférence sur "les investissements climat des collectivités", organisée ce 16 janvier par la Banque postale, en partenariat avec la Sfil et le think tank I4CE.

Collectivités en première ligne

Présentant les conclusions d’une étude sur les façons de financer "l’accélération des investissements climat des collectivités" (voir notre article du 8 novembre 2023), François Thomazeau, de l’institut I4CE, insiste sur le fait que le doublement – au bas mot – de ces derniers est indispensable pour atteindre les objectifs nationaux et européens de réduction des gaz à effet de serre, "les collectivités étant omniprésentes dans les feuilles de route" du fait de "leurs compétences incontournables et de leur patrimoine très étendu". Bref, même si le maire de Rouen, Nicolas Mayer-Rossignol, insiste sur le fait que "ce n’est pas l’action publique qui va tout faire, c’est un changement sociétal qu’il faut" ("personne ne peut se planquer", lui fera écho Antoine Pellion, secrétaire général à la planification écologique), les collectivités sont, une fois encore, en première ligne.

Mobiliser tous les leviers, singulièrement l’endettement

Bonne nouvelle, François Thomazeau se dit convaincu qu’"une trajectoire est possible". À la condition de "mobiliser l’ensembles de leviers" : 
- redirection des dépenses des collectivités – la généralisation des budgets verts pour les collectivités et groupements de plus de 3.500 habitants (voir notre article du 8 janvier) devrait la faciliter ; "des renoncements sont nécessaires", prévient le maire de Rouen ; 
- mobilisation grandissante de leurs ressources propres ; 
- renforcement du soutien de l’État, dans une logique pluriannuelle ; 
- et, dans tous les cas, recours accru à l’endettement. 

Car rien ne sera possible si le tabou de l’endettement des collectivités n’est pas levé, estime l’expert. Selon lui, il devrait pouvoir l’être aisément puisqu’il ne s’agit que de "retrouver le volume des investissements du milieu des années 2000". "Les collectivités doivent se permettre de refaire de la dette", insiste également Christophe Jerretie, président du comité d’orientation des finances locales de la Banque postale, après que Philippe Mills, directeur général de la Sfil, a également plaidé pour "une hausse assez significative de la dette financière des collectivités". Et Nicolas Mayer-Rossignol de pointer la "contradiction entre un investissement public porté aux trois quarts en France par les collectivités et la part de ces dernières dans la dette publique française, qui représente moins de 10%".  

Une route a priori dégagée

À première vue, la route semble dégagée. D’une part, le refrain de la "réhabilitation" de la dette des collectivités est désormais régulièrement entonné, le ministre de la Transition écologique, Christophe Béchu, s’employant lui-même à donner le la (voir notre article du 6 février 2023). D’autre part, "quels que soient les acteurs des marchés financiers, il existe une appétence très forte pour faire du financement durable", explique Philippe Mills. Il ajoute que ces acteurs n’ont de toute façon guère le choix, puisque poussés en ce sens "par deux acteurs incontournables : le superviseur bancaire, de plus en plus exigeant, et l’Europe, avec sa taxonomie verte" (voir notre article du 23 octobre 2023). Bref, il n’y a selon lui "pas de sujets du côté des financeurs", si ce n’est que ces derniers "n’ont pas assez de projets" à financer. "L’argent est là. En 2024, on risque plutôt de manquer de projets", renchérit d’ailleurs Antoine Pellion. Un air là encore déjà connu (voir notre article du 10 mars 2022).

De nombreux freins

Reste que des freins subsistent, à commencer par la réticence des élus, surtout quand le ciel budgétaire (voir notre article du 22 septembre 2023) et financier (voir notre article du 24 mars 2023) s’obscurcit.

• Pointée par Philippe Mills, "l’injonction paradoxale" faite aux collectivités "entre la métrique de la dette financière et l’urgence de la lutte contre la dette écologique" y figure en bonne place. Dit autrement par Nicolas-Mayer Rossignol, "des règles comptables peu précises et inadaptées", notamment en ce qu’elles n’opèrent "pas de différenciation entre les investissements" et conduisent à une mauvaise "articulation entre investissements et fonctionnement". François Thomazeau avertit : "Les départements et les régions rencontreront les plus grandes difficultés et vont se retrouver rapidement dans des impasses, avec un délai de désendettement qui dépassera les ratios", compte tenu de "la rigidité de leur budget et de l’ampleur de la marche à gravir" (en pointant l’impact du ferroviaire pour les régions). 

• La quasi-absence d’autonomie fiscale constitue un autre obstacle mis en avant, d’autant plus préjudiciable que "toutes nos taxes sont basées sur ce qu’il faut supprimer", note Christophe Jerretie. Agnès Langevine, vice-présidente de la région Occitanie, de les égrener : carte grise, TICPE, TGAP, taxe d’aménagement… Martine Poirot, DGS de la communauté de communes du Bassin de Pompey, déplore plus largement "un impôt qui a de moins en moins de sens" et attend en conséquence une "réforme de la fiscalité". Une "refonte" également souhaitée par Christophe Jerretie, mais qui n’aura pas lieu : Antoine Pellion "croit assez peu au grand soir de la fiscalité". Il concède néanmoins "des évolutions nécessaires", évoquant deux "sujets imposés" : la TICPE – au cœur du rapport intermédiaire du Trésor consacré aux enjeux économiques de la transition vers la neutralité carbone publié en décembre – et le Versement mobilités.

• Autre entrave dénoncée, le manque de confiance de l’État, qui pour Nicolas Mayer-Rossignol, empêche notamment une "meilleure articulation entre les différents niveaux de puissance publique". Un constat également dressé par Martine Poirot, qui dépeint des "technos de l’État qui restent en défiance. La posture n’est pas la bonne. L’État n’est pas dans le conseil, mais reste trop dans le contrôle a posteriori". Un "manque d’appui" d’autant plus préjudiciable qu’elle souligne le "problème de compétences" auquel sont par ailleurs confrontées les collectivités : "Nous avons un gros travail à faire sur nos métiers. Il a trop longtemps été négligé dans la fonction publique", juge-t-elle. Au passage, elle déplore le "rendez-vous manqué des CRTE. On ne peut pas dire que c’est un succès" (voir notre article du 15 mars 2023). Cette "grosse défiance", Christophe Jerretie la constate singulièrement "entre le législateur, l’exécutif et les collectivités" lors de l’examen et du vote du projet de loi de finances, alors qu’il constitue selon lui "le seul outil pour faire évoluer le financement". "Aujourd’hui, l’État va lever 280 milliards d’euros de dettes, dont 160 milliards de refinancement. Pourquoi ne pas lâcher 4 à 5 milliards aux collectivités ?", interroge-t-il. 

• La réponse est venue d’Antoine Pellion. S’il concède qu’il "existe une capacité d’endettement des collectivités", il rappelle que "le sujet est celui de l’endettement global du pays". Et d’alerter : "Le jour où le taux directeur augmente trop fortement, on va avoir un problème global de financement de la transition". Alors que la dette publique poursuit sa course folle – 3.088,2 milliards d’euros à la fin du troisième trimestre 2023 (111,7% du PIB), en hausse de 41,3 milliards sur le troisième trimestre, portée par l’État (+45,3 milliards d'euros), la dette des administrations publiques locales baissant au contraire d’1,1 milliard d'euros –, ce jour se fait toujours plus proche. "On se ment à nous même", grinçait Nicolas Mayer-Rossignol en pointant "des investissements pas du tout à l’échelle" de la transition climatique. Mais un mensonge peut en cacher un autre. Outre-Rhin, le chancelier Olaf Scholz – accusé de minimiser la gravité de la situation budgétaire allemande suite à la décision de la Cour de Karlsruhe interdisant la réaffectation de 60 milliards d’euros initialement destinés à la gestion des conséquences de la pandémie vers un fonds climat – est payé pour le savoir. Pour l’heure, les collectivités françaises semblent, elles, plutôt adeptes du "qui paie ses dettes, s’enrichit".