Congrès des maires – Des interrogations face à la généralisation des budgets verts

Portée par le projet de loi de finances (PLF) 2024, la généralisation des budgets verts aux collectivités de plus de 3.500 habitants inquiète. Si la DGFiP vante les bienfaits de cet outil qui permettra notamment de "valoriser la contribution des collectivités" et de "rendre compte de l'action publique locale", d'aucuns redoutent qu'il ne se mue rapidement en un outil de contrôle des collectivités et/ou de fléchage des subventions (certains y aspirant). Ils doutent également du fait qu'ils puissent être un véritable "outil d'aide à la décision" faute d'appropriation, qui suppose une adoption "progressive et volontaire" et un accompagnement qui semble faire défaut.

"Nous travaillons avec les associations d'élus pour permettre la généralisation des budgets verts dans les collectivités territoriales", indiquait le ministre délégué chargé des comptes publics, Thomas Cazenave, le 27 septembre dernier, lors de la présentation du projet de budget 2024. Ce travail aura visiblement été efficace puisque cette généralisation a été introduite sans délai par amendement au projet de loi de finances 2024 (voir notre article du 9 novembre 2023). Maire de Mareaux-aux-Près et co-président de la commission Transition écologique de l'AMF, Bertrand Hauchecorne le relativise toutefois. Animant le point info consacré à cette question ce 22 novembre au Congrès des maires, il déplore une concertation de façade et un projet déjà ficelé. Il est vrai que le ministre, encore député, s'apprêtait à déposer une proposition de loi sur le sujet.

Expérimentation dès 2024

"L'amendement prévoit une expérimentation à laquelle toutes les collectivités de plus de 3.500 habitants devront s'inscrire", explique Guillaume Robert, chef du service des gestions publiques locales, des activités bancaires et économiques à la direction générale des finances publiques (DGFiP). Le calendrier est resserré : "Le travail commencera début 2024 avec les associations d'élus pour définir le contenu du décret et définir la maquette qui s'appliquera aux comptes administratifs 2024", en "commençant par les investissements, là où il y a le plus d'enjeux à court terme", précise-t-il. La méthodologie reprendrait celle déployée depuis plusieurs années par l'institut I4CE.

Précipitation ?

Une précipitation qui n'est pas du goût de Florian Bercault, maire de Laval (53). L'élu n'est d'abord pas fan de la méthodologie I4CE, jugeant "qu'il ne faut pas voir le monde que par le carbone, mais aller vers des indicateurs de plus en plus holistiques. Il existe plein de méthodes de calcul, dont celle de la 'théorie du donut' que nous expérimentons à France Ville Durable (voir l'encadré de notre article du 26 septembre). Nous ne sommes qu'au début de l'histoire de cette comptabilité financière. Il faut encore expérimenter", plaide-t-il. Une position que ne partage pas Morgane Nicol, directrice de programme chez I4CE. "Je serais d'accord avec vous pour faire quelque chose de parfait. Malheureusement, nous n'avons plus le temps. Vous prenez aujourd'hui des décisions qui non seulement ont un impact sur l'environnement, mais qui font aussi que votre territoire sera plus ou moins bien adapté aux conséquences du changement climatique. Ce n'est pas qu'une question d'atténuation du changement climatique. C'est aussi un problème de développement du territoire. Il faut être certain que les investissements d'aujourd'hui seront bien pertinents dans le monde de demain. Ne prenons pas trois siècles pour faire de la comptabilité verte !", exhorte-t-elle.

"Anarchie" ou "planification à la chinoise" ?

À l'AMF, l'argument peine à convaincre. L'on souligne que plusieurs collectivités ont déjà mis en place depuis plusieurs années des budgets verts, comme en Mayenne (voir notre article du 8 décembre 2021). "La prise de conscience est déjà là", insiste Florian Bercault, qui n'entend pas laisser croire que les collectivités ne se poseraient pas déjà ces questions. "Soit on fait confiance, soit on fait une planification à la chinoise. Pourquoi vouloir uniformiser une méthode ?", interroge-t-il. "La réussite ne passera pas par la contrainte", affirmait le programme de la conférence. "Oui, mais elle ne peut pas non plus passer par l'anarchie", répond Guillaume Robert. "Il ne s'agit pas de brider les initiatives, mais de construire un outil universel qui soit le plus petit dénominateur commun. Toutes les communes n'ont pas les moyens de développer leur propre outil. Si la DGFiP, en lien avec la DGCL, ne l'avait pas proposé, les collectivités qui ne se sont pas encore lancées dans la démarche en seraient dépourvues", défend-il, évoquant un souci d' "industrialisation pour les 36.000 communes" qui permette "au moins d'avoir une base qui permet une forme de consolidation".

Outil de contrôle et de fléchage ?

Cette consolidation n'est précisément pas sans inquiéter. Des élus redoutent que le budget vert ne devienne un outil de contrôle et/ou de fléchage des crédits. Là encore, Guillaume Robert s'en défend. "Aucun fléchage d'investissements n'est prévu avec ce projet", assure-t-il. "Pour l'instant", redoutent certains. Le basculement paraît d'autant plus possible que le fonctionnaire observe qu'il "existe aussi une demande d'une politique plus incitative de l'État", qui subventionnerait davantage les collectivités jugées "vertueuses". 
Pour Morgane Nicol, cette consolidation est par ailleurs nécessaire parce que "l'on ne dispose d'aucune donnée sur les investissements des collectivités en faveur du climat", alors que "ce sont les collectivités qui en réalisent la majorité". Et d'alerter sur le fait "qu'on ne peut pas rectifier le tir sans indicateur". Elle ajoute que l'outil permettra également de "valoriser le travail des collectivités", ou encore "d'objectiver les manques pour dégager les moyens financiers nécessaires".  "On a du mal à connaître le point de départ, et donc l'ampleur de la marche", lui fait écho Guillaume Robert. En l'espèce, I4CE semble pourtant avoir déjà une idée assez précise de cette dernière : en croisant les objectifs de la stratégie nationale bas carbone (SNBC) avec les compétences obligatoires des collectivités, Morgane Nicol estime qu'un doublement des investissements réalisés par les collectivités est nécessaire.

Réponse aux banques

Être un levier pour chercher de nouveaux financements, c'est justement une autre vertu que prête Guillaume Robert à ce budget vert, confessant "avoir l'idée que les financeurs vont avoir ce type d'exigences". Nul suspens ici : cette exigence de budgétisation verte, les banquiers l'auront de manière certaine (voir notre article du 11 mars 2022), puisqu'ils devront nécessairement répercuter "les normes extrêmement exigeantes qui s'imposent à eux", observe Olivier Landel, directeur général de l'Agence France Locale. Lui voit dans ce nouvel outil "une clarification vertueuse" qui permettra aux collectivités de conserver "le fonctionnement globalisé qu'elles ont gagné il y a 50 ans, qui leur permet de ne pas avoir à déposer 2.000 dossiers de prêts, ce qui serait inenvisageable".

Nécessaire appropriation

Reste que I4CE soulignait récemment qu'un "exercice de budgétisation verte doit être davantage considéré comme un outil de pilotage stratégique interne ou une démarche managériale (…) que comme un instrument budgétaire stricto sensu ou un outil de reporting" (voir notre article du 27 octobre). Morgane Nicol insiste d'ailleurs sur "l'importance de l'appropriation de la démarche en interne", ce qui suppose, ajoute-t-elle, "une adoption progressive et volontaire" !, mais aussi "un accompagnement". Elle observe toutefois que "cette question de l'accompagnement reste ouverte". 

 

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