Réforme de l'action publique - Innovation publique en Europe : quelle place pour les territoires?
A l'occasion de la Semaine de l'innovation publique, une conférence intitulée "Modernisation de l'action publique européenne par l'innovation territoriale" a réuni le 14 novembre, à Paris, Marylise Lebranchu, ministre de la Décentralisation et de la Fonction publique, et plusieurs secrétaires d'Etat chargés, dans d'autres pays européens, des administrations publiques. Il s'agissait de la deuxième rencontre ministérielle de ce type, après une première réunion organisée à Madrid en février 2014.
"L'Europe doit être un modèle d'action publique pour beaucoup d'autres pays", a défendu Marylise Lebranchu qui, pour cela, a appelé à mettre l'innovation au service du citoyen. Pour lui redonner tout son sens, "l'action publique, qu'elle soit l'Etat ou les collectivités locales, doit devenir un partenaire de la vie", a ajouté la ministre. La rencontre européenne ambitionnait donc de valoriser les "expériences territoriales" qui "portent en elles le sens de l'action publique". "Nous devons les aider à les partager, à se mettre en réseau, et ce, au niveau européen", peut-on lire dans le document de présentation de la conférence.
En Italie, la compétence "marché du travail" recentralisée
D'acteurs locaux et d'expériences territoriales, il n'en a cependant pas beaucoup été question. Les interventions ont davantage porté sur les stratégies nationales et européennes en matière de modernisation de l'action publique dans son ensemble. Et les mêmes mots d'ordre semblent aujourd'hui résonner partout en Europe : simplifier les structures administratives, homogénéiser et numériser les procédures.
Alors que la France semble finalement privilégier le maintien du département, l'Italie est en plein processus de suppression d'un niveau d'administration locale, la province. "D'ici 18 mois, nous n'aurons plus que trois niveaux de collectivités : les communes, les villes métropolitaines et les régions", a assuré Angelo Rughetti, secrétaire d'Etat auprès du ministre italien de la Simplification et de la Fonction publique. Jusque-là gérée par la province, la compétence "marché du travail" revient aux mains de l'Etat ; les autres compétences des provinces seront reprises par les régions ou les communes selon un schéma propre à chaque région et décidé dans le cadre d'un "collège" réunissant l'Etat, la région et les communes. En outre, en Italie aussi, l'Etat réorganise sa propre organisation territoriale, avec l'objectif affiché de réformer l'action publique de façon "intégrée" et de réduire le nombre de postes.
L'Etat, "naturellement vorace" pour le maire d'une ville catalane
En Espagne aussi, l'heure est à la simplification de l'administration territoriale. "La loi va redéfinir les compétences à chaque niveau et empêcher les doublons", a expliqué Antonio Germán Beteta Barreda, secrétaire d'Etat aux Administrations publiques. Selon ce dernier, ce mouvement de réorganisation, affichant un objectif clair de lutte contre le déficit public, n'est pas sans rencontrer des difficultés politiques dans "un Etat très décentralisé". Le 9 octobre dernier, à l'occasion du congrès des régions de France, Carles Puigdemont i Casamajó, maire de la ville de Girona en Catalogne, s'était lui aussi fait l'écho des tensions qui peuvent exister actuellement en Espagne. Il avait alerté les régions françaises sur la "naturelle voracité" de l'Etat et appelé à "être attentif à ce que l'Etat ne donne [des compétences, des moyens] avec une main et retire de l'autre". Au pays des communautés autonomes, les pouvoirs locaux restent donc vigilants.
La "démocratie de proximité" des Länder est aussi "une malédiction"
Pour l'Italie, l'Espagne, mais aussi Allemagne, l'enjeu de la modernisation administrative consiste aussi à saisir les opportunités offertes par le numérique pour revoir de fond en comble les procédures, les rendre plus simples pour les usagers et plus homogènes sur le territoire national. Comme en France, l'ensemble des secteurs (entreprises, immobilier, fiscalité, …) sont actuellement passés au peigne fin. "Le numérique est certainement la force motrice majeure de rénovation de nos structures publiques", a considéré Ole Schroder, secrétaire d'Etat auprès du ministre fédéral de l'Intérieur en Allemagne. Pour ce dernier, "le gouvernement électronique consolide la démocratie de proximité", mais cette dernière est aussi "une malédiction". Selon le secrétaire d'Etat allemand, tout le défi est de trouver un équilibre pour préserver "l'avantage de la proximité" sans "l'inconvénient de la diversité" des approches - qui a pu se développer du fait de l'autonomie dont disposent les Länder et les communes d'Outre-Rhin.
Fonds structurels : 100 milliards pour la "spécialisation intelligente"
Quant à la Commission européenne, elle entend jouer un rôle d'appui aux administrations dans leurs efforts d'innovation à travers différents leviers, a expliqué Vladimir Šucha, directeur général du Centre commun de recherche. Les travaux de recherche de la Commission s'attachent notamment à "mieux comprendre les mentalités des citoyens", grâce aux sciences cognitives et comportementales pour, par exemple, augmenter les taux de participation – aujourd'hui très faibles – aux consultations publiques. Sur les modalités financières de l'appui européen, Vladimir Šucha a rappelé que 100 milliards d'euros des fonds structurels seraient attribués selon les critères de la "stratégie de spécialisation intelligente" (voir notre article du 17 janvier 2014).
"Laisser respirer les collectivités locales"
Pour aborder l'"innovation territoriale" de l'intérieur, c'est l'animateur de l'échange, Jean-Luc Delpeuch, président de la communauté de communes du Clunisois, qui représentait en quelque sorte les territoires sur la tribune. L'élu a évoqué un projet de création, à Cluny et à Prague, d'un "collège européen des démocraties locales et de l'innovation territoriale" pour former "les futurs décideurs travaillant pour ou avec les collectivités territoriales à travers l'Europe".
En attendant, les territoires entendent innover si leurs innovations sont ensuite confortées, à l'instar de la journée d'accueil et d'orientation permettant aux bénéficiaires du RSA, en Meurthe-et-Moselle, de réaliser au même endroit, en une demi-journée, l'ensemble des démarches nécessaires pour l'ouverture de leurs droits. Le conseil général, à l'origine de cette plateforme partenariale, a récemment dû se battre pour la préserver, témoigne son directeur général des services, Denis Vallance, interrogé par Localtis à l'issue de la conférence. Selon lui, "il faut laisser respirer les collectivités locales", mais aussi "accompagner les citoyens dans leurs projets" pour permettre à ces derniers de "faire eux-mêmes action publique".