Développement des territoires - Conseils généraux : l'innovation s'invite dans les débats
En plein débat sur la recomposition territoriale, le Prix de l'innovation des départements de France prend une dimension plus symbolique en illustrant le "dynamisme" et la "créativité" des conseils généraux. Le président de l'ADF, Claudy Lebreton, l'avait d'ailleurs évoqué, dans un courrier annonçant le lancement du prix, adressé aux présidents de conseils généraux. Ces derniers ont relevé le défi en proposant des projets, des solutions et des politiques plutôt convaincants. Un bon tiers des dossiers présentent en effet des dispositifs souvent inédits par leur objet ou par les méthodes de déploiement. Ce qui laisse supposer que les conseils généraux commencent à intégrer des formes d'organisation interne sur l'innovation – cellule, mission – et que celle-ci devient progressivement une composante explicite de l'action publique. Le prix récompense cette année les "projets" (déjà engagés mais non achevés) et les "réussites" (projets accomplis) dans trois catégories "Innovation et information", "Intelligence territoriale et co-construction" et "Nouveaux services publics" qui reflètent assez bien cette tendance. Elles résultent notamment d'un premier panorama donné par le rapport sur "l'innovation dans les politiques départementales", remis au bureau de l'Assemblée des départements de France, cet été, par Rémi Chaintron, président du conseil général de Saône-et-Loire.
Intelligence territoriale et co-construction
La catégorie "Intelligence territoriale et co-construction" est la plus fournie avec 55 dossiers déposés. En effet, elle rend compte des transformations en cours dans les méthodes projets et dans les modes de gouvernance des politiques publiques, à l'image des deux conseils généraux primés dans cette catégorie qui misent sur le travail collaboratif à l'échelle du territoire et sur des démarches centrées sur l'usager.
Le "Labo'M21" de la Gironde, primé dans la catégorie "réussite", est un laboratoire d'innovations collectives réunissant les 63 collectivités du conseil départemental des agendas 21 locaux. Ouvert depuis février 2014 dans le bâtiment du conseil général, ce "tiers-lieu" accueille des chantiers collectifs et participatifs. Il offre une panoplie de ressources pour travailler : matériels collaboratifs (tableau numérique interactif, matériel vidéo et autres post it et gommettes…), outils méthodologiques, ressources documentaires et un réseau d'échanges qui accueille entre autres "la bourse des ingéniosités girondines", espace sur lequel on présente "ce que l'on sait faire et ce que l'on a envie de partager".
De son côté, le conseil général du Val-d'Oise s'est vu attribuer le prix dans la catégorie "projet" pour son action de "reconfiguration de la politique de promotion de la santé à destination des jeunes". Un travail réalisé en étroite relation avec les professionnels du secteur et mis en œuvre techniquement par la mission Innovation, la direction de la prévention et de la santé du conseil général, avec l'apport extérieur d'une petite équipe composée de deux designers de projets et d'un sociologue spécialisé dans les démarches participatives. Amorcé en 2012 avec une "immersion" de plusieurs mois dans le milieu professionnel et celui des jeunes, le chantier s'est poursuivi à travers l'organisation d'ateliers co-créatifs pour faire émerger des solutions, des idées nouvelles. Plus récemment des expérimentations ont été montées afin de tester les idées retenues en conditions réelles. Aujourd'hui le projet entre dans une phase plus opérationnelle de pérennisation des expérimentations abouties et commence à engranger des résultats.
Innovation ouverte, méthodes participatives et contributives
Les méthodes participatives et contributives d'innovation ouverte semblent en voie de diffusion plus rapide. L'analyse des dossiers déposés dans cette catégorie semble en tout cas le confirmer. On y trouve, pêle-mêle : le montage d'observatoires de données statistiques partagées (Ain), des schémas de solidarité (Eure, Lozère…), des schémas d'accessibilité aux services publics (Allier, Eure) et des programmes de territorialisation (Finistère, Ille-et-Vilaine, Indre et Loire, Isère, Nouveau Rhône), de nombreux groupes de discussions, ateliers citoyens (Nord), laboratoires d'idées (Seine-Saint-Denis) ; la présentation d'opérations plus spécifiques ou inédites comme : les actions coordonnées "conservateur/gendarme" pour la protection des églises dans la Creuse, une campagne de préservation des fleurs des champs dans le cadre d'un programme de recherche mené dans l'Eure, un village estival itinérant dans l'Oise ou encore une plateforme de débat pour personnes handicapées mentales dans le Val-de-Marne. Les méthodes et techniques de design de service (1) prennent aussi leur envol, une dizaine de projets utilisent ces méthodes avec l'appui de professionnels.
Nouveaux services publics
Dans la catégorie des services publics, les services numériques cèdent le pas aux services "physiques" d'ailleurs nettement plus nombreux. En effet c'est pour la création du "service public du grand âge", un établissement public de gestion de maisons de retraites publiques, que le département de l'Essonne est récompensé (volet "réussite"). Créé, en 2012, cet opérateur a pour mission de rééquilibrer l'offre publique en Ehpad, qui ne représente plus que 24,5% du total sur le département, en réalisant un programme de 600 places nouvelles "modernes, confortables, bien équipées et à des tarifs accessibles au plus grand nombre". Cette initiative donne lieu parallèlement au regroupement de la totalité de l'offre sociale de l'Essonne, au sein d'un "groupement de coopération sociale et médico-sociale public" inédit en France. Il permet de mener des actions communes comme, par exemple, tester des prototypes d'applications en grandeur réelle avant leur commercialisation sur le réseau. C'est une expérimentation culturelle qui obtient la meilleure note dans la catégorie "projet". La "tournée d'alimentation générale culturelle", organisée par le conseil général de la Nièvre, est un service itinérant de productions artistiques et intellectuelles. Il produit un spectacle d'une vingtaine de minutes, 6 fois par jour à raison de deux jours par semaine, durant les mois de juillet et août. Cette expérimentation favorise la recherche de formes nouvelles d'action culturelle basées sur la proximité, l'échange, la démystification de l'acteur culturel et la valorisation du spectateur. Par extension, elle interroge aussi les autres formes d'actions itinérantes comme les bibliobus et le muséobus ce qui a conduit le conseil général à poursuivre sa réflexion sur le sujet.
Sur le volet numérique de cette catégorie, on signalera quelques initiatives innovantes comme la Lysbox déployée par le Loiret, au domicile des personnes âgées, qui communique en très bas débit et permet aux intervenants à domicile de se badger (sans contact) ; le projet de plateforme Autonom@dom porté par le conseil général de l'Isère qui va coordonner l'ensemble de la chaîne du maintien à domicile ou encore la virtualisation de 6.000 postes de travail dans douze collèges de la Seine-Saint-Denis à partir d'une solution centralisée.
Innovation et information
Le Net l'emporte assez largement dans la catégorie consacrée à l'innovation et l'information. Les trois prix décernés reflètent la diversité des offres : de la valorisation d'une activité économique locale (Agrilocal) au déploiement de services d'aide au déplacement (Intinisère) en passant par la sensibilisation à des faits de société (E-réputation).
La plateforme Agrilocal primée dans la catégorie "réussite" est une "halle de marché" virtuelle, développée par le conseil général de la Drôme. Sa fonction : mettre en relation les acheteurs des structures de restauration publique du département (collèges, hôpitaux et bientôt lycées) et les producteurs locaux de produits frais afin que les premiers puissent lancer des consultations sur la plateforme auxquelles les producteurs pourront répondre en toute conformité avec les règles en vigueur des marchés publics. L'ensemble crée un écosystème plutôt abouti qui accroît régulièrement ses volumes de transaction. Ce dispositif pionnier de valorisation des circuits courts rencontre un certain succès puisqu'il a déjà été retenu par 21 départements en France.
Le concept d'Itinisère+ porté par le conseil général de l'Isère et primé dans la catégorie "projets" est celui d'une centrale de mobilité améliorée qui prépare son passage à une nouvelle version qui intègre les dernières avancées de l'information multimodale "temps réel" et "accessible partout". Le service sera portable sur smartphone, fera de l'usager un acteur de la mobilité en produisant de la donnée (déplacements GPS), voire du service (reporting d'incidents) et assurera également la complémentarité entre l'action publique et les initiatives privées avec le rapprochement de toutes les offres publiques et privées de covoiturage.
Le conseil général de Paris obtient le prix ex æquo pour son site internet de sensibilisation des jeunes à la "e-réputation". Le site propose une évaluation de la réputation sur Facebook et Twitter. Le test effectué à partir des vraies données de l'usager permet ensuite de connaître les points forts et les points faibles de sa présence sur les réseaux sociaux et de proposer des tutoriels appropriés aux résultats obtenus pour apprendre à gérer son image et mieux exploiter les paramètres de confidentialité. Le site s'adresse également aux parents et aux enseignants en leur apportant quelques clefs et outils pour sensibiliser les jeunes. Le succès semble acquis, puisque 113.000 tests ont été réalisés dès le premier mois de fonctionnement.
Projets numériques, projets physiques… la production de l'innovation assez fortement associée au numérique semble se diffuser désormais sur l'ensemble de la sphère publique. Les conseils généraux semblent amorcer ce virage, comme en témoignent beaucoup de dossiers transmis à l'occasion de ce Prix de l'innovation. Il sera possible de prendre la mesure de ces changements puisque, en principe, la totalité des projets déposés cette année seront prochainement mis en ligne afin de faciliter les échanges de bonnes pratiques. Innovation ouverte oblige.
Philippe Parmantier / EVS
(1) Le design de service est une méthode de travail sur la conception d'un service ou son évolution pensée à travers le parcours des usagers, autrement dit dans une approche centrée sur l'utilisateur. Dans ce cas, le travail "ergonomique" s'envisage notamment à partir des relations humaines, des interactions et des besoins des utilisateurs.