Fonds européens - L'irrésistible ascension de l'innovation dans les régions européennes
Urbaines ou rurales, riches ou pauvres, les régions sont toutes invitées à partir en quête du Graal de l'innovation. Entre 2014 et 2020, les nouvelles orientations de la politique régionale européenne les y incitent très fortement, voire, les y obligent.
Depuis un peu plus d'un an, elles ont eu le temps de mûrir ce que la Commission européenne exigeait d'elles : une "spécialisation intelligente". Chaque région doit s'appuyer sur quelques domaines d'excellence dans lesquels elle mettra une bonne part de ses dépenses de fonds européens. Auteur d'un rapport sur ce thème, adopté le 14 janvier à la session plénière de Strasbourg, l'eurodéputé allemand Hermann Winkler (PPE) justifie ce choix : "Il faut partir de ces forces pour se spécialiser, et pas seulement faire du saupoudrage." Cette stratégie n'est pas sans risques. Un territoire peut "miser sur le mauvais cheval" et "le marché pourrait ne pas se développer comme prévu", concède-t-il. Mais les paris sont lancés.
Composer avec la réalité locale
Les régions qui disposent déjà sur place d'un potentiel élevé n'ont aucun mal à identifier leurs priorités. Attractive dans les domaines de la chimie pharmaceutique, Rhône-Alpes a par exemple placé les innovations liées à la santé et aux maladies infectieuses en haut de l'agenda. De son côté, l'Ile-de-France met plutôt l'accent sur les technologies et créations numériques.
A priori moins portés sur l'innovation, les territoires ruraux s'attachent aussi à tracer leur propre chemin, en composant avec leurs réalités locales. Le Limousin mise ainsi sur la "génétique animale" et les "technologies céramiques", tout en faisant cas de la sociologie de sa population. Les inventions originales visant à accompagner les personnes âgées font aussi partie des domaines d'investissement retenus par la région, qui souhaite développer "l'innovation sous toutes ses formes". En clair, les solutions non technologiques, à vocation plus sociale ou écologique, ont toute leur place.
Contrainte prise au sérieux
Cet esprit d'ouverture n'était pas évident au début des négociations. La Commission "nous a fait un peu peur en nous demandant de nous concentrer sur deux ou trois filières", rapporte une source régionale. Depuis, les angles ont été arrondis. Mais les régions sont tenues de rendre une copie en bonne et due forme. Si leur stratégie de spécialisation est retoquée par Bruxelles, elles ne pourront pas percevoir de fonds européens de développement régional (Feder) pour financer des projets relevant de la R&D. Issue la réforme de la politique de cohésion pour 2014-2020, cette contrainte nouvelle est prise au sérieux. La Roumanie s'est ainsi fait sermonner par la Commission européenne, qui n'est pas prête à accepter son document national (accord de partenariat), tant que le chapitre sur la spécialisation intelligente n'a pas été correctement couché sur le papier.
Il faut dire que la logique d'innovation répond plus ou moins aux besoins premiers des territoires. A Mayotte, les élus et l'administration sont tenus de plancher sur le développement de l'innovation, quand le réseau routier de l'île n'est même pas en état. C'est pourquoi les parades se multiplient : pour satisfaire la Commission, les documents officiels sont émaillés du champ lexical de l'innovation, mais les priorités politiques sont ailleurs. "C'est du maquillage", sourit un bon connaisseur du dossier.
Rapprochement franco-néerlandais sur la bioéconomie
Dans d'autres territoires, la spécialisation peut être avantageuse, surtout lorsqu'elle débouche sur des mises en commun de compétences. "La stratégie suppose également que les régions se tournent vers l'extérieur, indique Hermann Winkler. Elles pourront ainsi profiter des connaissances d'autres régions tout en renforçant la compétitivité mondiale de l'Union européenne." C'est ce qui se passe par exemple entre le pôle de compétitivité "picardo-champenois" Industries et Agro-Ressources, et Biobased Delta, aux Pays-Bas. Le 20 janvier, à l'occasion du déplacement de François Hollande à La Haye et à Amsterdam, plusieurs accords économiques seront scellés, dont un rapprochement entre ces deux pôles, rattachés à des territoires plutôt ruraux qui misent sur une spécialisation dans la bioéconomie. L'ambition est de lancer, cette année, un partenariat public-privé doté de 3,8 milliards d'euros, cofinancé par le programme de recherche européen Horizon 2020 et impliquant une soixantaine d'industriels.