Innovation - "Re/acteur public" un projet pour "booster" l'innovation territoriale
Méthodes ethnographiques, prototypage rapide, co-production avec les usagers… La culture de gestion des administrations amorce une mutation. Les nouveaux mots clé sont "innovation", "développement frugal" – dépenser moins pour plus de résultats – et "approche horizontale" ou "transversale" afin de sortir des traditionnelles organisations en silos. Dans cette tonalité assez "avant-gardiste", la 27e région, laboratoire de transformation publique initié par l'Association des régions de France (ARF), forte de son expérience de cinq années de terrain, prépare avec l'Etat un projet collectif pour accélérer l'innovation à l'échelle du territoire national : le "Re/acteur public". Un nouvel outil conçu pour améliorer le contenu et la qualité des politiques locales. Porté par un consortium d'acteurs territoriaux et nationaux comprenant, outre les services de l'Etat, des associations d'élus et quelques collectivités territoriales (1), il se concentre sur la mise au point d'un programme pluriannuel de transformation de la gestion publique comprenant des formations à l'innovation, des méthodologies basées sur le design de services (2) et la sociologie, la capitalisation des expériences de prototypage, leur restitution sous des formes éditoriales adaptées et sur la mise en réseau des acteurs locaux au sein de communautés de pratiques professionnelles.
Le management public, en fin de cycle ?
L'idée de base repose sur un programme de "recherche-action" pour élaborer une méthode de travail et différents modèles d'intervention. Elle puise largement dans l'expérience de la 27e région créée en 2009, elle-même fondée sur deux idées principales, que son directeur, Stéphane Vincent, résume en ces termes : "La première résulte d'un constat d'essoufflement du management public traditionnel, qui arrive en fin de cycle et ne produit plus les résultats attendus - il faut donc inventer autre chose. La seconde cible les conditions de la transformation et donne plus de place à l'expertise des utilisateurs, à la co-participation des habitants ainsi qu'aux cultures ouvertes et latérales propulsées par le numérique, qui deviennent des leviers de progrès, de qualité et de performance".
Des "territoires en résidence" à la "Transfo"
La volonté d'accélérer l'usage de méthodologies centrées sur la conception créative constitue le principal moteur. L'actif de la 27e région qui, depuis sa création, a réalisé une quinzaine de prototypes dans le cadre du programme "territoires en résidence", confirme l'intérêt de la démarche et la valeur ajoutée apportée. Chaque intervention a permis d'accueillir pendant quelques semaines, au sein d'un équipement ou d'une structure, une force d'intervention légère et pluridisciplinaire constituée de designers, d'innovateurs numériques, d'architectes, de sociologues et de chercheurs.
Ces intervenants vont traiter durant quatre années de sujets diversifiés relatifs à l'organisation et au fonctionnement des maisons de santé, des lycées, des espaces numériques, des gares rurales, des circuits-courts alimentaires, des médiathèques, des achats durables… Dans des cycles de temps relativement courts, ils vont permettre de concevoir ou de repenser des espaces de services en y associant les usagers avec leurs besoins et leurs connaissances, en intégrant des technologies susceptibles d'augmenter et d'enrichir les fonctionnalités tout en formant les acteurs chargés d'animer l'ensemble en vitesse de croisière.
La réussite aidant, l'équipe à recherché les moyens d'étendre le transfert de son savoir-faire. Avec le concours de quatre régions volontaires, elle a ainsi prototypé le déploiement en leur sein de micro-structures de "design et innovation" (3). Ce programme interrégional appelé "la Transfo", en voie d'achèvement, a ouvert à son tour la porte à des démarches à plus grande échelle.
"Re/acteur public" et "Futur publics" en rapprochement...
Cette fois, le "re/acteur public" associera de nouvelles institution publiques locales et nationales. Son lancement officiel n'est pas encore programmé, mais devrait intervenir dans les deux ou trois prochains mois. La ministre de la Réforme de l'Etat, de la Décentralisation et de la Fonction publique, Marylise Lebranchu, qui suit attentivement le montage du projet, a déjà publiquement proposé un rapprochement avec le laboratoire d'innovation "Futur publics" porté par le SGMAP.
"En attendant, nous préparons pour avril ou mai 2014 une première formation à la conception innovante des politiques publiques à destination des nouvelles générations de fonctionnaires, en testant avec un groupe de plusieurs collectivités et des écoles - Ecole nationale d'administration, Institut national des études territoriales et Sciences Po - un premier support qui servira en quelque sorte de maquette et de boussole", indique Stéphane Vincent.
La démarche multi-partenariale enclenchée est primordiale car cette forme de R&D repose pour l'essentiel sur les hommes qui vont animer, sur la mobilisation des directions et sur l'engagement des élus. Elle reste sujette aux risques d'échec. Afin de réduire ces risques, d'autres tests seront réalisés dans la foulée, notamment sur la mise en perspective et la restitution documentaire des projets ainsi que sur la mise en réseau des acteurs. La démarche restera ouverte et devrait donc profiter à tous les acteurs publics locaux intéressés. L'objectif reste bien le passage à une large échelle et la diffusion d'une culture de l'innovation publique qui ne serait pas l'apanage de quelques spécialistes branchés mais un bien commun à l'usage de tous.
(1) Pour l'instant il s'agit du Secrétariat général à la modernisation de l'action publique (SGMAP), de l'Association des régions de France (ARF), de plusieurs régions et collectivités-pilotes. Mais d'autres probables futurs partenaires sont évoqués, tels que le Centre national de la fonction publique territoriale (CNFPT), l'Assemblée des départements de France (ADF) et d’autres associations d'élus. La Caisse des Dépôts et la Commission européenne (Europ’Act) sont déjà des partenaires de longue date de la 27e région.
(2) Le design de services est une méthode transdisciplinaire qui part de l'expérience des utilisateurs pour mieux comprendre leurs besoins et ainsi améliorer, concevoir et surtout inventer de nouveaux services dans des problématiques d'innovation et de standardisation.
(3) Les quatre régions impliquées sont Provence-Alpes-Côte d'Azur, Champagne-Ardennes, Pays de la Loire et Bourgogne. Le principe du "défi" consistait, à partir d'un programme de dix semaines sur le terrain, à acculturer un groupe d'agents aux techniques et méthodes de design de services, de co-création, etc. Chaque opération devant se conclure par la constitution d'une micro-structure autonome et durable dans chaque région expérimentatrice. Au final, trois expérimentations sur quatre devraient se conclure par la création d'une structure durable.