Aménagement urbain - Gares et villes : un dialogue en construction
Comment faire entrer la ville dans les gares et les gares dans la ville : c'est le défi que s'est lancé la SNCF en créant en avril 2009 Gares et Connexions, une nouvelle branche dédiée à la gestion et au développement des 3.000 gares françaises. Pour créer les conditions du dialogue villes et gares et réfléchir à la gouvernance des projets d'aménagement des gares et de leurs quartiers, Gares et Connexions collabore à un groupe de travail constitué par l'Association des maires des grandes villes de France (AMGVF) et la Fédération nationale des agences d'urbanisme dans le prolongement du rapport de la sénatrice Fabienne Keller sur la gare contemporaine. Une journée d'échanges était organisée le 30 juin à Paris pour faire un premier bilan des travaux de ce groupe et avancer des pistes de gouvernance pour associer tous les acteurs concernés par l'aménagement ou le réaménagement d'une gare.
"Comme les hôtels de ville hier, les gares doivent être des pôles d'attractivité du territoire", a souligné Michel Destot, président de l'AMGVF et député-maire de Grenoble. Elles ont toujours été d'importantes portes d'entrées dans la ville. Mais elles deviennent de plus en plus de véritables carrefours, intégrant tous les modes de transport, du tram au vélo, et peuvent constituer des cœurs de ville à part entière dotés d'un ensemble de fonctionnalités et de programmes (bureaux, logements, équipements publics, espaces publics…) qui s'articulent avec les autres quartiers alentour. Au-delà des questions purement ferroviaires, la "grande gare" est donc un lieu de convergence entre logiques de mobilité et projets urbains et le quartier de la gare. Ce dernier doit non seulement organiser la mixité des modes de transport en correspondance mais aussi "la mixité des usages et la mixité sociale", a martelé Michel Destot. Pour Sophie Boissard, directrice générale de Gares et Connexions, "les gares et les réseaux de gares ont un rôle structurant et leur insertion dans la ville pose souvent les même enjeux dont, notamment, l'effacement d'une cicatrice urbaine et la densification". "Pour y répondre et réussir l'aménagement autour des gares, il faut adopter une démarche partenariale et se donner le temps de l'étude car ce type de projets s'engage sur plusieurs décennies", a-t-elle prévenu.
Valorisation foncière : une question toujours épineuse
L'une des grandes difficultés pour les collectivités est de négocier avec Réseau ferré de France (RFF) ou la SNCF le prix du foncier et du déménagement de leurs infrastructures. "Au-delà des intentions et des grands principes, à un moment donné il faut arrêter un projet précis qui soit utile à l'usager, a noté Jean-François Retière, vice-président de Nantes Métropole en charge des déplacements. Se pose alors la question de savoir comment dégager du foncier constructible et à quel prix."
Didier Bahin, directeur général des services du Mans Métropole, a évoqué une véritable "triple peine pour les collectivités". "On se rend compte que l'on doit payer une première fois pour la requalification des friches ferroviaires, une seconde fois pour le déménagement des infrastructures de RFF ou de la SNCF, et une troisième fois pour acheter le terrain au prix fort", a-t-il pointé. Jean-Claude Boulard, maire du Mans et président du Mans Métropole, s'est voulu plus nuancé : "C'est une démarche difficile à comprendre au départ, mais on ne peut pas prétendre que ces terrains ne valent rien alors que l'on sait que ce type de foncier est très rare et très précieux."
"Il faut prendre en compte les deux dimensions d'une gare, a défendu Sophie Boissard. Il est normal que la collectivité cherche à maximiser les ressources qu'elle peut tirer de la gare en temps que "site" mais il est aussi légitime que la SNCF fasse de même mais en replaçant la gare dans sa dimension "réseau" et dans le maillage ferroviaire national, a-t-elle expliqué. En clair, les ressources tirées des gares les plus attractives permettent de financer des opérations dans les gares périurbaines ou secondaires." Elle a convenu également qu'il n'y avait pas encore de modèle économique efficace, "en particulier dans un contexte de grande rareté de l'argent public", et qu'il existait de "réels problèmes de bouclage des financements" pour l'aménagement urbain autour des gares. "Les collectivités et la SNCF se renvoient la balle en demandant à l'autre de payer, poursuit Sophie Boissard. Mais cette logique a atteint ses limites, il faut désormais travailler ensemble." La question financière sera "le chantier majeur de 2011", a estimé la directrice générale de Gares et Connexions.
Débat sur la gouvernance des projets
En conclusion de la journée, André Rossinot, maire de Nancy et président du groupe de travail "Villes & Gares", a présenté un schéma de gouvernance original "qui n'a pas vocation à être un modèle mais plutôt un noyau de base opérationnel, une proposition qui doit être adaptée en fonction de chaque projet et de chaque région". Le "Conseil de gouvernance" proposé par le président du Grand Nancy n'est "pas une structure juridique mais une structure informelle de vivre ensemble" qui sera installée en septembre prochain par Guillaume Pépy, le président de la SNCF, à titre d'expérimentation.
Le schéma d'André Rossinot se structure autour de deux cercles de travail réunissant différents acteurs. D'un côté, le "projet opérationnel transport" composé des AOT (autorités organisatrices de transport) - dont le conseil régional -, de Gares & Connexions, de RFF, des transporteurs, des prestataires et des usagers. De l'autre, le "projet opérationnel aménagement" composé des collectivités locales, de Gares & Connexions, de RFF, des autres maîtres d'ouvrages et des opérateurs tels que les établissements publics fonciers et les sociétés d'économie mixte (Sem). Le premier cercle sera présidé par Gares & Connexions et le second par la commune ou l'intercommunalité. "Ces deux cercles, qui se réuniront et échangeront régulièrement pour affiner chaque projet en fonction de l'autre, devront également discuter avec les habitants, les chambres consulaires et les commerçants, a précisé André Rossinot. L'association des habitants et des usagers est l'un des aspects clefs."
Ce schéma n'a pas forcément fait l'unanimité parmi les participants, certains s'inquiétant du peu de place réservé à la région qui joue pourtant "un rôle essentiel dans le transport et dans sa dimension de réseau de gares régional". D'autres se sont interrogés sur la nécessité d'avoir deux cercles de travail distincts et ont plaidé pour "des cercles de travail concentriques sur l'aménagement et le transport". De son côté, Jean-Luc Rigaut, maire d'Annecy et ingénieur SNCF de formation, a jugé qu'il n'y avait pas de modèle unique en la matière. "La gouvernance partagée peut également prendre la forme d'un système de type syndic ou d'un GIP (groupement d'intérêt public) avec conseil de surveillance et directoire. Le plus important est de partager un diagnostic et un projet urbain."
Anne Lenormand avec AULH