La Vitardière : une restauration de rivière exemplaire (76)
Un an après les travaux engagés par le syndicat mixte d'aménagement de la Bresle (SMAB), la truite est revenue pondre dans le lit de la vitardière, les plantes aquatiques ont spontanément colonisé les berges et les saules têtards transplantés ont repris. Le projet, mené sur terrains privés, met en œuvre des solutions fondées sur la nature. Il a été distingué par un prix national du génie écologique pour l'amélioration des continuités écologiques.

© Net Sarl
« Avant le réaménagement de la Vitardière, on n'avait repéré que six truites sur trois cents mètres d'un bief qui alimente un moulin. Aujourd'hui, c'est deux cents fois plus ! » se réjouit Pierre-Marie Michel, directeur du syndicat mixte d'aménagement de la Bresle (SMAB), en charge du reméandrage, cette opération qui redonne à un cours d’eau un dessin naturel, en courbes et détours*. « Après une dizaine d'opérations réalisées, c'est le projet de la maturité : il coche beaucoup de cases pour la restauration des continuités écologiques », rajoute-t-il.
Convaincre les propriétaires
Le point de départ date de l'été 2020, avec la rupture d'une digue de moulin : une prairie est inondée, un bâtiment d'élevage rendu inaccessible et une couche de terre arable est emportée par les eaux. Une propriétaire sollicite alors le SMAB pour lancer une étude de restauration de la rivière, après des années à lutter contre les problèmes d'envasement. Un autre propriétaire de moulin exprime lui aussi son intérêt : les truites ne se reproduisent pas, malgré ses alevinages. « Nous n'avons aucun moyen coercitif : nous travaillons donc à l'opportunité, indique le directeur. Quand les propriétaires sont volontaires, le projet a plus de chances d'aboutir. » Avec comme proposition la suppression de deux biefs et le reméandrage du cours d'eau, les équipes du syndicat rencontrent chaque propriétaire installé sur cette portion d’un kilomètre et demi. « Nous avons recensé leurs contraintes et leurs souhaits, tout en expliquant l'intérêt d'une solution de restauration fondée sur la nature. »
Un projet 100 % financé sur fonds publics
Il aura suffi de deux ans d'échanges dans un comité de pilotage pour définir des objectifs communs. Ensuite, une convention est signée avec les propriétaires. « Ces projets de restauration écologique des cours d'eau sur secteurs privés pour l'intérêt général ont l’avantage d’être pris en charge à 100 % par les financeurs publics », précise Pierre-Marie Michel. Les particuliers ont mis à disposition leur terrain et l’un d’entre-deux a participé financièrement pour garder un peu d’eau pour faire fonctionner une roue de moulin. Le SMAB a confié dans le même temps la conception détaillée du projet à un bureau d'études spécialisé car il a fallu créer les bons méandres selon les longueurs d'onde, déterminer des espaces d'expansion de crues au bon endroit pour les inondations hivernales, éviter les débordements estivaux… Une fois le projet acté et financé, les travaux ont pu démarrer, à l'automne 2022.
Quinze mois de travaux
Les travaux ont duré quinze mois, avec quelques correctifs en 2024. « Nous avons comblé les biefs, dérivé la rivière vers son ancien cours, et supprimé les chutes qui empêchaient les poissons de remonter. Seul un filet d'eau a été conservé pour une roue d’apparat, souhaitée par un propriétaire. » Trois types d'opérations ont été réalisés, en se basant sur des solutions proches du fonctionnement naturel d'une rivière : soit le lit a été totalement redessiné et creusé avec des pelleteuses, soit le lit ancien rétréci a été naturellement recreusé par l'eau, soit le lit trop large a été reméandré en installant du bois où s’accrochent petit à petit les sédiments pour recréer un lit plus adapté. Les arbres qui ont dû être coupés sur les biefs ont été réemployés dans le cadre du chantier. « Nous avons aussi transplanté une quarantaine de saules têtards sur les bords du nouveau lit recréé : nous sommes en Normandie, ils ont souvent les pieds dans l'eau, c'est relativement simple à réaliser ! »
Rendre le chantier acceptable et accepté de tous
Un tel chantier fut contraignant pour les riverains, car l’entreprise est intervenue parfois à quelques mètres des habitations. « Nous avons eu la chance d'avoir un prestataire très à l'écoute, malgré un chantier plus long que prévu. » L'acceptabilité du projet par les habitants de la commune a aussi été un point d'attention. « Il n'est pas toujours simple de comprendre que pour un chantier de restauration écologique, on travaille avec des pelleteuses et que l'on abat des arbres », reconnaît le directeur. Le SMAB a proposé à l'école communale d'Haudricourt de participer au projet : inventaire de la faune et de la flore avant et après, création d'une frayère à saumons et truites, transplantation de végétaux… Les enfants ont été conviés à la mise en eau finale. « Ce travail a bouleversé la perception locale et convaincu les parents. C'est une première que nous aimerions reproduire sur d'autres projets », confie le directeur du Syndicat mixte d'aménagement de la Bresle.
Un projet abouti, concluant du point de vue biodiversité
Moins de deux ans après le chantier, la Vitardière a retrouvé sa biodiversité : les truites sont revenues, la mosaïque d'habitats créés a permis à une quinzaine de plantes d'eau de coloniser les berges, les nouvelles zones humides attirent les insectes et les hirondelles. « Nous n'avons pas encore noté de crue hivernale : il faut attendre que la végétation se développe et que le milieu s'équilibre, ça peut prendre du temps », note le directeur. Le SMAB a compensé l’abattage des peupliers en plantant l'équivalent en haies sur des parcelles agricoles voisines. Cette compensation sera désormais systématique. L'exemplarité du projet de la Vitardière a retenu l'attention de l'Association fédérative des acteurs de l’Ingénierie et du Génie Écologiques. Elle lui a décerné fin 2024 le prix du génie écologique pour l'amélioration des continuités écologiques. « Nous allons le partager en décernant un diplôme aux propriétaires et aux écoliers d'Haudricourt. »
*En France, un grand nombre de cours d’eau a été « rectifié » : le lit a été réaménagé pour épouser une trajectoire rectiligne, afin de faciliter certains travaux agricoles
Zoom sur les chiffres
- 812 000 euros TTC : le coût global du réaménagement
- Pris en charge à 100 % par l'Agence de l'eau Seine-Normandie (90 %) et le département de la Seine-Maritime (10 %). Seul le propriétaire du moulin ayant souhaité maintenir une roue d'apparat a participé à hauteur de 20 % du coût de cet aménagement spécifique d'intérêt privatif, pour un montant de 3 000 euros.
Syndicat Mixte d'Aménagement de la Bresle (SMAB)
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Jean-Claude Quenot
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