Aménagement numérique - Etats généraux des RIP : optimiste ? Oui, mais...
Intitulé "Peur sur les RIP", les cinquièmes Etats généraux des RIP (réseaux d'initiative publique) qui se sont tenus le 15 mars dernier à Deauville ont été l'occasion d'un nouveau bilan intermédiaire (1). Hôte de l'événement, le maire de Deauville, Philippe Augier, a introduit ce "point d'étape" par un trait d'humour : "On s'était dit l'année dernière que l'on ferait le point cette année. Pour l'instant ce n'est pas le point final, mais j'ai l'impression que ce sont des points de suspension." Derrière la formule, on retrouve l'idée partagée par de nombreux acteurs que, malgré les progrès, les mêmes problèmes persistent. A l'image du sénateur de l'Ain et président de l'Avicca (Association des villes et collectivités pour les communications électroniques et l'audiovisuel), Patrick Chaize, pour qui "globalement, on a le sentiment que tout va bien, que tout est positif, mais…". C'est sur ce "mais" qu'a également insisté le président de la Firip (Fédération des industriels des réseaux d'initiative publique,) Etienne Dugas, en clôture de l'événement, reprenant la liste des points cités par le sénateur plus tôt dans la journée. Tout en insistant sur la nécessité "d'être vigilant", les différents participants présents ont répondu positivement à l'appel d'Antoine Darodes à "se préserver du sentiment de peur". Pour lui, "il y a une prise de risque technique, financier, commercial qu'il faut prendre avec une certaine forme d'audace, d'envie […] et avoir une réaction constructive face à des défis qui sont lourds".
Tout va bien mais... l'Europe, les zones Amii, les financements, etc.
Initialement attendue pour février, l'avis de la Commission européenne sur le plan France Très Haut Débit (FTHD) n'a toujours pas été publié. Une situation qui "crée toujours des perturbations dans les esprits, des blocages avec les partenaires et les investisseurs", estime Patrick Chaize. Du côté de l'Etat, on se veut rassurant. Ainsi, Antoine Darodes "garde le même optimisme", précisant que s'il ne souhaite pas donner de date, ce n'est plus "qu'une question de semaines", et qu'il ne s'agit de toute façon "pas d'un obstacle à la mise en œuvre du plan ni aux décaissements". Interpellé sur la question des décaissements - 38 millions d'euros jusqu'ici -, le directeur de l'Agence du numérique s'est engagé sur un chiffre : 150 à 180 millions d'euros seront mobilisés d'ici la fin de l'année, sur les 3 milliards d'euros prévus au titre du plan. Un besoin d'autant plus urgent que d'après Jean-Luc Sallaberry (chef du département numérique de la FNCCR, Fédération nationale des collectivités concédantes et régies), "il y a clairement des problèmes de financement pour un certain de nombre de RIP, […] qui ne s'imaginent pas démarrer un projet même s'ils ont déposé un dossier FSN [fonds pour la société numérique]". Selon lui, il y a "20 ou 30 RIP pour lesquels ça va être très très dur".
Autre sujet de tension, les zones Amii. Face à l'attentisme des opérateurs nationaux, Antoine Darodes a réaffirmé l'importance des conventions pour "clarifier les engagements" et, en cas de défaillance constatée, faciliter la reprise en main des déploiements par l'Etat et les collectivités. Sur le sujet, Etienne Dugas s'est montré plus incisif. Notant les nombreux retards dans les conventionnements, il estime "qu'il serait peut-être temps de faire un exemple" et de redonner la main aux collectivités.
Enfin, si la fusion entre Orange et Bouygues n'est toujours pas actée, elle est source d'inquiétudes pour les collectivités et les opérateurs des RIP. Du côté de l'Avicca comme de la Firip, on demande à ce que l'Etat, principal actionnaire d'Orange, engage le futur ensemble sur les RIP. Du côté de la Caisse des Dépôts, partenaire officiel de ces Etats généraux des RIP, Christophe Genter (directeur adjoint du département Transition numérique) a précisé que la question des "compensations" vis-à-vis des autres acteurs présents sur les RIP sera posée en cas de fusion.
Vers une réponse publique aux problèmes de commercialisation ?
"Aujourd'hui, on n'a pas de problème de commercialisation", notamment dans les "RIP d'opérateurs verticalement intégré [Orange, SFR]". Tout en appelant les acteurs des RIP à "rester attentifs", Antoine Darodes a clairement affiché son optimisme en matière de commercialisation, assurant que cela n'était "pas un sujet d'inquiétude face aux chiffres que l'on constate". Egrainant des taux de pénétration proche de 25% dans l'Oise ou dans la Loire pour convaincre son auditoire et le maire de Deauville, qui s'est montré sceptique sur le sujet. Pour l'élu normand, pionner dans les projets de RIP, "il faut que l'on s'occupe des plus vieux RIP, […] on a besoin d'être aidé dans la commercialisation". Ajoutant que si la nouvelle tarification de l'Arcep et le statut de zone fibrée sont de bon augure et la preuve d'une volonté de "trouver les solutions tous ensemble", l'absence prolongée des opérateurs nationaux pourrait obliger les élus à "légiférer de manière contraignante".
Pour lutter contre l'idée que l'"éparpillement des collectivités" serait un frein à la commercialisation, Jean-Luc Sallaberry a rappelé que la FNCCR, associée à 24 RIP, étudiait actuellement la "préfiguration d'opérateur national agrégateur des RIP", visant l'agrégation de RIP à une échelle supra-départementale, voire supra-régionale. Publication cet été.
Absence des Ocen, privilégions les Ocel ?
Du côté d'Orange et de SFR – Free étant plus que jamais aux abonnés absents –, on se refuse à annoncer une venue prochaine sur des RIP gérés par d'autres opérateurs, le justifiant, comme le fait Lionel Recorbet (PDG de SFR-Collectivités), par une stratégie "patrimoniale". Autrement dit, les zones préemptées (Amii) et les RIP construits par l'opérateur seront prioritaires. Une stratégie dénoncée par le président le Firip, pour qui "la stratégie des Ocen [opérateur de communication d'envergure nationale] est claire : ils déploieront des services sur les territoires qui les choisiront". Quant aux opérateurs d'infrastructures ou de services alternatifs, rebaptisés Ocel (opérateur de communication d'envergure locale), ils revendiquent, comme l'a fait David El Fassy (président d'Altitude Infrastructure) leur statut de "poil à gratter" des RIP face à des opérateurs nationaux "qui jouent plus ou moins leur rôle".
Pour Thomas Gassilloud (PDG de Wibox), "piquer des abonnés" aux Ocen les fera mécaniquement venir, dès lors que des parts de marché suffisantes seront atteintes (25% à 30%). Cependant, pour le chef d'entreprise, il faut "arrêter de nous poser la question de leur venue qui est contreproductive […]. Elle décrédibilise les opérateurs présents, et met les usagers dans une posture d'attente". Au contraire, il faut selon lui assurer "la réussite commerciale des FAI [fournisseurs d'accès à internet] déjà présents". Si, comme le constate Philippe Augier, "les petits opérateurs n'ont pas les moyens de la commercialisation" (notoriété insuffisante, faible capacité à démarcher…) de leurs offres, de l'avis de plusieurs élus présents, rien ne semble empêcher la collectivité de promouvoir (à travers des réunions publiques par exemple) la fibre et ces petits opérateurs auprès de leurs administrés.
La Caisse des Dépôts renforce son action auprès des acteurs des RIP
Sur ce sujet de la commercialisation, Christophe Genter, intervenant pour la Caisse des Dépôts, s'est voulu optimiste, expliquant qu'"il y a beaucoup d'offres alternatives sur le secteur des entreprises, et il y en a a priori d'autres qui vont arriver pour le grand public", alors que l'"on voit arriver de nouveaux acteurs, qui vont entraîner une dynamique avec des offres enrichies en vidéo". Tel un catalyseur, la Caisse des Dépôts "ne s'interdira pas d'investir aux côtés des opérateurs de détail" afin d'améliorer l'"intensité concurrentielle" et "dynamiser commercialement" les RIP. Déjà engagée sur 36 RIP de première et seconde génération, comptabilisant un total d'un million d'abonnés, la Caisse des Dépôts a fait de la connectivité des territoires une de ses priorités. Pour Christophe Genter, "la situation s'est améliorée mais elle est encore insatisfaisante", constatant de grandes disparités entre les zones de RIP, avec "des territoires qui sont déjà partis, et d'autres qui ne le sont pas encore", mais également entre les "trois zones de déploiement [denses, Amii, peu denses]".
Toujours dans cette optique de "s'engager durablement dans le THD pour tous", "dans un contexte où l'Etat a tendance à réduire les dotations aux collectivités, la Caisse des Dépôts prend le relais", a annoncé Christophe Genter, et prévoit d'augmenter son volume de prêt aux collectivités délégantes, actuellement de 323 millions d'euros. Elle compte également investir davantage dans les sociétés de projets locales engagées auprès des délégataires, "renforcer les opérateurs de RIP à travers la constitution de holdings" et, enfin, créer un "fonds de dette mezzanine subordonné à la dette senior". Autrement dit, permettre aux projets les plus petits (de 5 à 25 millions d'euros) d'obtenir des financements auprès des banques, en sécurisant les remboursements. Afin d'aider les territoires les plus fragiles, la Caisse des Dépôts "innovera et accompagnera les territoires qui auront du mal à produire un projet structuré ou pourraient avoir des difficultés". Concernant les "zones de faible densité" situées dans les zones denses, l'établissement public pourrait intervenir, sous réserve de défaillance des Ocen. Enfin, Christophe Genter a annoncé que la Caisse des Dépôts se mobilisera sur la thématique du mobile "si cela s'avérait nécessaire".
Le statut "zone fibrée" : des modalités toujours attendues
Dans l'optique d'améliorer le potentiel commercial des RIP, le statut "zone fibrée" est, pour Patrick Chaize, "un outil qui marque un changement de technologie, une rupture technologique qui vise à passer d'un réseau cuivre à un réseau fibre". Le principe : augmenter la tarification du cuivre pour inciter les utilisateurs finaux à basculer sur la fibre. Aussi bien du côté des collectivités présentes que des opérateurs alternatifs, on s'accorde sur le fait qu'un tel statut permettrait de "rassurer les investisseurs privés", d'améliorer la "lisibilité" des projets de RIP, en limitant les risques liés aux recettes, comme l'ont expliqué David El Fassy et Dominique Leroy, DGS de Seine-et-Marne Numérique.
Si pour le sénateur de l'Ain, l'idée fait désormais consensus (cela "paraît presque une évidence qu'il soit mis en place"), en revanche "sur le comment, les choses restent entières". Mobilisée sur le sujet, la Firip travaille, en partenariat avec les territoires (1), à la publication d'un livre blanc sur les "conditions opérationnelles de la mise en œuvre de ce statut", comme l'a annoncé sa vice-présidente en charge du dossier, Agnès Huet. S'appuyant sur les conclusions du rapport Champsaur, elle a rappelé que "l'extinction du cuivre se fera en deux phases, la préparation de la procédure d'extinction et sa mise en œuvre", avant de préciser que la Firip ne cherchait aucunement à "dire aux autres quoi faire", mais simplement à "poser les bases de cette préparation". En ce sens, elle a lancé un appel aux opérateurs nationaux, qui, semble-t-il, se sont montrés ouverts à un dialogue "collectif".
Ivan Eve / EVS
(1) La communauté de communes de Coeur Côte Fleurie, le syndicat des communes du pays de Bitche (Moselle) et plusieurs communes de Seine-et-Marne fourniront les données terrain de l'étude. D'autres territoires peuvent s'associer à l'expérimentation s'ils le souhaitent.
Bientôt une plateforme pour commercialiser les RIP
Le directeur de l'Agence du numérique, Antoine Darodes, a annoncé "travailler à la demande du ministre [de l'Economie, Emmanuel Macron] à la mise en place […] d'une interface commune des systèmes d'information qui soit unifiée". Il s'agira de "rassembler les opérateurs qui exploitent les RIP et les clients potentiels […] pour faciliter la commercialisation". Elle devra permettre de vérifier "l'éligibilité des lignes des RIP du plan France Très Haut Débit" mais servira également "pour la commande et pour le premier niveau de service après-vente". Grâce à cette interface commune, il ne sera plus nécessaire "d'adapter son système d'information à chacun des réseaux". S'il est préférable, pour Antoine Darodes, qu'elle soit portée par des opérateurs privés afin d'éviter "un bousin public", l'Etat s'en chargera en cas de défaillance. Demandé essentiellement par l'opérateur Free, cette interface laisse Etienne Dugas, président de la Firip, "sceptique". Il estime que "la plateforme est le meilleur moyen de lui donner une raison de ne pas venir". Quant au vice-président de la Firip et président de Covage, Jean-Michel Soulier, il s'est voulu plus conciliant, préférant insister sur le fait que jusqu'ici, les procédures de normalisation dans le cadre du Plan France Très Haut Débit avaient eu des effets positifs.
I.E. / EVS