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Aménagement numérique - Extinction du cuivre : la mission Champsaur recommande un processus progressif

Chargée par le gouvernement d'étudier "la transition vers les réseaux à très haut débit et l'extinction du réseau de cuivre", la mission présidée par Paul Champsaur a rendu son rapport. Selon elle, la bascule complète vers la fibre optique doit se faire en douceur, en créant un statut de "zones fibrées" sur lesquelles des mesures incitatives à la migration des abonnés seraient lancées. La phase d'extinction du réseau de cuivre n'interviendrait qu'ensuite, plaque par plaque. A partir de 2020 ? Certains jugent le scénario trop timide.

A terme, la fibre optique devrait remplacer le cuivre dans les réseaux de télécommunications. Mais la transition représente une phase complexe, inédite. Et une inconnue sur le plan économique. La mission Champsaur, chargée par le gouvernement, en 2014, d'explorer les différentes voies possibles, a remis son rapport la semaine dernière à Emmanuel Macron et Axelle Lemaire. Les professionnels s'y attendaient : plutôt qu'une fermeture programmée et volontariste, la mission préconise un basculement progressif et incitatif du réseau téléphonique de cuivre vers les nouveaux réseaux. L'élément clé de cette "progressivité" est la création d'un statut de "zone fibrée" pour les territoires les plus avancés, déclencheur de mesures d'accompagnement et d'accélération de la migration.
Pas si simple à orchestrer. La bascule du réseau de cuivre vers la fibre met en effet en jeu des intérêts assez opposés selon les acteurs. Pour l'opérateur historique, propriétaire depuis 1991 du réseau de cuivre bâti par l'Etat dans les années 70, elle représente un risque potentiel de perte de revenus par rapport à une situation bien établie. Les opérateurs privés ne sont pas toujours pressés de changer de système et certains comme Numéricable-SFR disposent déjà d'un réseau à rentabiliser. Quant aux collectivités territoriales, elles voient généralement la fermeture rapide du réseau de cuivre, orchestrée par l'Etat, comme le passage obligé "pour une rentabilisation rapide des lourds investissements entrepris dans les zones les moins densément peuplées du territoire national", reconnaît Paul Champsaur dans son introduction. Après des débuts houleux et la sortie d'un pré-rapport très contesté (voir ci-contre notre article du 7 mars 2014), la mission a finalement retenu "une approche progressive" et "différenciée selon les territoires" - autrement dit, une voie prudente s'appuyant sur un écosystème de mesures incitatives.

Un nouveau statut de "zone fibrée"

L'option médiane retenue par la mission vise a créer un statut de "zone fibrée" donnant lieu au déclenchement d'actions publiques d'incitation à la migration. Ce statut pourra être obtenu lorsque le déploiement horizontal et vertical du réseau sera achevé "dans une zone de taille suffisante" et sur la base d'une demande de son propriétaire (1) auprès des pouvoirs publics. L'Arcep s'assurera de la bonne application des règles établies pour la construction des réseaux : obligations de complétude et respect de certaines caractéristiques d'ingénierie ; qualité de service et capacité de l'infrastructure à fonctionner de manière ouverte et non discriminatoire "en vue de promouvoir la concurrence sur le marché de détail". Une fois cet examen passé, le ministre en charge des télécommunications pourra alors octroyer au territoire le statut de "zone fibrée". Statut qui autorisera le lancement de mesures incitatives à la migration, mesures principalement ciblées sur la clientèle résidentielle et destinées à accélérer la transition.

Quatre accélérateurs pour la transition

Dans les "zones fibrées", la principale mesure consistera à mettre en place une tarification du réseau cuivre plus incitative à la migration des abonnés vers les réseaux fibre optique. La mission propose un dispositif qui n'affecterait pas les abonnés mais inciterait plutôt les opérateurs à utiliser leur force commerciale pour migrer plus rapidement leur base client vers l'infrastructure très haut débit. Il porterait sur le dégroupage et conduirait à ce que "l'augmentation des tarifs du cuivre continue de peser équitablement sur tous les opérateurs". La mission entend éviter ainsi un double écueil : d'une part, le risque de désengagement de l'opérateur historique consécutif à l'augmentation de la rentabilité de son réseau de cuivre ; d'autre part, la pénalisation des utilisateurs n'ayant pas la possibilité de migrer rapidement sur un réseau en fibre optique. Ce travail "d'ajustement" dans les zones fibrées reviendra de toute manière à l'Arcep qui a déjà annoncé l'ouverture du chantier tarification du cuivre.
Trois autres mesures d'accélération seraient également proposées. La première vise à faciliter le raccordement final des logements avec la mise en place d'un dispositif de financement plus équilibré. La mission propose que cette partie très capillaire du réseau reste principalement financée par l'opérateur d'immeuble, mais soit progressivement compensée par le paiement de frais d'accès au service (FAS) par les opérateurs commerciaux, de manière à mieux répartir la charge des dépenses. Pour alléger la charge initiale de l'opérateur d'immeuble, la mission prévoit aussi la création d'un fonds spécifique aux "zones fibrées" destiné à soutenir le financement des raccordements finaux pour les opérateurs d'immeuble qui le souhaiteraient. A l'intérieur des logements, elle recommande de ne pas modifier la norme NF C 15-100 "qui régit l'installation du réseau de communication interne des logements neufs" et garantit la qualité et l'homogénéité des installations (voir notre article du 26 septembre 2014).
La seconde mesure consisterait à lever, pour les immeubles neufs, l'obligation d'installer des réseaux cuivre, comme le prévoit déjà un article réglementaire du Code de la construction et de l'habitation (R-111-14). La troisième mesure concerne la promotion des usages du très haut débit et rassemblerait diverses dispositions portées par les pouvoirs publics relatives à l'information du consommateur (cartographie de la couverture THD), ou encore par exemple destinées à inciter  les opérateurs d'immeubles à fournir un service de diffusion des chaînes hertziennes gratuites sur la fibre sur le modèle du "service antenne" des réseaux câblés.

La décision d'extinction laissée au propriétaire du réseau

Lorsque l'accélération aura produit ses effets, la phase ultime doit permettre de déclencher l'extinction du réseau de cuivre. La mission recommande que le processus intervienne plaque par plaque et à l'initiative de l'opérateur historique, 0range, qui en est le propriétaire. Elle reprend ainsi les dispositions de l'Arcep prévoyant la possibilité pour l'opérateur historique de cesser d'exploiter la boucle locale de cuivre "moyennant un préavis de 5 ans et sous réserve qu'une infrastructure mutualisée en fibre optique permettant de desservir tous les utilisateurs ait été déployée" (décision d'analyse de marché du 26 juin 2014). Orange serait également autorisé à engager le processus hors des "zones fibrées" mais à condition de respecter le même délai de "prévenance" de cinq ans.
Côté abonnés, le déclenchement de cette phase marquerait l'entrée dans un processus de migration forcée pour ceux qui sont encore raccordés au réseau de cuivre. Cette marche contrainte appellera des mesures d'accompagnement spécifiques notamment à destination des publics les plus fragiles. Sur cette phase, la mission fournit assez peu d'éléments mais propose un recours plus systématique à l'expérimentation dans le prolongement de l'opération d'extinction menée par Orange à Palaiseau. Elle suggère notamment que tous les opérateurs déployant un réseau fibre optique "puissent mener, en partenariat avec l'opérateur historique, une opération de même nature sur leur zone de déploiement, dans le but d'élaborer des règles applicables à l'ensemble des cas de figure" et particulièrement dans les zones d'initiative publique.
Beaucoup d'incertitudes demeurent mais le président de la mission affiche un certain optimisme : "On peut imaginer qu'à partir de 2020, il commence à y avoir en France des zones fibrées dont le réseau de cuivre sera fermé", estime Paul Champsaur dans une interview publiée par l'Arcep à l'occasion de la remise du rapport.

Collectivités : des réactions mitigées

Les réactions du côté des collectivités sont encore assez limitées. Dans un récent communiqué, l'Avicca (Association des villes et collectivités pour les communications électroniques et l'audiovisuel) juge certes positive "la réaffirmation par l'Etat de la nécessité de remplacer le réseau historique en cuivre par des réseaux de fibre optique, et la reconnaissance que des mesures complémentaires doivent être prises en ce sens". Mais l'association demande que la création du statut de "zone fibrée" soit actée, "sans attendre", dans le projet de loi Macron qui comporte déjà des mesures en faveur du très haut débit. Et surtout, elle "persiste à demander" que l'Etat et les collectivités n'aient pas à financer les opérations concernant le réseau cuivre. Elle invite le gouvernement a modifier le cahier des charges du plan France THD afin que les économies réalisées abondent les aides au raccordement pour les "zones fibrées" dans les réseaux d'initiative publique.
Pour sa part, Roland Courteille, directeur du syndicat mixte Manche Numérique et membre de la mission, prône une voie plus volontariste visant à déclencher dans les "zones fibrées" l'extinction programmée après le franchissement du seuil de 60% de pénétration du Ftth dans les foyers : "Je regrette qu'on n'ait pas plus évoqué les questions stratégiques, comme l'intérêt économique pour le pays d'accélérer la transition", explique-t-il. "En laissant à l'opérateur historique la liberté de décider, le processus risque de s'étaler sur plus d'une décennie, ce que je regrette alors que nous vivons une révolution mondiale en pleine accélération", constate-t-il encore.
Cette vision plutôt critique est aujourd'hui partagée par un courant de collectivités investies et engagées dans le plan THD et avec lesquelles il faudra sans doute compter aussi. Certes, rien n'est irrémédiable dans les choix proposés par la mission. La voie médiane devrait permettre d'explorer, de tester, d'évaluer la performance du dispositif. Il sera toujours temps de corriger et d'infléchir les règles de bascule si le processus n'est pas suffisamment rapide. Viendra peut-être aussi la question des indemnités à verser à l'opérateur historique, ce que le gouvernement souhaite visiblement éviter aujourd'hui.

(1) Une collectivité ou le délégataire du réseau, dans les zones d'intervention publique, ou encore un opérateur d'immeuble présent sur toute la zone d'intervention privée concernée.
 

Philippe Parmantier / EVS

Une annexe inédite présente les 16 chantiers du dispositif PROPOSé
Dans un second volume, non diffusé, intitulé "Détail des chantiers et recommandations", le rapport définit 16 chantiers à réaliser pour mener à bien le processus de migration du cuivre vers la fibre. Chacun fait l'objet d'une analyse détaillée présentant les difficultés identifiées, les initiatives existantes et les recommandations. C'est un outil utile pour mieux comprendre la diversité des mécanismes à opérer. On y aborde en effet les questions de sécurisation du financement et du calendrier des déploiements, de gestion des compétences et des emplois, de garantie d'accès au génie civil, d'homogénéisation et de contrôle de la qualité des réseaux en fibre optique, d'intégration du très haut débit dans les règles sur l'habitat et l'urbanisme. La mission apporte également des précisions sur les mécanismes de financement et d'accélération prévus dans les "zones fibrées". Bref, un mode d'emploi complémentaire sans aucun doute nécessaire à la bonne compréhension de la vision proposée (voir ci-contre le document en téléchargement).