Aménagement numérique - La simplification des normes sur le logement neuf pourrait affaiblir le plan national THD
Aujourd'hui, dans les logements neufs, la connexion très haut débit est relativement simple à opérer. Une fois la fibre posée dans la colonne montante de l'immeuble, un simple branchement sur le tableau de communication de chaque appartement suffit pour distribuer l'internet rapide dans toutes les pièces. Le processus est standardisé et engendre rarement de mauvaises surprises, y compris en matière de coûts. Cette relative simplicité est possible grâce à l'application d'une norme obligatoire définissant les modalités de construction du réseau électrique et du réseau de communication dans les logements neufs (NFC 15-100). Pourtant, le "choc de simplification" pourrait entraîner des modifications structurelles stratégique, puisque, seul le volet "sécurité électrique" serait maintenu tandis que l'installation du réseau numérique, requalifiée en élément de "confort", deviendrait facultative.
Méconnaissance des réseaux de communication
Les professionnels du numérique, les opérateurs privés de télécommunication et les collectivités initiatrices de RIP de deuxième génération s'inquiètent des conséquences économiques qu'aurait une telle disposition si elle devait être confirmée par le pouvoir réglementaire. "Elle traduirait une méconnaissance profonde des réseaux de communication", regrette un spécialiste de l'internet et des réseaux. "Aujourd'hui, la bonne exploitation des performances du très haut débit dans un appartement, surtout lorsqu'il est neuf, repose de plus en plus sur l'existence d'un réseau filaire", assure-t-il. En effet, le système de box wifi utilisé aujourd'hui semble inadapté à la multiplication des terminaux chez les particuliers (ordinateurs, tablettes numériques, smartphones et télévisions) et à la consommation simultanée de vidéos et autres contenus sollicitant fortement la bande passante. De plus, le nombre des objets connectés installés à la maison va croître fortement (capteurs, servomoteurs, compteurs intelligents, etc.) et solliciter les réseaux en proportion. Dans de tels scénarios, la box wifi "c'est un peu comme si vous achetiez une voiture de course en conservant le moteur de votre ancien véhicule de série", commente encore ce spécialiste. Aussi, faute de réseau filaire permettant d'exploiter au mieux le très haut débit, soit les particuliers s'en tiendront à leur abonnement haut débit actuel, estimant ne pas avoir à "payer plus" pour un service incomplet, soit ils tenteront de compenser les limites de performances de la box en multipliant la pose de relais WiFi dans l'appartement. C'est d'ailleurs en prévision de l'évolution des besoins que le normalisateur avait progressivement intégré dans la NFC 15-100 de nouvelles obligations telles que l'installation de prises informatiques standardisées, de type "RJ45" dans toutes les pièces.
3,5 millions de logement affectés sur la prochaine décennie
L'abandon du pré-câblage obligatoire, s'il devait être confirmé dans les prochains jours, sera loin d'être cosmétique. Il affecterait au moins 3,5 millions de logements au cours de la prochaine décennie. Or le surcoût actuel de l'obligation, qui est estimé entre 300 et 500 euros par appartement au moment de la construction, coûtera sept à dix fois plus cher si le travail devait être réalisé après occupation du logement, et cela au détriment de l'usager qui sera perdant dans tous les cas de figure.
Les logements neufs n'étant plus obligatoirement équipés, certains seront équipés, d'autres pas. Le câblage, auparavant inclus dans le prix global, sera dans une large mesure proposé en option aux acheteurs, moyennant finances. Quant aux opérateurs, leur visibilité sur la vente d'abonnements très haut débit sera plus aléatoire. Pourquoi choisir un abonnement très haut débit s'il n'est pas possible d'en profiter pleinement, se diront certains usagers ?
La norme continuera sans doute à vivre, à évoluer et à être respectée par une majorité de professionnels. Mais, n'étant plus obligatoire, le référentiel commun sera fragilisé. Et la multiplication des petits défauts risque au final de dégrader la qualité générale du service. Sans mésestimer non plus les risques de contentieux portés par des usagers mécontents.
Risques sur le THD et la "silver économie"
Pourquoi alors supprimer une règle qui a montré son efficacité ? De surcroît en plein envol du plan France très haut débit et alors que les obstacles réglementaires continuent à freiner le déploiement de la fibre dans les immeubles…
Cette disposition, si elle est retenue, sera en contradiction directe avec les projets ambitieux affichés sur le très haut débit. Elle risque de compliquer la tâche des opérateurs dans une phase délicate de montée en charge des investissements, en donnant un signal négatif au marché. Ensuite, l'absence de réseaux filaires devrait entraîner une sur-consommation des technologies sans fil, au moment où le Parlement légifère sur "la sobriété, la transparence et la concertation en matière d’exposition aux ondes électromagnétiques". Enfin, le développement de certains programmes prioritaires, notamment dans les domaines de la "silver économie" et des technologies domotiques favorisant le maintien à domicile, pourrait également être affecté.
La simplification normative est certes un chantier légitime, à condition de ne pas mettre en péril d'autres actions également prioritaires. D'autant plus que l'on éprouve une certaine difficulté à s'expliquer l'intérêt d'une mesure dont l'impact sur la baisse du prix de la construction sera faible (tout au plus quelques centaines d'euros par appartement). Déjà en mars 2014, le président de Objectif Fibre, la plateforme de travail des professionnels du secteur, avait écrit au Premier ministre pour le mettre en garde : "S'il apparaît tout à fait pertinent (…) que s'engage une réflexion approfondie visant à alléger le cadre normatif et réglementaire régissant le secteur de la construction, celle-ci ne doit pas cependant venir contrarier ou contredire les priorités d'action que votre gouvernement a clairement défini ces derniers mois", confiait-il. A l'époque, des assurances de statu quo avaient été données. Mais depuis, la tendance semble à nouveau pencher en faveur de la levée des obligations.