Mission rurale Igen/Igaenr - En route vers une Éducation nationale de proximité ?
"Adapter l'organisation et le pilotage du système éducatif aux évolutions et défis des territoires ruraux". C'est à la fois le titre et la recommandation première du rapport de la mission rurale des inspections générales de l'Éducation nationale (Igen et Igaenr) remis au ministre en juillet et rendu public le 2 octobre. Jean-Michel Blanquer a visiblement été convaincu par la démonstration puisqu'il a commandé dans la foulée un autre rapport sur les modalités de mise en œuvre, en y intégrant tous les territoires de l'éducation prioritaire.
"À la différence de la santé ou encore de l’action sociale, l’éducation ne constitue pas un secteur prioritaire des politiques d’aménagement du territoire et d’accès aux services publics mises en place depuis plusieurs décennies, du moins pour ce qui concerne les espaces ruraux." Ce n'est pas une association d'élus ruraux grognards qui le dit, mais le rapport de la mission "Ruralité" conduite par les deux inspections générales de l'Éducation nationale, sous la direction de Marie-Blanche Mauhourat, inspectrice générale de l’Éducation nationale (Igen), et Ariane Azéma, inspectrice générale de l’administration de l’Éducation nationale et de la Recherche (Igaenr).
"Permettre aux académies d’adapter pleinement leurs politiques aux contraintes territoriales"
Après avoir démontré l'extrême diversité des territoires ruraux (rural "éloigné", péri-urbain, petites villes hors influence des pôles d'emploi, montagne…), le rapport conclue à la nécessité pour l'Éducation nationale de "faire évoluer l’organisation académique 'de proximité'". Et pour cela, "il revient à l’échelon national de porter et d’encadrer des possibilités d’adaptations administratives pour permettre aux académies d’adapter pleinement leurs politiques aux contraintes territoriales."
Tout l'enjeu du rapport était de démontrer l'urgence d'une telle approche qualifiée d'"agile". Visiblement, l'argumentation a porté, puisque Jean-Michel Blanquer a missionné Ariane Azéma pour poursuivre la réflexion et l'étendre à tous les territoires de l'éducation prioritaire (territoires ruraux et REP urbains), avec Pierre Mathiot, professeur des universités à Sciences Po Lille (voir notre article ci-dessous du 3 octobre 2018). Ils remettront leur rapport en juin 2019, pour une mise en œuvre de la réforme de l'éducation prioritaire à la rentrée 2020.
Des conventions ruralité davantage "interministérielles"
Le rapport de la mission ruralité formule déjà une douzaine de recommandations, sur lesquelles Pierre Mathiot est en accord. L'une des recommandations (la septième sur la liste) porte sur l'avenir des conventions ruralité. Initié en 2014, c'est un dispositif que Jean-Michel Blanquer a toujours dit vouloir poursuivre et améliorer. Pour cela, la mission suggère de les rendre "plus interministériels". Elle suggère pour cela de les articuler systématiquement aux schémas départementaux d’amélioration de l’accessibilité des services au public (SDAASaP) et aux politiques de programmation (DETR/dotation d’équipement des territoires ruraux et DSIL/dotation de soutien à l’investissement local des communes et de leurs groupements).
Lors de ses visites en académies, la mission a observé que le dispositif aujourd'hui "ne produit pas en soi des transformations décisives". "La plupart des conventions demeurent centrées sur les seuls enjeux d’organisation et de moyens à court terme, sans toujours faire émerger une stratégie territoriale et pédagogique d’ensemble permettant d’aller au-delà des mesures de carte scolaire", regrette-t-elle.
D'ailleurs, d'une manière générale, elle note que "les services académiques, particulièrement les services départementaux, sont, pour ce qui concerne le rural, entièrement mobilisés par les problématiques de fermetures et de regroupements au mieux à l’année n+1 et aux enjeux de recrutement et d’affectation de personnels en territoires ruraux posant des problèmes récurrents d’attractivité".
Accompagner les élèves ruraux vers l'enseignement supérieur
Les services académiques ne s'intéresseraient par exemple que rarement à l'accompagnement individualisé des "élèves ruraux" vers l'enseignement supérieur. L'idée dominante serait celle d'un "manque d'ambition" de ces élèves, idée fondée sur le taux de poursuite d'études effectivement plus faible que celui de la moyenne française. La mission ne s'y résout pas et propose de changer d'approche en appréhendant "l’ensemble des contraintes pesant sur la mobilité des jeunes ruraux".
Parmi les pistes : un renforcement des sorties scolaires de longue distance dès le primaire, l’incitation à développer les volets orientation des projets d’établissement, l’intégration des jeunes ruraux du "rural éloigné" aux programmes cordées de la réussite… (recommandation n°12)
Une attention particulière auprès du "rural éloigné" et des territoires ruraux en "décrochage économique"
Mais avant de parvenir à la formalisation d'une "politique scolaire rurale", encore faut-il "adopter une définition du rural adaptée aux enjeux scolaires". C'est la recommandation n°1 du rapport. La mission avertit que cela ne sera pas facile et suggère de s'adjoindre un groupe d'étude et de recherche dédié.
Il faudrait aussi repérer les territoires ruraux qui ont le plus besoin d'une attention particulière : le "rural éloigné" et les territoires ruraux "en décrochage économique et social" (recommandation n°2). L'idée étant d'avoir "une politique nationale explicitement différenciée reconnaissant pleinement l’éloignement géographique, la dispersion et a fortiori l’isolement propres à des territoires ruraux scolaires".
Selon la mission, 2.300 écoles sont situées dans des communes du "rural éloigné", dont 87% ont seulement une à deux classes. Elles accueillent 9% des écoliers et 10% des collégiens de l’espace rural (soit 2 % des écoliers et des collégiens de la France métropolitaine). La part des enseignants de moins de 35 ans est de 10 points supérieure à la moyenne France métropolitaine.
La mission n'est pas favorable au transfert obligatoire des compétences scolaire et périscolaire aux intercommunalités
Dans le cadre de la réforme de la gouvernance académique (voir notre article du 15 mai 2018), la mission suggère de faire évoluer l’organisation infradépartementale de l’Éducation nationale "en fonction du maillage des collèges et en cohérence avec les périmètres des collectivités locales" (recommandation n°3).
Elle estime que le niveau intercommunal "doit être un élément majeur du cadre de référence territorial de l’éducation nationale". Pour autant, elle se démarque de précédents rapports des inspections (voir notre article du 2 décembre 2015) ou encore de la Cour des comptes (voir notre article du 15 décembre 2017) sur "l’optimum que constituerait le transfert obligatoire des compétences scolaire et périscolaire des communes aux intercommunalités". Pour la mission, "il s’agit là d’un choix d’organisation interne au 'bloc local' (communes et intercommunalités) nécessairement divers selon les territoires".
Travailler avec les conseils départementaux sur le maillage et la sectorisation des collèges
La mission recommande d'initier, au niveau national, "un travail avec les conseils départementaux sur le maillage des collèges et leur sectorisation" (recommandation n°4) et d'expérimenter dans les "territoires ruraux éloignés" diverses formes d’organisation originales écoles-collège dites "école du socle" (n°5).
La mission invite également à envisager des mesures incitatives pour faire face aux difficultés de recrutement de certains territoires ruraux (recommandation n°8). Elle a imaginé trois stratégies possibles : "Généraliser et amplifier des mesures incitatives existantes" dans certaines académies (bonification, suivi spécifique des stagiaires et des néotitulaires, aide au logements…) ; "Créer et valoriser un parcours 'spécialisé' rural" où les spécificités pédagogiques des classes multicours (dite aussi "à double niveau") seraient approfondies ; "Expertiser la pertinence et la faisabilité d’une obligation de service en établissement non attractif en premier poste ou en cours de carrière pour deux ou trois années".
Adapter le statut des directeurs d’écoles
La mission recommande également (n°10) d'"adapter les conditions d’exercice des corps d’encadrement (IEN, principaux de collèges) en zone rurale" et aussi d'"adapter le statut des directeurs d’écoles dans les territoires de faible densité", sujet soulevé par tous les représentants de collectivités rencontrés par la mission. "La systématisation de mesure de décharges supplémentaires en cas de regroupement d’écoles (déjà mis en place dans certaines académies), voire l’expérimentation d’un statut dérogatoire pourraient être envisagées, et intégrées aux conventions, par exemple pour les territoires de l’espace rural éloigné", suggère la mission.
Enfin, la mission recommande (n°11) d'accorder "une attention particulière" à l’organisation des services médicaux et sociaux assurés par l’éducation nationale, du fait que "les écoles et établissements scolaires constituent parfois le 'dernier' service public accessible à des familles précaires et peu mobiles".