Archives

Social - En attendant les Etats généraux du travail social...

Annoncés dans le cadre du plan contre la pauvreté et pour l'inclusion sociale, les Etats généraux du travail social se préparent. Des assises territoriales sont d'abord prévues pour janvier 2014. En attendant, diverses initiatives et prises de parole viennent confirmer la nécessité de "refonder le travail social". Parmi elles, un colloque organisé par le CNFPT, le CSFPT et la FNCDG au cours duquel il fut aussi bien question du désarroi du travailleur social que d'enjeux plus statutaires.

"Renouveler l'intervention sociale, c'est identifier sur le terrain des référents disponibles, c'est privilégier une approche globale et pluridisciplinaire des publics, c'est aller chercher ceux qui ne demandent rien, c'est enfin penser en termes de prévention des ruptures et de droit au parcours, jusqu'à l'insertion réussie." C'est ce que déclarait Jean-Marc Ayrault le 11 décembre 2012 en clôturant la conférence nationale contre la pauvreté. Un mois plus tard, dans le cadre de la présentation du Plan pluriannuel contre la pauvreté et pour l'inclusion sociale, le Premier ministre annonçait l'organisation d'"Assises de l'intervention sociale"… rebaptisées depuis Etats généraux du travail social (EGTS).
Depuis, ces Etats généraux se préparent. Il y a d'abord eu une phase de réflexion sur le périmètre, les enjeux, la méthode et l'organisation même de cette démarche visiblement ambitieuse devant s'étendre sur pas moins d'un an. Si un comité de pilotage national fournit le cadrage, la matière émanera principalement des "assises territoriales" (ou "interrégionales") qui vont avoir lieu début 2014 sur sept grands territoires métropolitains et deux ultramarins. Avant cela, deux interrégions pilotes (Sud et Sud-Est) ouvriront le bal. Enfin, la phase de synthèse nationale aura pour point d'orgue les Etats généraux à proprement dit, soit une vaste rencontre qui ne sera probablement pas organisée avant octobre 2014.
Chaque territoire va être invité à concentrer ses travaux sur un champ de politique publique (exclusion-insertion-pauvreté, hébergement-logement, enfance-famille, autonomie, égalité hommes-femmes) et sur une "thématique transverse". Des groupes nationaux se pencheront également sur ces thématiques, dont les intitulés ont été préalablement définis : "place des usagers", "complémentarité des métiers du travail social et de l'intervention sociale", "organisation du travail et parcours professionnels", "organisation interinstitutionnelle entre acteurs", "formation initiale et continue", "développement social et travail social collectif".
On le voit, le champ est large. Certes, tout le monde ou presque s'accorde sur la nécessité de "refonder" le travail social. Et sur le constat dressé par le gouvernement lui-même qui, dans un document de présentation des EGTS de juin dernier, mettait l'accent sur l'"évolution de la demande de travail social liée aux évolutions des politiques sociales". Plus précisément, celui-ci évoquait "une remise en cause de la posture traditionnelle des professionnels, avec des attentes de plus en plus nombreuses et parfois contradictoires", "des organisations de travail et des pratiques de management pas toujours adaptées", "un risque d'isolement des travailleurs sociaux, source de repli et d'usure professionnelle", "un risque de malentendus sur les responsabilités des travailleurs sociaux dans la mise en oeuvre des différentes politiques sociales".

Pour la Fnars, "un renouveau des pratiques professionnelles" s'impose

Mais d'aucuns s'interrogent déjà. Sur quoi toute cette entreprise des Etats généraux va-t-elle pouvoir déboucher ? Le président de l'Assemblée des départements de France (ADF), Claudy Lebreton, a ainsi récemment écrit à Marie-Arlette Carlotti, la ministre déléguée chargé de la lutte contre l'exclusion, pour lui faire part de sa "grande perplexité". Il rappelle que de nombreux travaux ont déjà eu lieu au fil des dernières années, que ce soit à l'initiative d'organisation syndicales, d'universitaires ou de collectifs de travailleurs sociaux. Il considère aussi que ce n'est pas à l'Etat de se pencher sur des "questions organisationnelles" qui relèvent de "la libre administration des collectivités". Il relève, enfin, que les Etats généraux devront en tout cas s'intéresser, non seulement aux "professions historiques et canoniques" (assistants de service social, éducateurs…) mais aussi, entre autres, aux "personnes assumant les premiers accueils dans les différents guichets".
Du côté des grands acteurs associatifs, on mentionnera naturellement l'initiative de la Fnars, qui organise les 7 et 8 novembre à Valence des "Journées du travail social" sous l'intitulé "Evolution des précarités : R-évolution du travail social ?". Devant réunir plus de 800 personnes, ces journées permettront de "définir un plan d'action pour le réseau de la Fnars et contribuer aux Etats généraux du travail social organisés via une plateforme de propositions", explique la fédération. Faisant suite à une dizaine de rencontres régionales ayant eu lieu depuis le printemps dernier, elles partent elles aussi du constat qu'"une redéfinition des missions du travail social et un renouveau des pratiques professionnelles s'imposent".
Autre exemple d'initiative, sur le front des travailleurs sociaux eux-mêmes : une intersyndicale (les syndicats CGT, FSU, FAFPT et Sud Solidaires de la fonction publique territoriale) a récemment publié un manifeste intitulé "Le travail social avec des professionnels promoteurs de droits et de lien social" pour faire d'ores et déjà entendre ce qu'elle attend des EGTS.
Ces mêmes organisations syndicales avaient d'ailleurs appelé à un rassemblement le 8 octobre dernier à Paris, profitant de la tenue du colloque "Quelles évolutions pour la filière sanitaire et sociale de la fonction publique territoriale ?" co-organisé ce jour-là par le Centre national de la fonction publique territoriale (CNFPT), le Conseil supérieur de la FPT (CSFPT) et la Fédération nationale des centres de gestion (FNCDG).

La filière sanitaire et sociale face au "cloisonnement" des dispositifs

Les conclusions de ce colloque qui a réuni environ 180 personnes représentant 35 départements devraient elles aussi donner lieu à une contribution formelle destinée à nourrir les EGTS, ont indiqué ses organisateurs. Le périmètre du colloque était certes plus large puisqu'en parlant de filière sanitaire et sociale, on désigne aussi bien le secteur social (assistants socio-éducatifs, éducateurs de jeunes enfants, agents spécialisés des écoles maternelles…) que médico-social (infirmiers, psychologues, auxiliaires de puériculture…) ou médico-technique… et aussi bien les cadres d'emploi de niveau C que de niveau A ou B. Soit un total de plus de 200.000 agents majoritairement employés par les départements, mais aussi les communes et leurs CCAS bien sûr. "Tout cela englobe évidemment des professions porteuses de problématiques très différentes", tel que l'a souligné un représentant de l'Unsa territoriaux.
Il y fut toutefois beaucoup question de travail social, notamment à travers les propos de Michel Thierry, vice-président du Conseil supérieur du travail social et de Roland Giraud, président de l'Association nationale des directeurs de l'action sociale et de la santé (Andass).
Michel Thierry a ainsi mis en avant un "puzzle de plus en plus complexe à gérer", "l'évolution et la massification des phénomènes de pauvreté" donnant lieu à "des cas de plus en plus lourds à traiter dans le cadre de dispositifs de plus en plus spécialisés"... Selon lui, c'est même cette "multiplication d'instruments très spécifiques et cloisonnés qui génère cette montée de la frustration des travailleurs sociaux, qui ont l'impression d'avoir de moins en moins prise".
Roland Giraud n'a guère dit autre chose lorsqu'il a fait état du "sentiment de tension très fort chez les travailleurs sociaux entre demandes, désir d'y répondre et moyens". "Le travailleur social, aujourd'hui, on lui demande de tout connaître, alors qu'il devrait être un assembleur autour d'une situation individuelle". "On s'éloigne de l'accompagnement de la personne, on finit par devenir un technicien des interventions publiques", a de même témoigné Jean-Claude Lenay, secrétaire national de l'Interco-CFDT et membre du conseil d'administration du CNFPT, ajoutant : "Les travailleurs sociaux disent qu'ils perdent le sens de leur métier... en sachant de surcroît qu'il y a très peu de recrutements alors même que la demande sociale augmente". Cette question-là pourra-t-elle être éludée par les états généraux ?

Claire Mallet

Parcours professionnels, évolutions statutaires… "Les choses bougent trop lentement"

Le colloque organisé le 8 octobre par le CNFPT, le CSFPT et la FNCDG a naturellement accordé une place centrale à la dimension "ressources humaines", qu'il s'agisse de recrutement, de formation, de statut, de carrière ou de rémunération. On connaît notamment la revendication des assistants de service social d'une reconnaissance en catégorie A.


Face à l'ampleur des difficultés, "les choses bougent trop lentement", déplore Philippe Laurent, président du Conseil supérieur de la fonction publique territoriale (CSFPT). Dès octobre 2005, l'instance lançait un avertissement dans un rapport : "Faute d'adaptations", la filière sanitaire et sociale "risque, au regard des inégalités et incohérences qu'elle présente vis-à-vis des autres filières, d'apparaître comme peu attractive". Huit ans après, des aménagements statutaires ont, certes, eu lieu. En particulier, des décrets, publiés le 12 juin 2013 en application de la réforme de la catégorie B, ont redessiné les contours de plusieurs cadres d'emplois des catégories A et B de la filière (lire notre article du 17 juin 2013). Les personnels concernés ont un traitement un peu plus élevé dès les premières années et, au-delà, bénéficient d'un meilleur déroulement de carrière.
Mais, ce coup de pouce est très loin de satisfaire les attentes sur le plan de la rémunération. La preuve par les chiffres : un assistant socio-éducatif débute aujourd'hui sa carrière à 1.259,75 euros nets (hors primes). Après dix à douze ans, il gagne 1.521,72 euros (sans les primes). Aussi, "lorsque les agents travaillent à temps non complet, leur rémunération ne se situe guère plus haut que le seuil de pauvreté", s'inquiète Bruno Collignon, président de la FA-FPT.
On est très loin de la reconnaissance des formations au niveau de la licence et du passage en catégorie A pour ces agents. Deux revendications anciennes que des agents territoriaux ont d'ailleurs rappelées à haute voix, le 8 octobre, devant le conseil régional d'Ile-de-France, où se tenait le colloque. Ils manifestaient à l'appel de quatre syndicats (CGT, SUD-Solidaires, FSU et FA-FPT).
Au-delà d'une juste prise en compte des formations et d'une rémunération qui soit à la hauteur de la qualification des personnels, plusieurs leviers pourraient être utilisés afin d'améliorer l'attractivité des métiers sociaux, médico-sociaux et médico-techniques. Le développement de l'apprentissage, l'ouverture plus importante de passerelles vers les autres filières de la territoriale et vers les autres fonctions publiques, un usage plus grand de la valorisation des acquis de l'expérience, la "suppression" des postes au temps partiel imposé, le recours à davantage de promotions internes, ou encore l'allègement des épreuves de certains concours ont été tour à tour cités par les intervenants du colloque, à savoir des élus et des représentants syndicaux. Ce sont autant de pistes qui pourront alimenter les propositions communes que le CSFPT, le CNFPT et la FNCDG comptent mettre au point dans les prochaines semaines.

Thomas Beurey / Projets publics
 

 

Voir aussi

Abonnez-vous à Localtis !

Recevez le détail de notre édition quotidienne ou notre synthèse hebdomadaire sur l’actualité des politiques publiques. Merci de confirmer votre abonnement dans le mail que vous recevrez suite à votre inscription.

Découvrir Localtis