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Communication - Droit à photographier : l'Assemblée adopte "l'exception de panorama"

La nouvelle devrait réjouir les photographes, les directeurs de publication et les responsables de communication du secteur public, mais indigner les architectes et les artistes : l'Assemblée nationale a adopté, à l'unanimité, un amendement parlementaire au projet de loi pour une République numérique (voir aussi notre article de ce jour sur l'ensemble du texte) instaurant ce qu'il est convenu d'appeler "l'exception de panorama".
Il s'agit en l'occurrence de l'autorisation de photographier, dans l'espace public, et de diffuser des photos de monuments ou œuvres d'art couverts par le droit d'auteur. En séance, le gouvernement a émis un avis défavorable à l'amendement - émanant de sa majorité -, mais il a été balayé par l'unanimité qui s'est fait autour de cette mesure. La disposition pourrait donc se retrouver dans le texte final.

Quatorze amendements pour un même objectif

Fait inhabituel - et signe d'une forte mobilisation - pas moins de 14 amendements émanant de la droite comme de la gauche et ayant le même objet ont été déposés sur l'exception de panorama. Leur discussion a également été d'une longueur inhabituelle et a fait l'objet de votes sélectifs, les amendements de l'opposition étant écartés au profit de ceux de la majorité.
Au final, le texte adopté (article 18 ter nouveau) ajoute à l'article L.122-5 du Code de la propriété intellectuelle - qui liste tout ce que l'auteur d'une œuvre de toute nature couverte par le droit d'auteur ne peut interdire - un cas supplémentaire concernant : "les reproductions et représentations d'œuvres architecturales et de sculptures, placées en permanence sur la voie publique, réalisées par des particuliers à des fins non lucratives".
Pour mémoire, on rappellera que la presse écrite bénéficiait déjà de l'exemption du droit d'auteur lorsqu'elle reproduisait une œuvre "dans un but exclusif d'information immédiate et en relation directe avec cette dernière, sous réserve d'indiquer clairement le nom de l'auteur". Mais - sauf les rares publications bénéficiant d'un numéro de commission paritaire - les supports de communication des institutions ne sont pas à proprement parler assimilables à la presse écrite.

Une extension très encadrée

Après divers avis contradictoires lors du débat autour des amendements, l'Assemblée a finalement décidé d'introduire une restriction de taille. Alors que certains plaidaient pour que le seul but non commercial justifie l'exception de panorama, l'amendement adopté est finalement plus restrictif. Le problème est en effet qu'une société comme Google considère que l'insertion d'une image sur sa page d'accueil (comme les célèbres Doodle) n'a pas de but lucratif, puisque le service est gratuit pour l'internaute...
Avec la rédaction retenue, il faudra non seulement qu'il n'y ait pas d'utilisation commerciale - ce qui était admis par tous, sauf les ultras du "Parti pirate" au Parlement européen -, mais aussi que l'auteur des photos soit un "particulier". Le problème est que cette notion de particulier n'a pas de portée juridique et qu'elle semble employée dans l'amendement comme le contraire d'"entreprise commerciale". Un exemple : un directeur de la communication d'une petite ville qui photographie, dans l'espace public, un bâtiment ou une sculpture soumise au droit d'auteur et utilise la photo pour le journal ou le site internet de sa commune (donc sans but lucratif) est-il assimilable à un "particulier" ? Si le texte est adopté en l'état, il est donc très vraisemblable que la jurisprudence devra rapidement apporter des précisions sur l'interprétation de l'amendement.

A front renversé

En attendant, Axelle Lemaire, secrétaire d'Etat chargée du numérique, a émis un avis défavorable à l'amendement, mais sans être suivie. Elle a d'ailleurs quelque peu irrité les parlementaires en mettant en avant la nécessité de "faire preuve d'une grande prudence à ce stade", dans la mesure où le gouvernement est en train d'élaborer "une stratégie en vue de la renégociation de la directive européenne sur le droit d'auteur".
Pourtant, c'est la secrétaire d'Etat elle-même qui, auditionnée le 18 mars 2015 par la commission de réflexion sur le droit et les libertés à l'âge du numérique de l'Assemblée nationale, avait affirmé que le futur projet de loi inclurait bien l'exception de panorama... Cette prise de position avait alors suscité une vive mobilisation de l'ADAGP (Société des auteurs dans les arts graphiques et plastiques). Celle-ci avait alors dénoncé "une telle exception, injuste, illégitime et dévastatrice" et invité les auteurs "à sensibiliser les élus et politiques qu'ils peuvent être amenés à rencontrer [...] pour que leurs droits ne soient pas bafoués". Huit mois après, le débat se joue à front renversé, avec des parlementaires qui font assaut d'amendements pour faire passer l'exception de panorama et la secrétaire d'Etat qui tente de s'y opposer...

Références : article 18 ter (nouveau) du projet de loi pour une République numérique, adopté en première lecture par l'Assemblée nationale le 26 janvier 2015.

 

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