TIC - La République numérique proclamée par les députés
Concluant trois jours de débats, les députés ont voté ce 26 janvier en première lecture le projet de loi pour une République numérique. Avec 148 amendements adoptés, le texte porté par la secrétaire d'Etat au numérique Axelle Lemaire a fait l'objet de nombreuses modifications mais a conservé sa structure tripartite. Circulation des données, protection des individus et accessibilités sont toujours les trois piliers d'un texte qui cherche à créer le cadre du numérique de demain.
Les acteurs publics moteurs de l'open data
Les parlementaires se sont emparés de la thématique de l'open data et ont augmenté le premier chapitre du texte par rapport aux versions précédentes. Les administrations sont tenues de publier de manière ouverte et réutilisable leurs données et leurs documents administratifs. Le projet de loi cherche à simplifier les échanges de données entre les acteurs de services publics : administrations, établissements publics, délégataires de services publics…
L'article 1er dispose que les administrations devront désormais fournir leurs documents aux autres administrations. Il interdit également les échanges onéreux entre les établissements et les services de l'Etat à compter du 1er janvier 2017. Similairement, l'article 7 précise que les administrations ne pourront plus faire valoir leur "droit sui generis" pour leurs bases de données. Et les données produites dans le cadre d'une délégation de service public pourront désormais être récupérées par l'autorité délégante (article 10). Autre mesure, rendre obligatoire la publication des avis du Conseil d'Etat sur les projets de loi et d'ordonnance (article 2 bis). Enfin, les bases de données de l'Insee ne pourront plus faire l'objet d'une redevance (article 7 bis).
Contrairement aux versions précédentes du texte, toutes les administrations et personnes morales chargées d'une mission de service public de plus de 50 employés devront publier en ligne leurs documents administratifs et leurs bases de données, une fois les données personnelles rendues anonymes (article 4). Les parlementaires ont mis fin à l'exception générale qui prévalait pour les collectivités territoriales de plus de 3.500 habitants, pour lesquelles la loi Notr faisait autorité. L'objectif : éviter de créer deux régimes juridiques distincts et limiter l'inégalité de traitement entre l'Etat (ciblé et protecteur) et les collectivités (très large) en matière d'ouverture des données. En vue d'accompagner les administrations dans leur transition, des délais de six mois à deux ans sont prévus en fonction des jeux de données concernés. L'Etat s'est par ailleurs vu confier une nouvelle mission de service public consistant à mettre à disposition et à publier des "données de références" pour faciliter leur réutilisation (article 9).
Encourager la dynamique d'ouverture des données
En plus de publier les documents et les informations publiques qu'elles se devaient jusqu'ici de transmettre en vertu de la "loi Cada", les administrations devront également publier leurs codes sources (article 1er bis) et les règles définissant le traitement algorithmique des demandes administratives (article 2). Les jeux de données liés aux déchets (article 4 bis) ont également fait l'objet d'un débat et le texte souhaite encourager leur ouverture. Les documents relatifs à la gestion du domaine privé de l'Etat et des collectivités (article 6 bis) devront quant à eux être publiés. Tout comme les données contenues dans les conventions de subventions (article 11). De la même manière, les données et les travaux produits dans le cadre de recherches financées par des fonds publics devraient être accessibles plus facilement (article 17). Des dispositions ont également été prises pour simplifier la production de statistiques publiques (article 12) ou destinées à la recherche (article 18).
Autre nouveauté, le Comité supérieur de l'audiovisuel devra désormais faire un rapport, qui sera mis à la disposition du public, sur les temps de parole des hommes et femmes politiques dans les médias (article 9 bis). Quant à l'Arcep, elle aura à charge de publier les cartes de couverture mobile (article 37).
L'article 1er ter reconnaît la "publication en format ouvert et aisément réutilisable" comme un moyen d'accéder aux documents. Une valorisation de l'open data public qui concerne tous les documents et toutes les informations publiques qui ont déjà été publiées ou communiquées. Les administrations pourront établir des licences afin de simplifier la réutilisation des données (article 7). Une liste de licence homologuée révisée tous les cinq ans sera définie par décret, en concertation avec les collectivités territoriales. Si elle n'y figure pas, la licence devra être homologuée par l'Etat avant de pouvoir être utilisée. Enfin, les administrations privilégieront les logiciels libres et les formats ouverts pour leurs systèmes d'informations (article 9 ter).
Par ailleurs, suite au succès de la consultation et de la co-écriture du projet de loi avec les internautes, les parlementaires ont demandé à l'Etat de remettre un rapport au plus tard avant le 30 juin 2016 sur la nécessité de "créer une consultation publique en ligne pour tout projet ou proposition de loi avant son inscription à l'ordre du jour" (article 1er bis A).
Les fondations d'une nouvelle gouvernance de la donnée
Le projet de loi semble appeler de ses vœux une nouvelle gouvernance de la donnée et du numérique. Ainsi, l'article 16 ter prévoit que l'Etat produise un rapport sur la possibilité de créer un "Commissariat à la souveraineté numérique" dont les missions "concourent à l'exercice, dans le cyberspace, de la souveraineté nationale et droits et libertés individuels et collectifs que la République protège". Le texte prévoit également un rapprochement de la Cnil et de la Cada, qui pourront par exemple se réunir dans un collège unique (articles 14 et 16).
Quant à la Cada, elle a vu ses pouvoirs de sanction renforcés (article 8) , qu'il s'agisse de punir plus justement dans les cas de réutilisations illégales des données publiques ou de sanctionner les administrations qui refuseraient de communiquer leurs documents administratifs. Ces dernières seraient alors mises sur liste noire et pourront faire l'objet de sanctions.
Remettre les droits de l'individu au centre du dispositif
Le deuxième chapitre du projet de loi vise à renforcer la protection des individus dans une société numérisée en créant des liens de confiance entre les utilisateurs et les entreprises. Le texte consacre ainsi les principes de "loyauté des plateformes" et de "neutralité du net" avant de revenir sur des points plus spécifiques comme la régulation des avis en ligne, le droit à l'oubli pour les mineurs, la mort numérique, la pénalisation du "revenge porn"… Concernant la protection des données personnelles, les parlementaires ont cherché à simplifier les actions de groupe tout en renforçant les pouvoirs de sanctions de la Cnil. Quant aux lanceurs d'alerte, ils sont désormais protégés par la loi. La portabilité des données vers d'autres fournisseurs de services est par ailleurs facilitée.
Les collectivités ne sont que peu concernées par ce volet du projet mais l'article 21 A instaure une portabilité des données scolaires numériques des élèves afin d'assurer le continuum éducatif en cas de changement d'établissement. Notons par ailleurs que le paiement par SMS (article 41) et le recommandé électronique (article 40) devraient être simplifiés. Toujours dans une logique de facilitation des usages, l'article 40 AA prévoit que le gouvernement remette au Parlement un rapport sur les "mesures nécessaires au développement des échanges dématérialisés, notamment l'identité numérique, la valeur probante des documents numériques ou numérisés et la certification de solution de coffre-fort électronique".
Réseaux et services au cœur de la République
L'aménagement numérique du territoire reste au cœur de la réflexion sur une République numérique. Comme l'ont rappelé plusieurs députés, une loi sur le numérique restera sans effets pour des territoires toujours exclus de toute connectivité. En ce sens, différents articles doivent permettre d'accélérer les déploiements. L'article 36 autorise jusqu'au 31 décembre 2019 les syndicats de collectivités à se réunir au sein d'un syndicat, dès lors que celui-ci comprend une région ou un département. Quant à l'article 36 bis, il exige que le décret d'application du statut de "zones fibrées" soit publié avant le 31 décembre 2016. Un travail sur le raccordement final a également été fait puisqu'il sera maintenant plus simple de réutiliser des infrastructures numériques préexistantes dans les immeubles pour le déploiement de la fibre (article 37 B) et l'occupant d'un logement pourra faire valoir son droit à la fibre face à son propriétaire ou à sa copropriété (article 37 C) – l'installation sera alors au frais de l'opérateur.
Par ailleurs, afin de renforcer les capacités d'investissement des opérateurs, ceux-ci pourront tous (primo-investisseurs et cofinanceurs) bénéficier de l'amortissement supplémentaire de 40% prévu dans la "loi Macron I" (article 37 D). Enfin, toujours pour promouvoir l'investissement, les opérateurs d'infrastructures pourront réserver le bénéfice de la péréquation tarifaire dans leur convention d'accès à leurs réseaux aux seuls opérateurs qui ne déploient pas leur propre réseau FttH sur la zone concernée (article 37 E). De cette manière, le législateur espère empêcher les opérateurs de déployer leur propre réseau dans les zones rentables avant de profiter, à moindre coût, des infrastructures dans les zones moins denses ou rurales. En matière de téléphonie mobile, les collectivités pourront enfin faire valoir les travaux liés aux infrastructures mobiles au titre du fonds de compensation de la taxe sur la valeur ajoutée (FCTVA) (article 37 A). Si le projet de loi reconnaît le principe de libre utilisation des fréquences non assignées ou à des fins expérimentales (article 38), il renforce dans le même temps la capacité de l'Arcep à sanctionner les opérateurs qui faillissent à leur mission d'entretien des infrastructures téléphoniques (article 37 F). Similairement, l'article 39 stipule que l'opérateur chargé du service universel (pour l'instant Orange) doit dresser un état des lieux de son réseau fixe. Un rapport comportant des analyses à l'échelle départementale devra alors être remis à l'Arcep, et pourra être transmis aux collectivités si elles en font la demande. De plus, si l'entretien des abords des lignes est de la responsabilité du propriétaire du terrain ou, à défaut, de l'opérateur, le maire peut s'en charger aux frais des opérateurs en cas de manquements. Enfin, les communes situées en zones blanches et ne disposant toujours pas de couverture mobile pourront figurer sur une nouvelle liste complémentaire qui sera établie dans les six mois après la promulgation de la loi.
Au-delà des questions d'infrastructures, le législateur souhaite promouvoir une réflexion autour des usages et des services dans les territoires. Grâce à l'article 35, les conseils départementaux, régionaux ou leur syndicat mixte peuvent établir une stratégie de développement des usages et services numériques, qui constituera un volet du schéma directeur territorial d'aménagement numérique (SDTAN). Le projet de stratégie devra faire l'objet d'une concertation pour recueillir les observations du Conseil économique, social et environnemental régional (Ceser), des conseils de développement et du public. Dans le cadre de pôles métropolitains, les opérateurs ont l'obligation de couvrir de manière équilibrée les territoires urbains, périurbains et ruraux.
Le numérique pour tous
Le volet accessibilité du projet de loi numérique a été consolidé par les députés. L'article 45 prévoit le maintien temporaire du service internet en cas de non-paiement des factures par les personnes démunies, et ce, jusqu'à ce que le fonds de solidarité pour le logement (FSL) ait statué sur la demande d'aide financière. Afin de juger de la pertinence de fournir un accès à internet aux détenus, le gouvernement remettra un rapport sur le sujet au Parlement (article 45 ter).
A l'instar des versions précédentes, le projet de loi tel qu'adopté par les députés élargit les services téléphoniques proposés par les acteurs privés et publics en vue de les rendre accessibles aux personnes sourdes et malentendantes (article 43). Cela passe par la mise en place d'un service de traduction écrite et visuelle. Quant aux sites et aux applications publics, ils devront désormais être accessibles à toutes les personnes en situation de handicap (article 44). Les administrations devront élaborer en ce sens un schéma pluriannuel de mise en accessibilité de leurs sites, dont le suivi sera assuré par une commission à l'échelle nationale. Ces sites devront par ailleurs afficher leur niveau de conformité aux règles d'accessibilité sous peine de sanction pécuniaire.