TIC - République numérique : un projet de loi augmenté
Le 19 janvier. C'est la date à laquelle le projet de loi relatif à la République numérique devrait être déposé en procédure accélérée à l'Assemblée nationale par la Secrétaire d'Etat au Numérique, Axelle Lemaire. Après être passé entre les mains de l'Arcep, de la Cnil ou encore du Conseil d'Etat, le texte, présenté ce 9 décembre en conseil des ministres, est resté largement inchangé sur le fond depuis la phase de co-écriture avec les internautes. Suite à cette consultation, le texte avait été très largement remanié et augmenté, pour aboutir à sa version actuelle. Depuis, les principales modifications ont principalement porté sur la forme. Dès la semaine prochaine, le texte sera examiné par les commissions des lois et des affaires européennes de l'Assemblée nationale - des discussions en commission qui reprendront à compter du 12 janvier. Du côté du cabinet de la ministre, on espère que le texte pourra être discuté au Sénat fin mars-début avril.
Le projet de loi a intégré de nombreuses propositions
Ce projet de loi, qui se veut principiel, traite de la circulation des données et des savoirs, de la protection du citoyen dans la société numérique et de l'accès de tous au numérique. Autrement dit, des "droits et des obligations dans le monde numérique", résume-t-on au cabinet d'Axelle Lemaire.
Reprenant très largement la version issue de la concertation, ce texte intègre plusieurs nouveautés (comme la reconnaissance de l'e-sport) et facilite la réutilisation des données par les chercheurs et les statisticiens publics. Le domaine commun informationnel, prévu dans la première version du texte a été retiré suite à la consultation malgré un fort soutien des internautes. En cause, son articulation avec le droit de la propriété intellectuelle. Un groupe de travail devrait se saisir prochainement du sujet, en vue, peut-être, de le proposer sous forme d'amendement.
Au total, à la suite de la consultation, ce sont 90 propositions qui ont été intégrées, ainsi que cinq nouveaux articles, proposés et votés par 21.330 participants (pour 125.116 visiteurs uniques). Une première mise en discussion d'un texte avec le citoyen réussie. Enfin, les sujets de fond pour les collectivités, comme l'ouverture des données publiques, l'accessibilité ou encore l'aménagement numérique, ont également été augmentés et précisés.
Une volonté d'aller plus loin sur l'ouverture des données publiques
La précédente version du projet de loi comportait un certain de nombre de mesures sur l'ouverture des données publiques - ouverture par défaut des documents déjà disponibles au format numérique, des bases de données, des informations présentant un intérêt économique, social ou environnemental - dont la mise en œuvre a été renforcée. Sur ce point, le texte de référence pour les collectivités reste l'article L.1112-23 du code général des collectivités territoriales (1) et, plus largement, la loi Notr dont la pleine mesure n'aurait pas encore été prise, relève l'entourage de la secrétaire d'Etat.
Dès la première version du texte – pré-consultation – (voir ci-contre notre article du 2 octobre), les organismes publics s'étaient vu confier plusieurs missions d'ouverture de leurs données. Qu'il s'agisse des opérateurs ou des organismes d'Etat, des services publics industriels et commerciaux (Spic), des délégataires de services publics ou encore des bénéficiaires de subventions publiques, tous ces acteurs auront à charge d'ouvrir leurs données en vue d'une réutilisation. L'Arcep est également concernée puisqu'elle devra publier en open data les données relatives aux cartes de couverture mobile. Enfin, le projet de loi prévoit une extension de la "loi Cada" pour les administrations publiques, lesquelles pourront désormais exiger d'une autre administration qu'elle leur transmette un document administratif.
La seconde version a en outre apporté son lot de nouveautés, parmi lesquelles on retrouve notamment la réutilisation des bases de données publiques pour lesquelles les administrations publiques ne pourront dès lors plus avancer leur "droit sui generis" (2) de producteur en vue d'en interdire l'usage. Le nouveau texte spécifie également que les licences de réutilisation des données publiques devront préalablement avoir été homologuées par l'Etat.
Autre nouveauté, l'obligation d'ouvrir le code des algorithmes publics. Toute personne qui fera l'objet d'une décision administrative individuelle basée sur un traitement algorithmique, comme l'affectation des lycéens dans les filières d'enseignement supérieur, pourra demander à l'administration de lui communiquer les règles constituant cet algorithme. Enfin, la Cada (Commission d'accès aux documents administratifs), qui n'émettait jusqu'ici qu'un avis consultatif, pourra désormais inscrire sur "liste noire" une administration qui ne communiquerait ou ne publierait pas ses documents administratifs. Dans certains cas, elle pourra saisir elle-même le juge administratif.
Accessibilité : prendre en compte le mobile et les DSP
L'accessibilité des services publics en ligne est l'un des enjeux forts de la modernisation de l'action publique. En ce sens, le projet de loi sur le numérique s'est emparé du sujet pour les sites des administrations. La terminologie a été revue, dans la nouvelle version, afin d'y inclure également les applications. Les sites et applications publics auront désormais obligation d'afficher leur niveau de conformité aux règles en matière d'accessibilité et d'établir, en plus d'un schéma pluriannuel, un plan d'actions annuel, sur lequel les internautes pourront faire des suggestions et suivre sa mise en œuvre. Ces obligations s'étendent dorénavant aux délégataires d'une mission de service public. Le tout sera suivi par une commission composée d'associations représentatives, d'administrations publiques et de délégataires de missions de service public. Par ailleurs, les services publics, mais également les services clients ou les offres de communications électroniques, seront tenus de proposer un service de traduction écrite et simultanée afin d'offrir aux personnes sourdes et malentendantes une alternative aux services téléphoniques.
Un volet "aménagement du territoire" étendu
L'aménagement numérique est une autre grande problématique portée par le projet de loi. L'une des questions souvent évoquées dans les tentatives de rapprochement visant à mutualiser les grands projets de déploiements très haut débit est l'impossibilité, actuellement en vigueur, pour un syndicat mixte d'adhérer à un autre syndicat mixte. Ce type d'adhésion sera désormais autorisé lorsque le syndicat comprend une région, ou à défaut, un département. Cette possibilité, spécifiquement créée pour le plan France Très Haut Débit, n'est valable que jusqu'au 31 décembre 2021.
L'intégration d'une stratégie de développement des usages et des services numériques au schéma directeur territorial d'aménagement numérique (SDTAN), déjà prévue dans la première version, a été validée. Une emphase a tout de même été mise sur la médiation et l'appropriation, par les individus, du numérique. Par ailleurs, les régions et les départements sont invités à impliquer les citoyens dans la définition de leur stratégie numérique.
Autre nouveauté, la proposition d'une nouvelle répartition des rôles pour l'entretien du réseau de téléphonie fixe. Fondé sur une proposition de loi déposée le 16 décembre 2014 par André Chassaigne à l'Assemblée nationale, cet article prévoit que l'entretien des terrains aux abords des équipements soit pris en charge par le propriétaire, le fermier (ou leurs représentants) ou, à défaut, par l'exploitant du réseau. En cas de manquements, le maire pourra faire procéder lui-même aux opérations d'entretien.
Enfin, le maire pourra désormais faire appel au pouvoir de sanction de l'Arcep à l'encontre des opérateurs. Opérateurs qui devront, par ailleurs, proposer un rapport détaillé de leurs réseaux fixes, rapport qui pourra par la suite être transmis par l'Arcep aux collectivités de l'arrondissement concerné.
Ivan Eve / EVS
(1) Article du CGCT correspondant à l'article 106 de la loi Notr. Pour rappel, cet article précise que seules les collectivités territoriales de plus de 3.500 habitants ainsi que leurs EPCI à fiscalité propre sont obligés de rendre accessible en ligne les informations publiques produites ou reçues dans le cadre de leur mission de services public dès lors que ces informations se rapportent à leur territoire et sont disponibles sous forme électronique.
(2) Terme juridique signifiant "de son propre genre" qui permet de singulariser un objet et de l'extraire des textes juridiques existants. Autrement dit, à la réutilisation des bases de données, certaines administrations auraient pu faire valoir cette "situation" juridique.
L'Assemblée adopte le projet de loi open-data avant de débattre du numérique
Les députés ont adopté ce 9 décembre en nouvelle lecture à l'unanimité le projet de loi sur la gratuité de la réutilisation des données publiques (open data), un avant-goût du projet de loi sur le numérique.
Le texte, issu d'un accord entre députés et sénateurs en commission mixte paritaire (CMP), sera adopté définitivement par un dernier vote du Sénat le 17 décembre. L'objectif du projet de loi porté par la secrétaire d'Etat en charge de la Réforme de l'État, Clotilde Valter, qui transpose une directive européenne de 2013, est de favoriser la réutilisation des données publiques.
Il pose le principe de gratuité de ces informations, qui s'applique à l'Etat comme aux collectivités territoriales. La culture, l'enseignement et la recherche rentrent aussi dans le régime général sur l'accès aux données publiques. Plus de 20.000 jeux de données publiques sont en ligne sur le site data.gouv.fr et libres de réutilisation. "Ces données sont un levier de croissance, d'activité et d'emploi. Beaucoup de start-up se déploient autour des données publiques et c'est aussi un outil de revitalisation de notre démocratie", a estimé Clotilde Valter.
Le texte prévoit cependant des exceptions au principe de gratuité, d'une part pour les autorités publiques tenues de dégager des ressources propres et d'autre part pour les opérations de numérisation des fonds culturels. Quand elles existent, les redevances acquittées par le ré-utilisateur doivent être transparentes (leurs bases de calcul doivent être rendues publiques). Ces redevances sont importantes pour certains opérateurs : elles s'élevaient à près de 35 millions d'euros en 2012, dont près de dix millions pour l'Insee comme pour l'IGN ou encore 1,5 million pour Météo France.
Le rapporteur Luc Belot (PS) a indiqué que la question des redevances sera réétudiée dans le cadre du projet de loi, plus ambitieux, d'Axelle Lemaire en Conseil des ministres. L'UDI Michel Piron a d'ailleurs déploré cette "fragmentation des textes sur le numérique" alors que Lionel Tardy (LR), quelque peu frustré par ce premier texte, a espéré que le gouvernement ne "freinera" pas les débats sur le projet de loi numérique, sur lequel il compte déposer de nombreux amendements.
Source AFP