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Urbanisme - Droit de préemption : les EPCI encore très bridés

Un rapport réalisé à la demande de l'ADCF par des universitaires spécialisés dans le droit de l'urbanisme passe en revue les difficultés rencontrées par les intercommunalités en matière de droit de préemption. Il propose pour les surmonter plusieurs ajustements du Code de l'urbanisme.

Des compétences "étroitement cantonnées, complexes voire anachroniques" : c'est ainsi que Jean-François Struillou, directeur de recherches au CNRS, faculté de droit de Nantes et Jean-François Joye, maître de conférences à l'université de Savoie, qualifient les attributions des EPCI en matière de droit de préemption. Dans un rapport commandé par l'Assemblée des communautés de France (AdCF) au Groupement de recherche sur les institutions et le droit de l'aménagement, de l'urbanisme et de l'habitat (Gridauh) et présenté lors d'un séminaire à Paris le 13 septembre, les deux juristes passent en revue les limites actuelles du droit de l'urbanisme. "Un EPCI ne peut en principe instaurer et exercer le droit de préemption que dans des cas limitativement énumérés par la loi, la compétence générale en la matière ayant le plus souvent été attribuée par les textes à la commune." Si davantage d'EPCI détenaient la compétence en matière de plan local d'urbanisme (PLU) et dans la mesure où ils détiendraient aussi la compétence en matière de schéma de cohérence territoriale (Scot) et de zone d'aménagement concerté (ZAC), l'exercice de plein droit du droit de préemption urbain (DPU) serait intercommunal et non plus communal, estiment les auteurs du rapport ; mais cet élargissement des compétences tarde à se concrétiser, malgré la loi Grenelle 2 qui fait du PLU intercommunal le document de référence pour l'avenir.
Pour l'heure, la compétence générale dont dispose la commune en matière de droit de préemption oblige le plus souvent les intercommunalités à solliciter des délégations permanentes ou ponctuelles, lorsque ces dernières souhaitent bénéficier du droit de préemption pour acquérir des immeubles. En outre, relèvent les rapporteurs, "cette possibilité pour les communes de transférer le droit de préemption aux EPCI présente l'inconvénient d'être prévue par des dispositions nombreuses et éparses, ce qui est loin de faciliter la lisibilité du droit". Hormis le fait que la délégation favorise l'insécurité juridique, "ce dispositif au coup par coup ne semble plus répondre aux besoins des EPCI", souligne le rapport. "Alors même que l'intercommunalité tend à s'étendre et que celles-ci souhaitent disposer des outils nécessaires à la mise en œuvre d'une politique volontariste en matière foncière ou immobilière (développement économique, habitat…), les intercommunalités ne disposent, dans le domaine de la préemption, que d'une compétence résiduelle", regrettent ses auteurs.

Intervention foncière : à la recherche d'un meilleur équilibre

Partant de ce constat, ils dressent des pistes d'évolution qui permettraient de rééquilibrer un peu le système public d'intervention foncière en étendant les compétences intercommunales. Selon Jean-François Joye, la compétence de plein droit pour l'exercice du DPU pourrait ainsi être étendue "à tout EPCI dès lors qu'il disposerait d'une compétence exclusive de par la loi ou ses statuts et pour la poursuite des opérations ou actions directement liées à cette compétence ; à tout EPCI pour les compétences qu'il exercerait au nom d'un intérêt communautaire". "Cet intérêt communautaire défini dans les statuts serait la clé de répartition de l'exercice du droit de préemption entre les communes en cas de compétences partagées avec celles-ci (zones d'activités économiques, habitat, action sociale, voirie, équipements publics, etc.)", précise-t-il.
Autre suggestion : étendre les possibilités pour les EPCI de déléguer son DPU. Les textes ne permettent pas aujourd'hui cette "subdélégation". L'idée serait donc de rédiger de manière plus explicite l'article L.213-3 du Code de l'urbanisme "afin d'entrevoir les subdélégations par les EPCI de leur droit de préemption pour son exercice ponctuel ou restreint à une ou plusieurs parties des zones et ce au profit d'autres personnes morales", propose Jean-François Joye. Parmi les ajustements techniques à apporter, il juge aussi nécessaire de revoir le cadre d'exercice du droit de préemption dans les espaces naturels sensibles (ENS). "Alors même que les EPCI peuvent être compétents, de par la loi ou leur statut, pour assurer la gestion et la préservation de l'environnement et qu'ils peuvent aussi être investis du pouvoir de créer des zones de préemption au titre des ENS (co-décision avec les départements), les textes n'ont pas prévu la possibilité pour le département de consentir des délégations de sa compétence au profit des intercommunalités pour que celles-ci puissent exercer le droit de préemption dans ces espaces, pointe Jean-François Joye. De plus, lorsque la faculté de se substituer au département existe, l'EPCI n'est compétent que par délégation de la commune, à supposer qu'elle ait pu faire jouer son droit de substitution." Il s'agit donc d'une compétence complexe à mettre en œuvre. "Ces anomalies paraissent d'autant moins satisfaisantes qu'il serait pertinent de gérer et de protéger aussi ces espaces au niveau de l'intercommunalité, estime le juriste. C'est en réalité toute la chaîne des acteurs susceptibles d'intervenir en matière d'ENS qu'il conviendrait de revoir afin d'y inclure l'EPCI au rang des délégataires."

Droit de préemption commercial : deux évolutions possibles

En matière de droit de préemption commercial, les propositions des juristes sont de deux ordres. "L'extension de la délégation à l'EPCI serait envisageable que ce soit pour une délégation complète (instauration et exercice du droit) ou pour une délégation ne portant que sur l'exercice du droit lors d'une acquisition ponctuelle ou pour des acquisitions restreintes à un périmètre donné." Mais, ajoutent-ils, "il semblerait également plus performant pour l'action publique de permettre dans certaines conditions aux EPCI d'être compétents de plein droit pour le droit de préemption commercial lorsqu'ils disposent par exemple des compétences d'élaboration des Scot et des PLU".
Enfin, en matière de préemption pour la protection et la mise en valeur des espaces agricoles et naturels périurbains, les EPCI sont pris en compte pour la mise en œuvre du périmètre et du programme d'action et ont même un pouvoir de co-décision. "Mais les EPCI jouent un rôle mineur par la suite, constatent les auteurs du rapport. Pour ajuster sa politique ou l'étendre, des modifications peuvent être apportées par le département au périmètre d'intervention ainsi qu'au programme d'action. Mais seul l'accord des communes intéressées par la modification est requis. L'accord des EPCI n'est pas exigé alors qu'il l'est pour la création du périmètre et du programme." Ce décalage pourrait être facilement corrigé en modifiant les articles L.143-5 et R.143-1 du Code de l'urbanisme, avancent les juristes. En outre, pour mener à bien sa politique, le département a recours au droit de préemption qu'il détient au titre des ENS à condition que des zones de préemption ENS aient été préalablement délimitées en application de l'article L.142-3 du Code de l'urbanisme, soulignent-ils. A l'intérieur de ces zones, les possibilités d'exercice du droit de préemption par les EPCI sont possibles mais avec les mêmes restrictions que l'exercice classique du droit de préemption au titre des ENS et seulement après accord du département. C'est pourquoi les auteurs du rapport suggèrent que les EPCI puissent se substituer au département ou obtenir délégation de son droit de préemption.
 

 

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