Urbanisme - Le Sénat a adopté la proposition de loi Maurey visant à améliorer le droit de préemption
Le Sénat a adopté le 29 juin en première lecture la proposition de loi visant à améliorer et à sécuriser l'exercice du droit de préemption. Présenté par Hervé Maurey et des sénateurs de la majorité centriste et UMP, ce texte a aussi reçu l'aval du groupe RDSE constitué en majorité de radicaux de gauche alors que le PS s'est abstenu et que le groupe CRC-SPG (communistes et parti de gauche) a voté contre.
Pour mémoire, cette proposition de loi a été élaborée après la suppression des articles relatifs à une réforme du droit de préemption initialement inclus dans la loi Warsmann II de simplification et d'amélioration de la qualité du droit (voir ci-contre notre article du 4 mars 2011), les sénateurs ayant jugé à l'époque qu'une telle réforme n'avait pas sa place dans un texte de simplification du droit. Hervé Maurey, sénateur centriste de l'Eure a donc déposé le 25 février dernier une proposition de loi entièrement dévolue à cette réforme du droit de préemption permettant aux collectivités d'acquérir prioritairement un terrain ou un bien immobilier sur le point d'être vendu. La réforme poursuit deux objectifs principaux : "apporter des garanties aux propriétaires et assurer un exercice efficace de ce droit par les collectivités et les opérateurs fonciers".
"80% des communes dotées d'un document d'urbanisme ont institué le droit de préemption. En revanche, il ne s'exerce que sur 1% des transactions", a expliqué Hervé Maurey lors de l'examen de son texte par la commission de l'économie, du développement durable et de l'aménagement du territoire du Sénat, le 15 juin dernier. Ceci montre que ce droit est utilisé par les collectivités pour mieux connaître les conditions auxquelles les transactions se déroulent sur un territoire donné, a-t-il ajouté, soulignant par ailleurs que "cet outil est moins contraignant que l'expropriation puisqu'il s'applique à des biens dont le propriétaire avait l'intention de se séparer, et son utilisation est beaucoup plus souple".
Possibilité pour le titulaire du droit de préemption de visiter le bien
Au cours de cette même réunion, les sénateurs ont fait valoir le fait que le texte "apporte des garanties aux collectivités locales, notamment à travers l'enrichissement des DIA [déclarations d'intention d'aliéner] et tempère, pour les propriétaires et acquéreurs évincés, les effets négatifs induits par le renoncement de la collectivité à acquérir ou l'illégalité de la décision de préemption". Ils ont alors adopté plusieurs amendements. A l'article 1er, concernant le contenu et la publicité de la déclaration d'aliéner, un amendement du rapporteur Hervé Maurey consiste à "améliorer la rédaction relative à la transmission de pièces complémentaires et à substituer le vendeur au notaire" – sans pour autant interdire au vendeur d'avoir recours à un notaire – et un autre amendement de Daniel Raoul (PS, Maine-et-Loire) permet explicitement au titulaire du droit de préemption de pouvoir visiter le bien concerné et de prendre connaissance de son état.
Toujours en commission, les sénateurs ont donné leur aval à un amendement du rapporteur créant un article additionnel après l'article 1er pour améliorer les conditions d'exercice de la préemption partielle. Il précise d'une part que la DIA sera obligatoire en cas d'aliénation d'un bien situé seulement pour partie à l'intérieur d'une partie de commune soumise à un droit de préemption et, d'autre part, il étend la préemption partielle aux opérations de construction. Concernant les conditions de renonciation au droit de préemption après saisine du juge de l'expropriation (article 2), le rapporteur a aussi obtenu le vote d'un amendement précisant que le titulaire du droit de préemption pourra renoncer à acquérir le bien en cas de découverte de vices cachés tels que des pollutions importantes renchérissant les travaux de remise en état.
Au sujet des conditions de vente en cas de renonciation du titulaire du droit de préemption à l'acquisition (article 4), Hervé Maurey a aussi obtenu la réduction de cinq à trois ans du délai au terme duquel le titulaire du droit de préemption retrouve son droit sur un bien après avoir décidé d'y renoncer. Autres modifications apportées au texte en commission : à l'article 5, sur l'utilisation des biens préemptés, un amendement vise à rester au droit actuel prévoyant une obligation de rétrocession en cas d'utilisation ou d'aliénation, dans un délai de cinq ans, à d'autres fins que celles visées à l'article L.210-1 du Code de l'urbanisme et à l'article 6 (droit de rétrocession en cas d'annulation des décisions de préemption), un amendement du rapporteur adopte une nouvelle rédaction pour la fixation du prix pour la rétrocession en cas d'annulation d'une décision de préemption, en reprenant la formule établie par la jurisprudence administrative.
Création de "zones d'opérations futures"
Au cours de l'examen en séance le 29 juin, de nombreux autres amendements ont été votés dont plusieurs contre l'avis du gouvernement. Cela a notamment été le cas de celui de Thierry Repentin (PS, Savoie). Soutenu par le rapporteur, son amendement introduit un article additionnel avant l'article 1er créant des "zones d'opérations futures" (ZOF) dont le but est de permettre aux communes de "définir des périmètres d'aménagement dans lesquels les prix seront bloqués pendant six ans et dans lesquels, en échange, les propriétaires auront un droit de délaissement". Il s'agit ainsi d'offrir aux intercommunalités à fiscalité propre "un nouvel outil assimilable à une ZAD [zone d'aménagement différé] mais dont elles maîtriseront la définition du périmètre et la procédure de création, en lien avec les communes", a expliqué le sénateur, également président de l'Union sociale pour l'habitat (USH). Le droit de préemption dans les ZOF sera "exercé pour une durée de six ans par les communes qui pourraient en déléguer l'exercice à la communauté, laquelle disposera par ailleurs d'un droit de préemption complémentaire, mobilisable seulement en cas de refus de préempter de la commune. La communauté sera en outre destinataire des biens en cas d'activation du droit de délaissement", a ajouté Thierry Repentin.
Préemption des copropriétés dégradées
Un autre article additionnel avant l'article 1er a été voté à l'initiative de Jacques Mézard (RDSE, Cantal). Il s'agit de permettre "aux EPF [établissements publics fonciers] locaux d'intervenir en matière de logements sociaux, dans la mesure où ces établissements peuvent déjà percevoir les pénalités financières instituées par l'article 55 de la loi SRU [Solidarité et Renouvellement urbains] en l'absence de PLH [programme local de l'habitat]. Deux autres amendements identiques de Jean-Paul Alduy (UMP, Pyrénées-Orientales) et de Daniel Raoul (PS, Maine-et-Loire) ont aussi été adoptés contre l'avis du gouvernement et avec le soutien du rapporteur. Ils créent un article additionnel avant l'article 1er qui vise à "permettre de préempter la vente de lots de copropriété en plan de sauvegarde ou en difficulté mais n'ayant pas atteint le stade de l'insalubrité afin de favoriser la relance de ces copropriétés par les acquéreurs qui pourront reconstituer des majorités susceptibles de voter les décisions nécessaires aux assemblées générales de ces copropriétés".
Contre l'avis du secrétaire d'Etat au Logement, Benoist Apparu, qui y a vu "une attaque trop forte au droit de propriété" qui "ne passera pas la barrière du Conseil constitutionnel", les sénateurs ont également voté les amendements identiques de Laurent Béteille (UMP, Essonne) et de Nicole Bricq (PS, Val-de-Marne) créant un article additionnel avant l'article 1er afin de "combattre" le phénomène "des donations fictives accompagnées de versements occultes, visant à échapper au droit de préemption" reconnu aux communes ou aux Safer (sociétés d'aménagement foncier et d'établissement rural).
Pas de préemption partielle en question
Un autre amendement de Laurent Béteille à l'article 1er prévoit un affichage en mairie et une publication dans le recueil des actes administratifs municipaux des décisions de préemption. A l'article 1er bis, les sénateurs ont accepté à la demande du gouvernement de revenir sur la possibilité de préemption partielle d'un bien qu'ils avaient introduite en commission. Pour Benoist Apparu, "il convient de conserver la rédaction actuelle de l'article L.213-2-1 du Code de l'urbanisme qui permet au propriétaire du bien de demander en toute hypothèse l'exercice du droit de préemption sur l'ensemble du bien". Un sous-amendement précise que le propriétaire peut exiger l'acquisition de l'ensemble du bien au cas où la préemption partielle entraînerait une dévalorisation de celui-ci. Les sénateurs ont aussi voté un amendement du groupe communiste à l'article 5 précisant que "le maire rend compte au conseil municipal de tout changement d'affectation du bien acquis par l'exercice du droit de préemption". Selon l'exposé des motifs, l'objectif est de "permettre une meilleure information de l'ensemble des élus de la collectivité. En outre, une telle disposition, reprend une préconisation du Conseil d'Etat". Enfin, un amendement de Robert Navarro (PS, Hérault) crée un article additionnel après l'article 7 dont le but est de "sécuriser le droit pour le président de la région d'exercer le droit de préemption au nom de la région".
La proposition de loi doit maintenant être inscrite à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale pour poursuivre son parcours parlementaire.