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Commande publique - Desserte de la Corse, aéroport du Grand Ouest : les aides d'Etat en question

Dans deux décisions en date du 13 juillet 2012, le Conseil d'Etat a précisé les conditions dans lesquelles une compensation financière versée par une personne publique à une société n'était pas une aide d'Etat interdite par le droit communautaire au nom du principe de la libre concurrence à l'intérieur du marché de l'Union européenne.
Le premier arrêt du Conseil d'Etat (n°355616) était très attendu par les professionnels du monde maritime dans la mesure où la liaison de transport maritime entre Marseille et la Corse n'en est pas à son premier rebondissement procédural (voir l'article Localtis du 8 juin 2007...).
Dans les faits, une délégation de service public (DSP) avait été attribuée par la collectivité territoriale de Corse à un groupement français constitué par la Compagnie méridionale de navigation (CMN) et la Société nationale Corse Méditerranée (SNCM). Elle portait sur la desserte maritime entre le port de Marseille et cinq ports corses. La société italienne Corsica Ferries avait alors introduit une action en justice tendant à l'annulation de la délibération de l'assemblée exécutive de Corse autorisant cette délégation.
Dans un jugement du 7 juillet 2011, la cour administrative d'appel (CAA) de Marseille avait annulé cette convention aux motifs, d'une part, que le "besoin réel de service public" pour l'activité temporaire de la DSP n'était pas démontré (voir l'encadré ci-dessous) et, d'autre part, que la compensation financière versée par la Corse aux deux compagnies était assimilable à une aide d'Etat interdite par le droit de l'Union européenne.
En effet, l'article 107 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne veille à ce qu'aucune aide d'Etat n'affecte le marché commun. L'arrêt de la Cour de justice des communautés européennes (CJCE) du 24 juillet 2003 Altmark Trans GmbH définit l'aide d'Etat comme "une compensation destinée à la prestation de services d'intérêt économique général". En revanche, n'est plus une aide d'Etat, au sens européen, la subvention qui "se limite strictement au montant nécessaire pour compenser les coûts d'un opérateur efficient liés à l'exécution d'obligations de service public". Ainsi, alors qu'une aide d'Etat ne répondant à aucun objectif de service public est prohibée, la simple compensation pour l'exécution d'un service public est autorisée.
Dans cette affaire, le concours financier de l'Etat était subordonné à une décision de l'autorité compétente de la collectivité territoriale de la Corse "qui devait en déterminer la nature, les modalités et le montant". Ces financements se limitaient "au montant nécessaire pour compenser les coûts liés à l’exécution d’obligations de service public". Le Conseil d'Etat en conclut que cette compensation pour l'exécution du service public de transport maritime n'entravait pas le marché communautaire. La cassation de l'arrêt d'appel rend la DSP applicable jusqu'à ce que les juges du fond réexaminent sa validité.
Ce nouveau rebondissement s'ajoute à la récente enquête ouverte par Bruxelles. Car la Commission européenne a quant à elle des doutes sur "la nécessité et la proportionnalité de l'obligation de service public ainsi que le mécanisme de compensation" de la DSP conclue pour assurer le transport maritime entre Marseille et la Corse (voir article Localtis du 28 juin 2012).

Quatre conditions pour échapper à la législation européenne sur les aides d'Etat

S'agissant du second arrêt du Conseil d'Etat (n°347073), une convention de concession prévoyait le versement d'une subvention par l'Etat à la société Aéroports du Grand Ouest pour la construction de l'aérodrome Notre-Dame-des-Landes. Pour le demandeur au pourvoi, ce financement n'avait pas été notifié à la Commission européenne, contrairement à ce que prescrit l'article 107 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne. La question était alors de savoir si cette subvention devait être qualifiée d'aide d'Etat nécessitant une notification préalable à la Commission européenne afin que celle-ci l'autorise et la déclare conforme à la libre concurrence.
Pour y répondre, le Conseil d'Etat reprend point par point les conditions cumulatives permettant d'exclure une subvention de la réglementation communautaire des aides d'Etat (jurisprudence Altmark Trans GmbH précitée).
"Premièrement, l'entreprise bénéficiaire doit effectivement avoir été chargée de l'exécution d'obligations de service public et ces obligations doivent avoir été clairement définies". Dans l'affaire, la construction de l'aérodrome Notre-Dame-des-Landes avait été reconnue d'utilité publique en raison de ses externalités positives sur l'économie. Par ailleurs, aucune entreprise privée n'aurait pu assumer l'entière construction d'un tel ouvrage sans une aide financière publique. La convention de concession remplissait donc une mission de service public.
"Deuxièmement, les paramètres sur la base desquels est calculée la compensation doivent être préalablement établis de façon objective et transparente, afin d'éviter qu'elle comporte un avantage économique susceptible de favoriser l'entreprise bénéficiaire par rapport à des entreprises concurrentes". Cette seconde condition était satisfaite puisque la subvention octroyée à la société Aéroports du Grand Ouest l'avait été en toute transparence dans le respect de la procédure de publicité et de mise en concurrence.
Troisièmement, la compensation financière ne dépassait pas ce qui était nécessaire pour couvrir les coûts occasionnés par l'exécution des obligations de service public. De plus, le cahier des charges du contrat de concession prévoyait une clause de reversement en cas d'excédent dans les prévisions d'exploitation. Le Conseil d'Etat en conclut que la subvention ne dépassait pas "ce qui est nécessaire pour permettre à l'entreprise d'atteindre un niveau de rentabilité considéré comme raisonnable pour les entreprises du secteur concerné".
Quatrièmement, la sélection de l'entreprise chargée de l'exécution d'obligations de services publics doit être faite en faveur du candidat capable de fournir ces services au moindre coût pour la collectivité. La société Aéroports du Grand Ouest avait été retenue parce qu'elle avait demandé la subvention la moins importante.
Finalement, donc, la subvention publique octroyée pour la construction de l'aérodrome de Notre-Dame-des-Landes n'était pas une aide d'Etat telle qu'interdite par le droit européen dans la mesure où elle se justifiait par la participation à des obligations de service public. Elle n'avait donc pas à être notifiée à la Commission européenne et relevait de la législation nationale.

Références : Conseil d'Etat, 13 juillet 2012, n°355616, 355622 et 358396, Compagnie méridionale de navigation et société nationale Corse Méditerranée ; Communiqué de presse "desserte maritime de la Corse"; Cour Administrative d'Appel de Marseille, 7 juillet 2011, n°08MA01604, Compagnie méridionale de navigation et société nationale Corse Méditerranée ; CJCE, C-280/00, 24 juillet 2003, Altmark Trans GmbH,Conseil d'Etat, 13 juillet 2012, n°347073, Aéroports du Grand Ouest.

DSP DANS LE TRANSPORT MARITIME : "BESOIN REEL DE SERVICE PUBLIC" ET ACTIVITE TEMPORAIRE
Dans l'affaire CMN et SNCM, le Conseil d'Etat a également précisé les modalités d'appréciation du "besoin réel de service public", critère indispensable pour valider une délégation de service public (DSP) dans le secteur du transport maritime.
La convention de DSP prévoyait de renforcer les liaisons de transport maritime entre Marseille et la Corse pour la période estivale. Cette clause répondait-elle à un besoin de service public indépendant de l'activité principale ?
La CAA de Marseille avait estimé que ce service complémentaire n'était pas conforme aux dispositions du règlement communautaire du 7 décembre 1992 au motif qu'il ne répondait pas "à un besoin réel de service public distinct du besoin" auquel le service permanent devait satisfaire.
Pour la Haute Cour administrative, le service occasionnel de pointe n'avait pas à répondre à un besoin de service public spécifique et distinct de celui de l'activité permanente. En effet, la jurisprudence communautaire (CJCE, C-205/99, 20 février 2001, Analir) considère que la conclusion d'un contrat de transport maritime national "est subordonnée à l'existence d'un besoin réel de service public résultant de l'insuffisance des services de transports réguliers". Le Conseil d'Etat n'exclut donc pas la possibilité d'apprécier le "besoin réel de service public" comme englobant l'activité permanente et le service lié à un accroissement temporaire de l'activité. Il n'y avait donc pas lieu pour les juges du fond de vérifier si ce besoin était justifié en permanence au cours de la période de la convention de délégation de service public.

 

 

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