Management - Des pistes pour réorganiser le temps de travail dans la fonction publique territoriale

L'ADRH GCT (Association des DRH des grandes collectivités territoriales), en partenariat avec l'Inet (Institut national des études territoriales) a rendu publique, le 14 avril, une étude consacrée à l'organisation du temps de travail dans la fonction publique territoriale. Après avoir analysé les différentes politiques sur le temps de travail mises en œuvre dans plus de trente collectivités, les cinq élèves de l'Inet auteurs du rapport formulent une série de recommandations. A destination des collectivités et des autorités nationales, elles concernent tout autant la conduite du changement que de possibles évolutions de textes réglementaires, apportant des pistes pour travailler plus, mais aussi pour travailler mieux.

La question du temps de travail des fonctionnaires, avec ses corollaires, les problématiques d'absentéisme et de conditions de travail, ont été très présentes au cours de la dernière année du quinquennat de François Hollande. L’Association des directeurs des ressources humaines des grandes collectivités territoriales (ADRH-GCT) a missionné cinq élèves administrateurs territoriaux de l’Institut nationales des études territoriales (Inet) pour réaliser une étude sur ce thème répondant à trois grands objectifs : proposer un guide méthodologique sur la base de bonnes pratiques, présenter les outils pour initier une démarche de réorganisation des temps de travail et enfin élargir la réflexion aux thématiques du télétravail, des usages du numérique et de la qualité de vie au travail.
Au vu des rapports existants -  notamment celui remis par Philippe Laurent en mai dernier (voir notre article du 27 mai 2016 ci-dessous) -, cette enquête vise à rendre compte des démarches engagées par les collectivités en adoptant une approche "qualitative et opérationnelle", soulignent les auteurs en introduction. Pour ce faire, ils ont recueilli les pratiques de 33 collectivités qui ont conduit un projet de réorganisation du temps de travail (8 conseils départementaux, 11 communes, 6 communautés d’agglomération, 6 métropoles, 2 conseils régionaux).

Une question de management avant tout

Ces collectivités se sont engagées dans une réorganisation des temps pour des raisons multiples : à l’occasion d’une mutualisation lors de l’extension de l’intercommunalité ou la création des grandes régions, à la suite de la remise d’un rapport de la chambre régionale des comptes, à l’arrivée d’un nouvel exécutif, précise l'étude. Trois grands objectifs sont invoqués : dégager des marges de manœuvre, se conformer au cadre réglementaire et améliorer le service aux usagers. Des objectifs qui dépassent la seule problématique de la durée légale du temps de travail. "Un tel chantier recouvre des enjeux divers touchant au management des agents, à la qualité du service rendu ou encore à l’optimisation des moyens", estiment les auteurs du rapport. Il s'agit donc avant tout "d'une question de management".
Pour revoir à la hausse le temps de travail dans une collectivité, le rapport identifie quatre façons d’aborder la question de la durée du travail : frontalement, globalement (avec d'autres sujets connexes), séparément (en le scindant en thématiques), ou en la dépassant, par un élargissement à d'autres thématiques (télétravail, conditions de travail …).
Dans le premier cas, le risque de conflit social est très élevé, même si l’augmentation de la durée annuelle à 1.607 heures "peut séduire par la simplicité et la rapidité de sa mise en œuvre". Selon le rapport, les collectivités qui augmentent le temps de travail après une commande politique se focalisent davantage sur la question de la durée. Les autres approches comportent des risques moindres de dégradation du climat social, mais le projet court plus de risque de s'enliser.

Différents leviers à mettre en oeuvre

D'après l'étude, les leviers mobilisés par les collectivités sont les suivants : optimiser le cycle de travail en limitant les heures supplémentaires récurrentes, favoriser la récupération des heures supplémentaires en assouplissant l’application horaire quotidienne, ou compenser les horaires atypique au moyen du régime indemnitaire . Concernant l'annualisation du temps de travail, cette dernière proposition reste difficile à introduire dans les négociations car les organisations syndicales y sont souvent opposées.
Afin d’éviter la dégradation du climat social, les auteurs du rapport recommandent "d’associer les organisations syndicales le plus en amont possible des projets de réorganisation des temps de travail" pour négocier ensemble sur des enjeux clés, propres à chaque collectivité pour augmenter la durée de travail. Il s'agit en effet de sujets sensibles tels que l’augmentation du cycle hebdomadaire, la limitation des RTT, de la réduction des autorisations spéciales d’absence (ASA), ou encore la suppression des bonifications d’ancienneté. A charge pour les collectivités qui s'engagent dans ce processus de "réaffirmer le rôle des directions des ressources humaines" en tant que garantes des règles communes sur le temps de travail, et d'accompagner les encadrants de proximité.

Des "freins à la réorganisation"

Il existe cependant des freins à la réorganisation. "L’article 2 du décret du 12 juillet 2001 prévoit la possibilité de réduire la durée annuelle de travail pour tenir compte de sujétions liées à la nature des missions et à la définition des cycles de travail qui en résultent, et notamment en cas de travail de nuit, de travail le dimanche, de travail en horaires décalés, de travail en équipes, de modulation importante du cycle de travail ou de travaux pénibles ou dangereux", rappelle l’étude. Le rapport Laurent préconise d'ailleurs de réserver l’outil de réduction du temps de travail à ces seules contraintes et sujétions.
Toutefois, l’appréciation des sujétions particulières varie en fonction des collectivités, et parfois au sein même d’entre elles. Les auteurs du rapport proposent donc notamment "une définition plus précise des métiers pénibles" pour faciliter "l’homogénéisation des pratiques" en la matière et ainsi limiter l’absentéisme. Ils relèvent également une "absence d’équité dans le traitement des agents". Pour y mettre fin, le rapport recommande "une harmonisation nationale des règles d’attribution d’ASA pour raisons familiales" - sachant que les modalités d'octroi de ces dernières viennent d'être récemment rappelées aux employeurs publics (voir ci-dessous notre article du 22 mars). De la même façon, la "sur-rémunération" de certaines quotités de temps partiel apparaît comme une différence de traitement non équitable entre les agents.

Adapter le temps de travail aux services aux usagers

Pour les cinq élèves de l'Inet, l’aménagement du temps de travail doit poursuivre deux objectifs. Tout d'abord permettre une meilleure adaptation des services à leurs publics. Ainsi, l’existence d’horaires atypiques veillant à s’adapter aux besoins des usagers concerne principalement les équipements culturels et sportifs. Les bibliothèques, médiathèques, conservatoires et musées entrent entendu dans cette catégorie (voir ci-dessous notre article du jour) au même titre que les piscines. Ceci revêt un double enjeu pour les collectivités. D’une part, une ouverture adaptée de ces services permet une fréquentation plus diversifiée sur le plan social et donc une démocratisation des politiques publiques portées par la collectivité. D’autre part, l’enjeu pour les collectivités est de faire accepter ces changements et de les inclure dans l’annualisation des agents afin d’éviter le cumul d’heures supplémentaires.

"Dilution du temps de travail"

Les négociations sur le temps de travail et notamment l’augmentation de sa durée annuelle sont également l’occasion de réfléchir sur les questions de qualité de vie au travail et d’articulation entre vie professionnelle et vie personnelle, afin de coordonner les temps des usagers et le temps des agents, en trouvant des modalités pour ne pas "dégrader la qualité de vie des agents avec des horaires trop atypiques". Ainsi l’une des contreparties principale à une redéfinition de la durée du travail est l’octroi d’une plus grande souplesse dans les horaires de travail, permettant aux agents de gérer une partie de leur temps en fonction de leurs contraintes personnelles.Toutefois, cette définition doit se faire dans la limite des exigences de service public, avertissent les auteurs.
Au final, les futurs hauts fonctionnaires soulignent à quel point les changements liés au numérique bouleversent la relation au travail. Si les progrès technologiques apparaissent comme une opportunité d’organiser le travail différemment (télétravail notamment), ils laissent également place à des interrogations sur la "dilution du temps de travail", qui s’étend avec les connexions internet, portables, smartphones, etc. Certains DRH s’interrogent dès lors sur la pertinence d’un débat purement quantitatif sur le temps de travail des fonctionnaires alors même que l’un des enjeux futurs réside, pour eux, à "articuler le travail présentiel avec les 'zones grises' du travail, notamment pour les cadres", conclut le rapport.