Réforme territoriale - Des communes nouvelles en milieu urbain ? Seuls quelques projets... pour le moment
Le 1er janvier prochain, les cinq communes de la communauté urbaine de Cherbourg n'en feront plus qu'une. Le nom de la nouvelle collectivité : Cherbourg-en-Cotentin. Grâce à ses élus qui ont su tous se mettre d'accord et rapidement, elle comptera près de 82.000 habitants, alors qu'aujourd'hui, Cherbourg-Octeville ne dépasse pas 40.000 habitants.
Au passage, le territoire va conserver 32 millions d'euros de dotations de l'Etat. Mais la promesse de ce bonus financier n'a pas à elle seule déclenché le choix des élus. La fusion s'inscrit en fait dans l'histoire particulière d'une agglomération qui, compte tenu de sa situation géographique à l'extrémité nord du Cotentin, s'est forgée une mentalité quasi insulaire, analyse Michel Abhervé, professeur associé à l'université de Paris Est Marne la Vallée, ancien élu local et auteur d'un blog sur lequel il recense les projets de communes nouvelles. De plus, la fusion intervient sur un territoire où la coopération intercommunale est ancienne et où l'étape suivante, la fusion des communes, a déjà fait l'objet de débats nourris. En novembre 1999, près de trente ans après la naissance de la communauté urbaine, les électeurs ont été consultés sur le "Grand Cherbourg". Ce fut un échec, le référendum aboutissant toutefois au regroupement des communes de Cherbourg et Octeville. Député de la Manche et partisan du Grand Cherbourg, Bernard Cazeneuve est devenu maire de la commune nouvelle l'année suivante. Il l'a été officiellement pendant 11 ans. Aujourd'hui, malgré les fonctions ministérielles qui le tiennent éloigné de la cité portuaire, il en reste le "patron". Ce qui a facilité le succès du projet de fusion, estime Michel Abhervé. "Lorsqu'à l'inverse, sur un territoire en particulier urbain, il y a un conflit pour le leadership politique, la fusion a beaucoup moins de chances d'aboutir", poursuit l'enseignant en politiques publiques.
Saint-Omer : une seule commune fait échec à la commune nouvelle
D'autres agglomérations urbaines avaient cette année misé sur la création à court terme d'une commune nouvelle. Mais elles n'y sont pas parvenues. Tel fut par exemple le cas à Annecy et dans ses environs, où la naissance d'une commune nouvelle aurait permis d'obtenir une manne de quelque 80 millions d'euros. Mais sept des treize communes de la communauté n'étaient pas prêtes au mariage. Du côté de Saint-Omer cette fois, l'opposition d'une seule des 26 communes de l'agglomération – Clairmarais et ses quelque 600 âmes – a fait échouer le projet qui devait aboutir à la création d'une commune de 73.000 habitants. Non loin de là, Berck-sur-Mer et son voisinage ont lancé l'idée d'une commune nouvelle de 26.000 habitants. Une opération qui pouvait permettre de sauver 9 millions d'euros. Sur les dix conseils municipaux, ceux d'Airon-Notre-Dame (210 habitants) et de Conchil-le-Temple (1.100 habitants) ont toutefois voté contre.
La liste des échecs ne s'arrête pas là. Près de Paris, le syndicat d'agglomération nouvelle de Val d'Europe ne sera pas non plus une commune nouvelle du fait du "non" exprimé lors d'un référendum par les habitants d'une des cinq communes, Serris, qui réunit le quart de la population du territoire. Son conseil municipal avait rejeté le projet auparavant. Ailleurs, dans le Calvados, deux des huit communes de la communauté de communes de Vire (18.000 habitants) viennent de rejeter le projet de transformation en commune nouvelle dès début 2016, selon le quotidien Ouest France.
La périphérie contre le centre ?
Tous ces ensembles de communes de plus de 10.000 habitants ont tenté de relever un défi très difficile. Ils devaient obtenir l'unanimité des conseils municipaux, ou à défaut l'approbation de deux tiers au moins des conseils municipaux représentant deux tiers de la population avec en prime une majorité indiscutable des électeurs de toutes les communes lors d'un référendum. Enfin, ils devaient porter la commune nouvelle sur les fonts baptismaux dès le 1er janvier 2016. Autant d'exigences quasi inatteignables qui ont réduit leurs chances.
L'association Villes de France, qui réunit principalement les villes de 20.000 à 100.000 habitants et leurs intercommunalités, critique ce parcours du combattant. A l'occasion de son dernier congrès, qui s'est tenu à Bourg-en-Bresse les 1er et 2 octobre 2015, ses élus ont réclamé des assouplissements pour le bénéfice des incitations financières. Si celles-ci avaient été accordées plus facilement aux villes moyennes, davantage de communes nouvelles verraient le jour en milieu urbain, assure Nicole Gibourdel, déléguée générale de l'association. A contrario, le fait que le monde rural ait eu moins d'obstacles à franchir pour engranger les incitations financières peut expliquer le succès des communes nouvelles sur cette partie du territoire (l'Association des maires de France a connaissance de 586 projets au total, qui se trouvent à des stades divers d'avancement).
Mais, en l'absence de limite démographique, les communes nouvelles de grande taille "siphonneraient" la dotation globale de fonctionnement des autres communes, répondent d'autres élus, notamment Jacques Pélissard, le "père" de la loi de mars 2015 qui a amélioré le régime juridique des communes nouvelles.
L'ancien président de l'AMF reconnaît aussi que le seuil de 10.000 habitants au-delà duquel le bonus disparaît peut dissuader les communes de périphérie de s'unir avec le bourg-centre. Ce qui n'est pas sain, assure-t-il. Car, alors qu'elle se retrouve isolée, la ville-centre "continue à assumer l’essentiel des charges de centralité de l’intercommunalité".
Six à neuf mois supplémentaires
Il est par ailleurs indéniable, souligne Michel Abhervé, que certaines communes nouvelles auraient dépassé 10.000 habitants sans la règle de population fixée par le législateur. Certaines d'entre elles vont approcher de très près la limite, comme la commune nouvelle de Port-Jérôme-sur-Seine, dans l'estuaire de la Seine, avec 9.730 habitants.
L'allongement de six mois de la période pendant laquelle les projets de fusions peuvent obtenir le bonus ne changera guère la situation. Selon la mesure que le Parlement a définitivement votée dans le cadre du projet de loi de finances pour 2016 (voir notre article du 15 décembre 2015), les conseils municipaux devront prendre des délibérations concordantes avant le 30 juin 2016, tandis que l'arrêté préfectoral créant la commune nouvelle devra être publié au plus tard le 30 septembre 2016. Les nouvelles dispositions ajoutent même un obstacle pour les villes : les intercommunalités qui se transformeront dans les temps en commune nouvelle ne devront pas compter plus de 15.000 habitants.
Mais il est vrai qu'à l'origine, le dispositif avait été conçu pour les petites communes. Le fait que le monde urbain s'en soit emparé est donc presque une surprise.
La priorité donnée à la fusion des petites communes sera perceptible dès ce 1er janvier. Sur les quelque 200 communes nouvelles qui, selon l'AMF, verront le jour à cette date, les communes nouvelles de plus de 10.000 habitants devraient se compter sur les doigts de la main. Outre Cherbourg-en-Cotentin, on recensera Lamballe. La commune des Côtes d'Armor (12.700 habitants) a récemment annoncé ses fiançailles avec sa voisine, Meslin (1.000 habitants).
A l'avenir, des projets plus matures
Toutefois, un certain nombre d'autres projets pourraient aboutir en 2017. En l'absence cette fois de toute incitation financière, ils apparaissent moins opportunistes. Leurs chances sont réelles. Après l'échec de la fusion à treize communes, les élus d'Annecy et des environs ont remis l'ouvrage sur le métier. Les conseils municipaux d'Annecy, Annecy-le-Vieux, Cran-Gevrier, Pringy, Meythet et Seynod ont approuvé la préparation d'une commune nouvelle de 125.000 habitants, projet dont elles délibéreront définitivement avant l'été prochain. D'ici là, onze groupes de travail thématiques pilotés par les élus et aidés d'un cabinet privé élaborent un diagnostic des services et des politiques et montent un projet. La communication en direction de la population débutera au premier trimestre 2016.
A Pontarlier dans le Doubs, la réflexion est ouverte sur une commune nouvelle épousant les limites de l'intercommunalité, forte de 27.500 habitants. "Je souhaite que, fin 2016, nous ayons tous les éléments d'aide à la décision, annonce Patrick Genre, maire de Pontarlier et président de la communauté de communes. Le débat politique sur l'opportunité de créer la commune nouvelle sera engagé début 2017 pour une décision qui interviendra dans les mois suivants". Pas de précipitation, donc. "Nous ne mettons pas les financements à la première place", souligne l'élu pour qui l'histoire et le projet de territoire comptent bien plus.
A Falaise, le maire Eric Macé a invité fin octobre ses homologues des environs à "une réunion d'information", selon Ouest France. Il espère créer une commune nouvelle d'au moins 10.000 habitants (Falaise en compte aujourd'hui 8.500). "On changerait ainsi de strate", explique-t-il au quotidien régional.
Dans d'autres villes, comme Croissy-sur-Seine (dans les Yvelines), dont le maire Jean-Roger Davin a déjà évoqué publiquement un rapprochement avec Le Vésinet, il n'y a pas encore de véritable débat (le couple pèserait 27.000 habitants). Avec la poursuite des tensions financières, ce genre de déclaration va certainement essaimer dans les prochaines années.
Thomas Beurey / Projets publics
"Faire rayonner Annecy et son territoire dans la nouvelle région"
Jean-Luc Rigaut, premier magistrat d'Annecy voit beaucoup d'avantages à la création d'une commune nouvelle. "En regroupant les moyens et en optimisant les ressources, nous pourrons maintenir un bon niveau de service public et nous pourrons garder le cap de l'investissement dans une période de baisse des dotations de l'Etat". L'ancien champion du monde de descente en canoë ne voit pas d'alternative. "La meilleure mutualisation, c'est la fusion des services et une gouvernance unique. Tout le reste ce sont des schémas intermédiaires". Pour lui, la réforme territoriale aussi oblige l'agglomération à bouger. Dans une région plus grande, du fait de la fusion de Rhône-Alpes avec l'Auvergne, et alors que l'intercommunalité est appelée à atteindre 200.000 habitants par la fusion avec des intercommunalités voisines, le chef-lieu de la Haute-Savoie "doit être bien identifié et plus fort".